2005 : Le littoral et les avancées scientifiques > TR 3 : Penser ensemble le littoral de demain >
Agriculture, agriculture biologique et urbanisationAgriculture, agriculture biologique et urbanisation
Jean-Claude Le Gall, Président de Savéol, producteur agricole
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LE GALL Jean-ClaudeCompte rendu :
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Jean-Claude Le Gall
Transcription :
8 octobre 2005 TR3
Discours de Jean-Claude Le Gall
Je suis Jean-Claude Le Gall et je suis natif de Plougastel, donc juste à côté de Brest. Je vois Océanopolis de chez moi tous les jours – belle réalisation, d’ailleurs, sur le plan architectural. Et, pour ma part, je viens d’une commune où la devise affichée au fronton de notre municipalité est, en breton : « War zouar ha war vor », soit « Sur terre et sur mer ». Donc, si vous voulez, cette commune a été bercée dans ces deux préoccupations, à la fois sur le plan culturel et économique depuis toujours, et l’agriculture et la pêche y ont donc toujours été très mêlées. Par ailleurs je dirai que, traditionnellement, les périodes de grandes marées sur la commune de Plougastel se traduisaient par un arrêt quasi-complet de l’activité dans les villages car toutes les personnes vaillantes jusqu’aux grands-pères ayant un certain âge descendaient à ce moment-là jusqu’à la mer pour gratter les palourdes, les praires, les crabes, et les conques et autres possibilités. Par ailleurs aussi c’est une commune qui a d’une part développé son activité de production de fraises, de manière importante sur le siècle précédant, et qui a utilisé également la mer pour développer sa richesse et exporter beaucoup sur l’Angleterre. Monsieur Yvon Bonnot parlait tout à l’heure de la mer et de la terre et je pense que dans notre cas – et c’est peut-être le fait que nous sommes une presqu’île - nous avons donc à la fois utilisé la terre pour produire, la mer pour transporter, et nous avons toujours pris en compte les préoccupations des pêcheurs qui sont souvent dans les mêmes familles, d’ailleurs, que les producteurs.
Sylvie Andreu : et vous n’avez rien pollué ?
Si, naturellement. Mais nous avons aussi utilisé les bienfaits de la mer, notamment le goémon pour produire. Ce sont aussi des éléments qui rentrent dans la production. Alors plus récemment nous avons engagé des discussions dans le cas du « Plan Bleu » de la Rade de Brest, avec Jean-Paul Glémarec. Notre préoccupation, à l’époque, c’était donc de nous intégrer donc dans cette réflexion autour du « Plan Bleu » de la rade de Brest et, étant un acteur sur le plan agricole, nous avons considéré qu’il était souhaitable de nous impliquer dans cette réflexion et de voir comment, concrètement, réduire l’impact de notre activité sur l’environnement et comment réduire les rejets dans la rade de Brest. Sur ce premier « slide » vous avez là une superbe photo du fond de la baie de la rade de Brest, tirée du côté du Daoulas.
Au delà du « Plan Bleu » de la rade de Brest, que nous avons à l’époque signé et qui représente donc un engagement volontaire, nous avons par ailleurs élargi cette démarche à l’ensemble du département puis, plus tard, à la région, et nous avons donc engagé une charte d’implantation et de mise en œuvre des serres dans la région - et ceci avec le Conseil Général du Finistère. Nous avons défini trois axes d’amélioration : le premier porte sur l’eau, le deuxième sur les déchets et le troisième sur l’intégration paysagère – donc ce sont des préoccupations que l’on a retrouvées ce matin dans les discussions.
Alors tout d’abord, pour ce qui est de l’eau, nous utilisons – parce que nous sommes en culture hors-sol – des solutions avec des fertilisants, et, donc, naturellement, il y a des rejets, il y a des drainages de solutions et, jusqu’à une certaine époque, ces fertilisants se répandaient au bord des talus et dans les ruisseaux et finissaient naturellement dans la rade de Brest. Donc nous nous sommes engagés à recycler les solutions nutritives et, au bout de cinq ans, nous sommes arrivés à 80% des surfaces de serres qui utilisent le recyclage des solutions en les désinfectant – avec d’ailleurs, plusieurs méthodes. On peut le faire, soit de manière thermique, par passage de l’eau sur un circuit qui détruit donc les bactéries nuisibles. Plus récemment – depuis trois ans maintenant – on a utilisé des filtres biologiques, qui sont d’ailleurs plus efficaces et dont l’efficacité s’améliore d’une année sur l’autre. La première année, ils étaient un petit peu moins bons mais la deuxième année ils sont devenus excellents, et ça s’améliore encore ; ils permettent de fonctionner en circuit complètement fermé et, donc, d’être économes au niveau de l’eau, d’une part, et d’autre part d’être économes également au niveau des engrais utilisés pour la fertilisation des plantes. Donc voilà une procédure qui s’est engagée depuis maintenant plus de cinq ans, et qui donne un bon résultat.
