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Déficit de connaissances sur le littoral et les outilsDéficit de connaissances sur le littoral et les outils
Catherine Bersani, Inspecteur Général de l’Equipement, rapporteur général de la Commission « Littoral » du Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire.
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Catherine Bersani
Transcription :
7 octobre 2005 TR2
Discours de Catherine Bersani
Rachel Fléaux : - Je vais maintenant passer la parole à Catherine Bersani, qui a été l’une des premières à lancer un message d’alerte sur le littoral et son état. Elle nous parlera également de la mise en place de ce Conseil National du Littoral - que beaucoup appelaient de leurs vœux – et, surtout, elle a envie de nous faire entendre une chose. D’abord, les politiques sont en totale méconnaissance des données scientifiques qui, malheureusement, ne remontent pas ou ne sont pas exploitées. L’autre chose c’est que ça bouge, et que ça doit bouger.
Catherine Bersani :
Merci beaucoup.
Le MESSAGE D’ALERTE dont vous avez eu la gentillesse de parler fut porté par le Conseil National d’Aménagement du Territoire et, ce qui est beaucoup plus important que d’avoir été écrit, il a été entendu !
Une preuve ? La dernière mesure de ce MESSAGE D’ALERTE est la demande de création d’un Conseil National du Littoral : la loi récente sur le développement des territoires ruraux vient d’en poser le principe et un décret en instance de parution organise sa mise en place.
Rappelons en deux mots le sens de ce MESSAGE D’ALERTE.
Il s’agissait d’un constat à l’attention de tous les décideurs et, plus largement, de tous les citoyens :
• l’affluence de la population sur le littoral met en péril son identité même et les savoirs qui lui sont liés. Derrière ce constat deux images, les villages aux volets clos et les ports de pêche désertés…
• la définition du littoral se trouve aussi bouleversée par ce phénomène d’affluence. Dans le langage courant et simplificateur, on entend par « littoral » une étroite bande de contact en terre et mer, celle qui caractériserait leurs influences réciproques. En fait, cette bande révélatrice de l’interdépendance entre la terre et la mer est devenue beaucoup plus large !
Même si la définition statique du littoral comme une bande est largement insuffisante, (le littoral bouge tout le temps et son dessin ne s’accommode pas d’un « arrêt sur image », il est flou...), la géographie croisée des pressions sur le littoral en provenance de la terre comme de la mer a complètement distendu les limites traditionnellement dessinées de cette bande.
Des entretiens comme le colloque auquel nous participons ont comme immense mérite de nous rendre plus conscients de l’intensité et des risques attachés à la violence de ces pressions.
C’est en tout cas l’un des vœux que je forme.
La question au centre du débat est double:
• « Pour quelle politique du littoral faut-il des outils scientifiques ? »
• « Comment les décideurs s’en servent-ils ? »
La réponse s’articulera autour d’une interpellation primordiale et de deux paradoxes, trois déficits, quatre opportunités et cinq conditions.
1°) L’interpellation primordiale à laquelle devra faire face la construction des outils est une mise en garde à propos de la définition du littoral.
Aucune politique ne peut être conçue valablement, ni les outils pour l’assister, si on ne part pas d’une réalité sensible même si la définir le plus fidèlement possible est difficile la réalité du littoral est celle du flou et du dynamique, il se transforme constamment...
Réfléchir à cette caractéristique conduit à rechercher la réponse dans une question : « Qu’est-ce qu’il y a de vraiment nouveau aujourd’hui sur le littoral ? »
La différence majeure qui saute aux yeux entre le littoral d’il y a vingt, quinze ou même seulement dix ans, et celui d’aujourd’hui est évidemment l’échelle à laquelle on appréhende l’influence réciproque de la terre et de la mer.
J’en ai dit un mot, permettez-moi d’y revenir un instant pour énoncer deux observations à propos de ce changement d’échelle.
• La première met l’accent sur la transformation du littoral du Morbihan, représentatif en fait des littoraux de l’ensemble du pays. Aujourd’hui, les prix du marché foncier et la densité d’habitat qu’on trouve d’ordinaire dans la bande côtière proche du rivage, c’est à dire les communes au bord de la mer, apparaissent dans le deuxième canton derrière le canton côtier. C’est beaucoup plus loin, surtout quand on pense que la loi « littoral » de 1986, conçue pour réguler les pressions urbaines spécifiques au littoral, se limite à la commune côtière.
