2005 : Le littoral et les avancées scientifiques > TR 1 : Un littoral, des approches diversifiées >
Discours d'ouvertureDiscours d'ouverture
André Lespagnol, Vice-président du Conseil Régional de Bretagne, chargé de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation
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André Lespagnol
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7 octobre 2005 Ouverture
Discours de André Lespagnol
Monsieur le maire, monsieur le Préfet maritime, monsieur le Président du Conseil Scientifique et l’ensemble des collègues et amis qui participent à ces journées.
Je dois dire d’abord que je suis très heureux de pouvoir représenter pour la deuxième fois le Conseil Régional de Bretagne à cette neuvième édition des entretiens Science et Ethique, qui ont pour vocation affichée de mettre en relation directe le monde des chercheurs et la société civile au sens large. Cela englobe aussi bien des professionnels de divers métiers concernés que le public scolaire, qui est ici nombreux, et le grand public en général, sur une thématique importante - et en l’occurrence particulièrement bien choisie pour une région comme la Bretagne - puisqu’il s’agit du littoral. Cet objectif général de diffusion de la culture scientifique et technique et, plus profondément, de ce qu’on appelle « l’appropriation sociale de la science » correspond pleinement à une priorité du Conseil Régional de Bretagne. C’est à ce titre que nous soutenons cette manifestation, à la fois matériellement et moralement si je puis dire, à travers ma présence en cette matinée. Et ma collègue Janick Moriceau, qui est vice-présidente chargée de la mer, présidera cet après-midi une deuxième session de vos entretiens.
Ceci étant, au-delà de ce rôle institutionnel, je voudrais ajouter à votre demande, madame Brigitte Bornemann-Blanc, un petit grain de sel intellectuel plus personnel dans l’introduction de ces journées de colloque, cette fois-ci en reprenant pour un bref moment ma casquette d’historien pour éclairer un peu cette problématique du littoral qui m’intéresse personnellement et sur laquelle j’ai travaillé – y compris assez récemment –, à partir d’une approche et d’un questionnement relevant des problématiques des « sciences sociales ».
Commençons d’abord, par une première remarque qui nous ramène au mot, ce terme de littoral est un terme assez récent. C’est une création du XIXè siècle, je crois. On le voit apparaître très timidement, dans le Littré : « Littoral : qui appartient au bord de la mer ». On n’est pas vraiment dans une définition très argumentée, et on essaie de redoubler en quelque sorte un mot du langage commun, soit le bord de mer ou le rivage. En fait, ce terme de littoral devient un concept dans la seconde moitié du XXè siècle, essentiellement à travers les travaux des géographes qui ont été véritablement - me semble-t-il - ceux qui ont donné un sens, un contenu, à cette notion de littoral en le pensant non pas seulement comme le trait de côte, mais comme une zone d’interface entre la terre et la mer. Et, depuis quelques décennies mais depuis assez peu de temps en fait, ce terme de littoral s’impose dans les problématiques à la fois scientifiques et politiques, à travers toutes sortes de problèmes qui ont été évoqués par François Cuillandre dans son discours d’ouverture. Je crois qu’il faut en avoir conscience. Ce qui m’a frappé, cependant, c’est que dans le petit film qui a été présenté tout à l’heure, le terme de littoral était approprié par les jeunes élèves d’Ouessant ; c’est quelque chose qui montre comment un mot devenu concept peut désormais faire partie du vocabulaire courant, au moins pour ceux qui vivent sur le littoral – ce qui est leur cas, bien évidemment.
Au-delà de ce concept, je voudrais dire d’autre part en qualité d’historien que la réalité même de la zone littorale, cette interface entre terre et mer, c’est quelque chose qui, d’un point de vue naturel, évolue lentement, même s’il y a des évolutions dans la durée que le professeur Lucien Laubier a évoqué rapidement tout à l’heure ; mais du point de vue de l’intervention de l’homme, d’un point de vue anthropologique, c’est une réalité évolutive dans la durée de l’Histoire – c’est-à-dire une assez courte durée par rapport aux temps géologiques, bien évidemment. Et il faut prendre conscience que la perception que l’on a aujourd’hui du littoral est une perception qui est définie de manière assez neuve par rapport à d’autres époques, et qu’il y a eu des césures dans les rapports entre l’homme et le littoral à travers un certain nombre de ruptures.
La première rupture, rappelons-là pour mémoire, a eu lieu lorsque l’homme a commencé à maîtriser les techniques de la navigation. Cela a introduit un élément nouveau dans les rapports de l’homme avec le littoral, puisqu’il n’était plus seulement limité à la terre. Il devenait cette interface entre la terre et la mer, avec toutes sortes de retombées économiques.