Au niveau des déchets, nous avions aussi des plastiques utilisés pour les cultures – et c’est vrai que, parfois, ça traînait un peu dans la nature, ce qui n’est pas très agréable - et nous avons donc décidé collectivement de recycler ces plastiques. Nous avons organisé cette gestion au niveau de notre groupement, Savéol, avec une personne qui en a la charge. Donc les plastiques qui rentrent dans l’exploitation doivent être mesurables à la sortie et l’ensemble est contrôlé et géré par nous de manière volontaire.
Autre point d’importance, également, l’insertion paysagère. Effectivement les serres sont des outils qui, même s’ils sont transparents, se voient quand même dans la nature ; d’autres part, elles demandent parfois, pour organiser des surfaces planes, des modifications dans l’équilibre et dans les perspectives du sol. Il est donc nécessaire de penser à l’intégration paysagère. Alors, dans ce domaine, il y a d’ailleurs deux approches qui s’affrontent un petit peu. Les uns pensent – c’est plutôt l’avis de l’architecte paysagiste du Conseil Général – qu’il est souhaitable de créer des talus autour des serres et de remplacer, ou de favoriser en tout cas l’implantation d’espèces qui existent déjà, dans l’ensemble, autour des serres. C’est naturellement une petite difficulté parce que les feuilles s’en vont dans les chenaux et, enfin, ce n’est pas idéal. Alors il faut encore trouver des distances acceptables. D’autres pensent qu’il faut plutôt essayer d’aménager des terrains qui ressembleraient un peu, sinon à un jardin, du moins à quelque chose qui s’approcherait d’un jardin. Donc le débat est ouvert, la question n’est pas réglée. Je pense qu’il y a des possibilités dans les deux cas. Ca dépend un peu de la distance que l’on atteint entre les talus, les arbres plantés et puis les serres.
Nous avons également, plus fondamentalement, modifié un certain nombre de pratiques agricoles.
En effet, nos cultures sont dans des secteurs protégés et, il y a vingt ans, nous avions comme pratique, lorsque des insectes engendraient des dégâts sur les cultures, de faire des traitements avec des produits chimiques. La recherche, là aussi, a fait des progrès importants, et l’INRA a mis au point une méthode qui s’appelle la protection biologique intégrée des cultures qui consiste donc à élever des insectes utiles et à les introduire dans les serres ; ces insectes vont pondre dans les larves des insectes nuisibles, et c’est un insecte utile qui va éclore. On rétablit donc un équilibre de population dans une serre. Vous me direz que c’est plus facile à faire dans un milieu qui est fermé, que de le faire en extérieur. Mais même en extérieur aujourd’hui - je pense par exemple à l’artichaut et à son puceron spécifique – il commence à y avoir des essais assez étendus sur le terrain et qui donnent des résultats.
SA : il vous arrive d’élever, m’avez-vous dit, des insectes pour d’autres utilisateurs ?
Oui, ça nous arrive parce que nous sommes en contact avec d’autres producteurs. Effectivement, nous avons un laboratoire qui nous permet d’élever ces insectes, et c’est vrai que c’est quand même quelque chose de fragile. Mais d’autre part il peut y avoir un petit « raté », et nous sommes donc en relation avec les différents laboratoires qui produisent des insectes en Europe – il y en a en Hollande, en Angleterre, en Italie – et c’est vrai que ça nous arrive de nous « dépanner » les uns les autres, parce que ponctuellement il peut y avoir un petit accident dans l’élevage. Donc sur le « slide », vous voyez en haut, sur la gauche, la mouche blanche, qui est un insecte qui nous cause beaucoup de dégâts dans les serres – et je l’évoquais hier avec un collègue marocain qui se trouve parmi nous, car ils ont des soucis également avec cet insecte. Nous avons deux prédateurs qui sont utilisés pour lutter contre cet insecte. Le premier, qui a une petite tache noire, est Encarcia formosa et c’est un petit hyménoptère ; cet insecte va donc pondre dans la larve et se nourrir de cette larve, et l’insecte qui va éclore est un insecte utile. On peut donc établir l’équilibre des populations. Le problème est que cet insecte se plait bien et se développe bien lorsque les conditions de temps ne sont pas trop élevées en température. L’été, le climat devient donc un problème. Nous utilisons donc un deuxième insecte qui s’appelle le Macrolophus, qui lui a la particularité de se développer lorsque les conditions de température, à l’inverse, sont plus élevées. Et donc la complémentarité entre ces deux insectes nous permet d’assurer une protection des cultures toute l’année. Et ça marche très bien. Par ailleurs, le Macrolophus mange également des pucerons. La coccinelle est là pour le décor, parce qu’elle est très consommatrice de pucerons - mais au stade larvaire. Ca marche bien sur les rosiers et il y a d’ailleurs des villes en France qui ont initié ce type de protection, qui fonctionne très bien. Donc, le consommateur peut acheter des insectes. Nous, nous avons surtout des insectes qui sont plutôt volants, parce qu’il leur faut passer d’un plan à l’autre. J’ai mis un petit bourdon, aussi, sur le côté, pour dire également que la pollinisation des fleurs de tomate se fait par des bourdons. Et naturellement c’est un ensemble. Parce que si vous avez la protection biologique utilisée dans les cultures, et pas de traitements chimiques, les bourdons se développent et vont polliniser toutes les fleurs.