La deuxième observation porte sur la relation entre la terre et la mer :
On pourrait qualifier cette nouvelle relation « d’agressive » : Tout se passe comme si la mer voulait rentrer sur la terre pour y mettre ce qu’elle ne sait plus comment traiter – par exemple les bateaux des ports de plaisance -, et comme si la terre voulait verser dans la mer ce qu’elle ne veut pas, comme les éoliennes, ou comme si elle la traitait en ressource annexe lorsqu’il y a épuisement de ses réserves directes, par exemple le prélèvement de granulats pour bâtir...
L’interpénétration pour le pire (et le meilleur ?) est donc complètement à l’œuvre.
Il y a une sorte de contrepartie positive à cette « agressivité » : c’est le changement en cours tant chez les décideurs que chez les utilisateurs, celui du périmètre des réflexions ; On s’intéresse désormais en même temps à la terre et la mer, non pas comme à une dualité de milieux mais comme à un ensemble indissociable ; la modernisation des conchylicultures passe notamment par là.
Cette nouvelle manière de réfléchir est l’expression d’un concept peu familier en France mais déjà bien connu sur de nombreux rivages dans le monde comme traduction concrète du développement durable: la gestion intégrée des zones côtières (GIZC/AIZC). L’Union Européenne prépare actuellement un Livre Vert sur la politique maritime intégrée qui concerne aussi la zone côtière. Cette démarche s’inscrit en prolongement d’un programme de démonstration datant de 1997 et se développe, à la suite de la Conférence mondiale de RIO (1992), dans le cadre d’une recommandation de 2002. Actuellement la DATAR et le secrétariat général de la mer relaient cette démarche dans notre pays. Un appel à projets a été lancé vers les collectivités territoriales et celles-ci ont clairement relevé le défi…
Pour conclure avec ces observations, il faut donc aussi à côté de la mise en garde initiale, saluer une nouvelle attitude des politiques à propos du littoral.
Peut-être pourrait-on dire que la face d’ombre de cette nouvelle attitude, nous l’avons vu ce matin, c’est aussi que les hommes politiques se prennent à douter, autant sur les perspectives d’évolution du littoral que sur les objectifs du projet qui pourrait y répondre. Il y a là matière à méditer et sans doute à travailler pour les scientifiques…
2°) Les deux paradoxes qui sous-tendent la réponse à la question sont introduits à partir de cette conclusion : il s’agit de la juxtaposition de l’absence de vision qu’on a sur le littoral entendu comme la réunion variable et mouvante de la terre et de la mer, et en même temps de l’extraordinaire multiplicité des interventions qui s’y déroulent.
Absence de vision, parce qu’il y a un défaut d’explicitation des enjeux. L’exemple du foncier vient à l’appui de ce constat de carence à travers deux illustrations :
• Souvent les habitants du littoral ont vendu très cher aux résidents ou entrepreneurs venus d’ailleurs les terrains les plus proches de la mer et ensuite ils découvrent que leurs enfants n’ont plus la possibilité de s’installer, d’exploiter, en un mot de vivre et de travailler sur le littoral.
• Tout le monde est attaché à l’héritage humaniste de la Révolution française, les libertés publiques. La surconsommation du littoral immobile (urbanisation) ou dynamique (fréquentation) risque de les mettre en péril.
La densité d’habitat, donc de constructions et de propriétés closes sur le littoral interpelle évidemment le droit de propriété; une première( ?) réponse est donnée par la servitude dite du sentier du littoral ; par ailleurs, la circulation même seulement pied des habitants anciens et nouveaux et plus généralement des promeneurs du littoral interpelle aussi une autre liberté fondamentale, celle d’aller et venir : quand une grande quantité de personnes fréquente simultanément un lieu, au delà de l’inconfort de la saturation, le seul piétinement lle dénature et le met même en danger de destruction !
Est-ce à dire que l’avenir du littoral passe forcément par une restriction des libertés publiques ? Avant d’en arriver à cette conclusion opérationnelle, il serait souhaitable que cette vision même si elle est difficile à envisager et évidemment conflictuelle, soit présentée et discutée.
Il y a aussi une absence de vision tout simplement par méconnaissance car il entre aussi beaucoup d’idées reçues dans l’image que l’on se fait du littoral…
• Le trait de côte offre une représentation de cette méconnaissance ;il risque d’évoluer dans les deux sens, celui de l’envasement et de la submersion comme celui, à l’inverse, de l’ensablement contre lequel on lutte avec énergie dans la baie de Somme, au Mont Saint-Michel et dans beaucoup d’autres endroits. Pour quelles raisons, avec quels phénomènes déclencheurs et à quel rythme ? Avec quelles alternatives accessibles ? Pourtant on voit apparaître un certain nombre de programmes de défense contre la mer dont les promoteurs ne doutent pas du bien-fondé…
• Autre absence de vision : la méconnaissance de l’origine, de la nature et de l’effet des pollutions comme, On sait que le déballastage en Méditerranée représente dix Erika – voire cinquante Erika d’après le WWF (World Wild life Fund) –, mais est-ce qu’on mesure bien que 90% des pollutions de la mer viennent, elles, de la terre ?
Le deuxième paradoxe réside dans la multiplicité des interventions alors précisément qu’on n’y voit pas très clair et que la concurrence et la confusion des actions risquent d’aggraver les difficultés...
• Un exemple sur la gestion de la mer : L’Union Européenne , on s’en rappelle s’est mobilisée à propos de l’ERIKA et on ne peut que s’en féliciter, mais ici l’union ne fait pas vraiment la force parce que, bien que l’Union Européenne (à 25) soit la deuxième puissance commerciale du monde, elle n’est pas représentée en tant que telle à l’Organisation Maritime Internationale – et ceci n’est pas dépourvu de conséquences sur la sécurité et le droit de la mer, ce sont les Etats avec leurs intérêts divergents de la Grèce à la Finlande qui font valoir leurs points de vue et il en résulte une certaine cacophonie. L’explicitation des enjeux pourrait contribuer à prendre collectivement la mesure du problème et c’est probablement l’un des objectifs de la démarche actuelle de « livre vert ».
D’autres types d’interventions au niveau de l’Etat, des régions, des collectivités territoriales se juxtaposent aussi souvent.
Même si quelques lueurs d’espoir apparaissent :
J’ai été très frappée, récemment, d’interroger des maires sur l’usage d’instruments scientifiques tels que les systèmes d’informations géographiques.
Tous ces maires, qui étaient donc des maires de communes miniatures au regard de l’échelle d’une façade maritime n’avaient qu’un mot à la bouche « Ils nous en faut, nous en avons tout à fait besoin » Et d’ajouter aussitôt : « Nous sommes ceux qui en ont vraiment besoin, ceux qui pourront les utiliser, c’est nous ! Mais c’est nous au sein des intercommunalités ou à l’intérieur de regroupements à des échelles territoriales plus larges ! »
Auparavant, il n’y a pas si longtemps, la politique du littoral fonctionnait comme un duo pour ne pas dire un duel entre le tout petit maire en face d’un Etat omnipotent et entre les deux il n’y avait jamais de territoire pertinent pour envisager des problématiques à géographie intermédiaire, sauf par miracle occasionnel, lors de l’intervention des collectivités territoriales prédéterminées qui voulaient bien s’en mêler, régions ou départements.
Aujourd’hui ce qui caractérise le littoral c’est beaucoup d’interdépendances à mieux comprendre et un peu de solidarité à faire vivre. On peut dire que c’est une amorce de réponse aux paradoxes évoqués.
3°)Combler un triple déficit, voilà cependant à quoi devra s’attacher une réponse vraiment satisfaisante.
D’abord, un déficit de connaissances : il y a des connaissances qui existent et qui sont totalement ignorées. Je travaille depuis trois mois avec des gens très compétents de plusieurs ministères sur l’observation et le recueil des données sur le littoral, et cela m’a permis de constater qu’il existait énormément d’informations disponibles.