Voici un dernier « slide » sur la gamme de produits utilisés.
Je voulais vous dire aussi que, naturellement, nous sommes dans un environnement qui, en tant que serre, est protégé, et qu’il y est donc plus facile d’y mener ce type de conduite. Mais cette action qui a été conduite depuis maintenant un certain nombre d’années – et Jean-Paul Glémarec en est le témoin, également et régulièrement on a des contacts là dessus – modifie les pratiques et, donc, quelque part, les cultures mêmes des producteurs. Aujourd’hui, c’est devenu une corvée pour un producteur de tomates de faire un traitement – parce qu’il arrive malgré tout qu’il y ait un « dérapage » –, alors que c’était naturel de le faire précédemment. Donc ça montre bien que la réflexion sur un certain nombre d’orientations peut modifier fondamentalement les pratiques et la culture même des gens. Nous recherchons donc en permanence de nouveaux procédés. Je vous ai parlé tout à l’heure d’un filtre biologique pour réduire les bactéries présentes dans les eaux de drainage, et voilà quelque chose qui est récent, qui fonctionne très bien, et qui a été initié par l’INRA, à nouveau. Donc ça devient une préoccupation pour nous de réduire l’impact de nos activités sur l’environnement, et nous considérons que c’est de la responsabilité de notre secteur économique que de le faire.
En conclusion, je dirai qu’il est possible de concilier la recherche de l’excellence dans la qualité des produits, en tomates et en fraises, avec la préoccupation environnementale et la gestion du milieu, et ainsi de préserver l’écosystème de cette superbe baie qui est la rade de Brest que, pour ma part je pratique également en tant que pêcheur amateur, puisque aux dernières marées j’ai pêché six kilos de praires. Je tiens aussi à ce que ça continue et que nos enfants et nos petits-enfants puissent demain bénéficier de ce superbe privilège que nous avons de vivre dans cette rade.
SA : Est-ce que vous faites école ?
Oui. Par exemple, les pratiques dont je vous ai parlé et qui ont été engagées pour l’implantation et la conduite des serres ont été étendues sur tout le département, et sont étendues aujourd’hui sur l’ensemble de la Bretagne. Donc ça veut dire que quand on initie des projets et qu’ils donnent des résultats, on peut aussi, de manière pédagogique, progresser vers la prise en compte sur un plan plus général.
SA : et vous disiez vouloir – et ce sera peut-être la conclusion – arriver à aboutir à une acceptabilité sur le plan social.
Oui, parce qu’il y a compétition - on l’a dit dans les débats de ce matin et d’hier aussi -, il y a débat dans le milieu entre les différentes activités, et c’est normal. Donc je pense qu’il faut faire des efforts pour réussir à concilier notre activité avec le respect et l’évolution du milieu tout en gérant le développement de nos activités.
SA : et l’apport de la science est énorme dans ce que vous dites.
Bien sûr. Si l’INRA n’avait pas mis au point ces méthodes de protection des cultures, ce n’est naturellement pas nous qui étions capables de le faire. Par contre nous avons été les premiers à les accepter, à les intégrer dans notre schéma, et à les décider au niveau de l’ensemble des producteurs.
SA : ces filtres dont vous parlez, qui les met au point ?
C’est également l’INRA. Et nous avons également beaucoup de rapports avec l’école de microbiologie de Brest, avec qui nous sommes en relation étroite, et qui permettent là aussi, comme nous le disait monsieur Bernard Falgas tout à l’heure d’avoir une très grande réactivité dans la connaissance et l’évolution, donc, des résultats d’analyses.
Mis à jour le 22 janvier 2008 à 11:29