Il existe, à disposition gratuite de tous les départements littoraux - et évidemment des régions littorales une représentation photographique du littoral superposable aux cartes IGN d’utilisation du sol incluant l’estran, l’ortho-photo du littoral, élaborée sous l’impulsion de l’Etat et mis en œuvre par le CETE(centre d’études techniques de l’Equipement) de Rouen.
Un autre programme (Litto-3D)qui consiste à rapprocher les travaux du service hydrographique de la marine et de l’institut géographique national pour remédier à l’actuelle solution de continuité entre les cartographies de la terre et de la mer, est en cours de réalisation. Il s’agit de « finir « en quelque le travail de représentation du territoire entrepris par Vidal-Lablache qui aujourd’hui comporte une zone « blanche » de plusieurs kilomètres entre le bord de mer et la pleine mer ; même si les raisons historiques en sont compréhensibles (les marins ne cartographiaient que les zones navigables et les terriens ne cartographient que ce qu’ils voient), à l’heure où les usages de la zone d’approche de la terre et de la mer se concurrencent violemment, cette méconnaissance de la zone de contact paraît surréaliste…
Je sais que la région Bretagne est assez en avance sur ce type de travail, mais j’ai peur que nous n’ayons pas été, en tout cas du côté de l’Etat, complètement capables de valoriser c’est à dire de mettre à disposition les travaux scientifiques qui existent déjà, ni de les compléter.
Le deuxième déficit de connaissances réside en effet dans les questions auxquelles on ne sait pas répondre à l’heure actuelle.
Sous cette rubrique on peut ranger une partie du sujet que je viens d’aborder :
Les questions sur les systèmes d’informations géographiques sont des questions auxquelles on ne sait pas répondre parce qu’on ne connaît pas les réponses qui existent et sur lesquelles il y a eu pourtant beaucoup d’investissements, parfois redondants, parfois insuffisamment développés.
Au delà de l’existence des données elles-mêmes, les méthodes pour les diffuser et pour les utiliser appellent des progrès : par exemple ces données sont rarement inter opérables ; c’est un mot barbare pour dire que chacun peut apporter ses données de nature tout à fait dissemblables (biologiques, socio-économiques, géologiques…) et qu’on peut faire un partage collectif de l’ensemble des connaissances et apprécier leurs sensibilités réciproques.
Mais il y a aussi des questions dont on ne connaît pas la réponse. Nous ne connaissons que 2% de ce qui concerne les océans, ça veut dire qu’on n’en ignore 98% !
Dans le même esprit on relève un déficit assez considérable en sciences humaines. Un ouvrage du type de celui écrit par Michel Crozier sur les dépendances relationnelles à l’intérieur de la manufacture de tabac, serait complètement nécessaire sur la gouvernance. Nous sommes dans des systèmes qui bougent. Le droit bouge tout le temps et le contexte dans lequel il s’applique aussi ;mais, à partir du moment où on évolue dans des systèmes qui bougent, il est extrêmement important qu’il y ait une théorisation, une explicitation et une compréhension – voire une modélisation des systèmes de décision instables.
Certes, le droit prétend agir pour l’éternité et au moins pour fixer des règles immuables, égales pour tous etc.…, mais en réalité l’application du droit se déroule dans le temps et ses composantes sont en transformation continuelle, les acteurs, le contexte... La réponse qui est valable à l’instant « t » n’est plus valable à l’instant « t + un grand nombre de secondes » - voire d’heures et de jours.
Cela signifie qu’il faut apprendre à se doter de marges de manœuvre et à savoir les garantir. Savoir élaborer un droit susceptible de maintenir l’équité et les principes qu’il veut établir dans des environnements plutôt hétérogènes et en perpétuelle mutation (comme les différents rivages de France) signifie que la sociologie du droit doit mieux informer les fabricants de règles de droit. Le seul bilan de l’application de la loi littoral, pourtant une des premières lois organisant la subsidiarité des interventions, montre les progrès à faire pour la gestion de la mer et du littoral.
Organiser la gouvernance, c’est faire en sorte que les solutions des uns ne deviennent pas les problèmes des autres. Cela implique que dans un système dynamique de décision, il faut apprendre à partager usages, droits et responsabilités, et à les partager dans la durée, en adaptant les conditions du partage au mouvements de la vie.
Il y faut des outils d’évaluation et des rendez-vous pour corriger et adapter les instruments d’action en fonction des orientations fixées en commun et des résultats intermédiaires. Donc les sciences humaines et la réflexion sur les nouveaux systèmes de décision en terrain mouvant sont vraiment des champs à explorer
Deuxième déficit, celui de l’imagination : il faut apprendre à regarder autrement. Pour reprendre l’exemple de la loi « littoral » et de son défaut capital, dont personne ne parle jamais et dont il serait urgent de parler, son périmètre totalement étriqué : on sait qu’elle s’adresse aux seules communes côtières, et ce n’est pas parce qu’on a rajouté par-ci, par-là quelques communes estuariennes que la définition du littoral auquel elle s’applique reste pertinente par rapport à la réalité d’aujourd’hui.
On évoquait tout à l’heure le golfe du Morbihan. Le troisième canton derrière la ligne de côte est complètement impacté, ou bouleversé, par les effets de la rareté foncière sur le littoral. Par contre l’aménagement s’y accomplit sans aucune des gardes-fous de la loi « littoral ». Certes la loi SRU du 13 décembre 2000 dit qu’à 15 km de la côte on est obligé de se solidariser entre communes à l’intérieur d’un périmètre de SCOT (schéma de cohérence territoriale)si on veut ouvrir des terrains naturels à l’urbanisation. C’est une vision tout de même très insuffisante de la régulation de la rareté. Donc, regarder autrement la loi « littoral », c’est anticiper cette insuffisance cruelle et c’est la faire fonctionner aussi comme elle aurait du fonctionner depuis son entrée en vigueur c’est-à-dire non pas une loi de rapports de forces, mais une loi de gouvernance, adaptée aux particularités géographiques qui déterminent la localisation et le calendrier des activités humaines. Je rappelle que les solutions des uns ne doivent pas devenir les problèmes des autres, c’est-à-dire qu’on doit apprendre à décider ensemble, avec la perspective de se revoir le lendemain matin quand même, et apprendre à régénérer ce dont on s’occupe, c’est-à-dire à la fois la terre et la mer, sous peine de mettre en cause sa propre survie. Encore faut-il être capable de s’en faire une représentation théorique à une bonne échelle de temps et d’espace.
Il y a, enfin un troisième déficit de prospective.
La prospective, c’est pas seulement un exercice d’imagination, c’est surtout un exercice méthodique d’aide à la décision. Il y a longtemps la délégation à l’Aménagement du Territoire faisait des scénarios de « l’inacceptable » par grandes façades méditerranéenne ou atlantique. A partir de ces scénarios on arrivait à se fixer des caps, et aujourd’hui, on a un certain déficit de caps pour l’avenir du littoral, même si ça et là quelques initiatives (le livre blanc de la DATAR »pour un développement équilibré du littoral », AGORA 2020, le ministère de l’Ecologie sur la prospective de la GIZC, POSEÏDON au Plan, l’observatoire du littoral(IFEN) tentent de relever le défi.
4°) Ce colloque fait apparaître donc quatre opportunités au moins pour les scientifiques.
• La première c’est de transcender les différentes disciplines et de valoriser les savoir-faire. Le Conseil National du Littoral est une instance qui n’existe pas encore, mais qui pourrait jouer un double rôle : rendre visible la problématique du littoral et de la mer, si le Conseil est alimenté de façon convenable – c’est un appel direct à l’ensemble des unités de recherche pour qu’elles communiquent avec cette instance !
• La deuxième serait de parler haut et fort au nom du littoral, puisque le littoral et la mer – la mer encore plus – est toujours minoritaire dans le public auquel elle s’adresse. La commune du littoral est minoritaire parmi les communes, le canton côtier est minoritaire dans le département, le département est minoritaire, et on poursuit la chaîne comme dans la comptine…Il lui manque toujours pratiquement 180° de voix !
• Il y a une troisième opportunité, apprendre à gérer la dynamique ou la cinétique, le mouvement en somme. C’est important dans tous les domaines qui touchent au littoral : à propos de la gouvernance - dynamique juridique et dynamique de décision - et aussi à propos de la dynamique du trait de côte, par exemple.
Il faut savoir quelle politique on a sur le plan foncier, sur le plan biologique et sur le plan de la gestion de l’eau quand la mer avance, ou quand la terre recule.
Il s’agit de dynamiques que nous n’aurons pas le choix de ne pas apprendre à gérer.
• Et enfin, la quatrième opportunité consiste à faire mieux connaître la recherche avec les efforts d’investissements qu’elle appelle. Il y a une très grande sensibilité sur la mer et le littoral qui se développe de plus en plus. Donner de la visibilité aux problématiques c’est en même temps attirer l’attention sur la nécessité de se doter des connaissances et des « inventions » qui font défaut à l’heure actuelle. L’éducation collective sur la mer et le littoral ; cela consisterait également à « surfer » si l’on ose dire sur la vague de l’opinion publique et profiter de l’intérêt éveillé pour mieux qualifier et renseigner ce partenaire incontournable Le public et ses variations sont donc quelque chose qu’il faut connaître en détail surtout mieux informer.
5°) Cinq conditions sont indispensables pour espérer le succès de l’entreprise, faire bénéficier effectivement le littoral des avancées scientifiques.
• Je pense qu’il est indispensable de lier la mer et les côtes. Il ne s’agit pas d’avoir d’un côté une politique de gestion intégrée des zones côtières – même si elle est un peu maritime sur les bords – et de l’autre côté une politique intégrée de la mer, et que ces deux politiques-là soient désintégrées l’une par rapport à l’autre.
• Deuxièmement, il y a un dialogue indispensable entre quatre types de partenaires, les autorités gouvernementales et les collectivités territoriales, les organisations non-gouvernementales – alias le secteur associatif et toutes les organisations internationales - et les acteurs économiques.
• Il faut apprendre à reconnaître le rôle de création de richesses de la mer et du littoral. Les pressions du littoral sont économiques et financières au détriment souvent de la protection, la zone côtière étant vue comme un stock passif et fragile. En fait le littoral et la mer sont créateurs de richesses et doivent être gérés comme un capital en développement, avec les mêmes exigences d’amortissement ou de renouvellement que n’importe quel équipement productif ; y compris dans la répartition des bénéfices. Il faut cesser de considérer la mer et le littoral comme un comme l’affaire de tout le monde ou de personne et les réintroduire dans un système de pensée économique et holistique, donc
• La quatrième condition c’est qu’il y ait un porte-parole actif qui puisse s’exprimer au nom des océans, aujourd’hui considéré comme no man’s land…et partant sans voix ! certains Etats, le Canada ou l’Australie élaborent des politiques au nom des océans. En France il serait absolument temps de s’y mettre, d’autant plus que dans une loi récente on a prévu que les élus pouvaient incorporer une préoccupation maritime dans leur planification. En Bretagne on n’a pas attendu la loi pour le faire mais ailleurs ?. Cela signifie que l’Etat qui en est aujourd’hui le garant, doit s’exprimer de façon explicite. Et parler au nom des océans –pour dire quoi ?- est un sujet qui interpelle à la fois les décideurs et les chercheurs.
• Il y a enfin, un sujet majeur : l’eau tantôt douce, tantôt saumâtre, tantôt salée, et on ne peut pas avoir une politique de l’eau seulement douce, ou de l’eau seulement salée, ou de l’eau seulement saumâtre à travers les zones humides. Il faut avoir une relation politique durable entre tous les problèmes d’approvisionnement en eau, de qualité de l’eau et la relation avec la mer. C’est l’enjeu de la directive-cadre sur l’eau mais là encore il y a du travail pour les scientifiques comme pour les acteurs opérationnels afin de retrouver la continuité des politiques.
En conclusion, je voudrais dire que, pour moi, le littoral, au sens large et extensif du terme, c’est une nouvelle frontière. Et c’est une frontière qui n’a pas de territoire, c’est une frontière cinétique. On peut apprendre à vivre et à bien gérer ce qui est flou et ce qui bouge, mais ça veut dire qu’il ne faut pas d’arrêt sur image, qu’il faut simplement apprendre à bouger au même rythme. Et comme bouger, c’est être vivant, j’en appelle à tous les décideurs pour qu’ils soient vivants et qu’ils bougent avec l’eau, le sable et la mer.
Mis à jour le 21 janvier 2008 à 15:39