Un deuxième type de césure très importante concerne les césures politiques dues à l’irruption de l’Etat sur le littoral. Pendant un temps, dans l’histoire de l’Humanité, le littoral a été une zone un peu à la marge, une limite, une zone frontière mal contrôlée. Et parmi les phénomènes importants qui ont influé sur le littoral, il y a eu l’intervention de l’Etat. Pour la Bretagne, cela remonte à assez longtemps. Il y a eu une première irruption de l’Etat au temps de l’Empire Romain, et le château de Brest, où réside l’Amiral, a été au départ une forteresse du Bas-Empire Romain. Mais après l’effondrement de l’Etat au Moyen Age, c’est entre le XIIIè et le XVIIè siècle – et surtout au XVIIè siècle – que l’Etat s’impose sur le littoral et devient organisateur du littoral. On en conserve toutes les traces ici, dans cette Bretagne occidentale, c’est tout à fait évident à travers l’installation de la marine et l’installation de tout cet appareil de fortifications qui ont modelé le rivage et modelé aussi les hommes - des hommes qui, sur le littoral, ne vivaient pas comme les autres à travers notamment l’instauration de l’inscription maritime qui les a engagés très tôt, plus tôt qu’ailleurs, dans une conscription d’Etat qui a modifié tout à fait les comportements sociaux, voire culturels.
Soulignons aussi dans cet historique des rapports de l’homme au littoral, une césure culturelle très importante à la charnière des XVIIIè et XIXè siècles qui a été analysée par l’historien Alain Corbin. En effet, à un moment donné, le littoral, qui était une zone répulsive, une zone qui était considérée comme un peu étrangère, barbare, etc.…, est devenu attractif y compris pour les populations de l’intérieur, et on est alors passé des « côtes barbares » au « désir de rivage ». Et c’est à partir de là que surviennent des conséquences démographiques, et que nous allons passer de ce qu’Alain Corbin appelait « le territoire du vide » qu’étaient certaines zones littorales – par exemple sur le littoral méditerranéen où le littoral, avant le XIXè siècle, c’était des marais, des côtes menacées par les pirates barbaresques, c’était des zones que l’on fuyait pour installer les villages en hauteur à l’intérieur. A partir du XIXè siècle il y a une césure majeure : l’attractivité du littoral se développe et, à partir de là, nous allons vers un littoral qui se peuple, qui se remplit d’hommes et qu’on passe du « territoire du vide » au « territoire du plein ». Et nous sommes maintenant peut-être dans la phase du « territoire du trop-plein ». C’est l’un des problèmes que nous avons à gérer, le processus de littoralisation est en cours, et le professeur Lucien Laubier a évoqué les scénarios démographiques pour les prochaines décennies. C’est devant nous, avec tout ce que cela peut impliquer comme conséquences, comme le président de Brest Métropole Océane l’a évoqué tout à l’heure…
Et puis le littoral, bien évidemment, c’est un monde de la complexité. Parce que c’est une interface entre terre et mer, c’est un monde de complexité naturelle, d’abord, entre les phénomènes d’érosion, d’alluvionnement et de mélange de l’eau douce et de l’eau de mer, avec toutes sortes de conséquences économiques parfois fâcheuses, ou qu’il faut en tout cas observer, de mélange, de mixité des activités, des types de population, de mélange aussi des pouvoirs. Ce monde de la complexité est aussi confrontés à différents types de positionnement. Le littoral peut être un secteur, une zone d’attractivité, mais le littoral a été et demeure une zone dangereuse. Il est attractif, mais il est en même temps menaçant. Ce fut pendant longtemps la zone par laquelle pouvait venir l’invasion. Les Vikings, en Bretagne, n’ont pas été un détail, et la pression de la Royal Navy sur nos côtes n’a pas été non plus un épisode secondaire pendant plus de 100 ans, aux XVIIè et XVIIIè siècle. Et puis aujourd’hui on a d’autres menaces, les unes naturelles comme les ouragans, les cyclones et les tsunamis – on est dans l’actualité –, ou bien les produits de l’activité des hommes telles les marées négatives, si je puis dire, qu’elles soient noires ou qu’elles soient vertes. On voit que le littoral est une zone de danger, et que persiste cette double dimension dans le rapport actuel de l’homme contemporain avec le littoral.
À travers cette complexité, le littoral est actuellement une zone de contradictions - de contradictions multiples, y compris dans le regard que l’on jette sur lui pour projeter son avenir. Faut-il – et on a la double tentation – préserver ce qu’il y a de plus beau et auquel on est le plus attaché dans le littoral ? C’est la vision du littoral à sauver, à préserver, à conserver, et le Conservatoire du littoral y joue son rôle. C’est aussi le patrimoine culturel maritime, avec les vieux gréements, les chants de marins et les petits ports à l’ancienne qu’on aimerait voir sauvés dans tout ce qu’ils ont eu de charmants et qu’ils représentent pour nous d’affectif. Donc le littoral peut être vu comme espace de nostalgie - espace de nostalgie à préserver et pouvant attirer, d’ailleurs, des retombées touristiques non négligeables.
Et puis d’autre part, est-ce que le littoral, c’est seulement ça ? Est-ce que ce n’est pas aussi un espace de projets ? Est-ce que le littoral ce n’est pas le siège, le lieu où émergent des activités nouvelles high-tech, bio-tech, ou des énergies renouvelables ? C’est toute la démarche qui est celle, par exemple, des pôles de compétitivité auxquels il a été fait allusion par François Cuillandre tout à l’heure, et auxquels bien sûr une Région comme la Bretagne participe très directement.
C’est aussi évidemment, en fonction de ces contradictions, un lieu où se multiplient les conflits d’usage. Conflits d’usage pour un espace qui devient de plus en plus rare, avec flambée du foncier et de l’immobilier, conflits d’usage entre plaisanciers et pêcheurs, entre agriculteurs et conchyliculteurs, entre marins de différentes catégories, entre ceux qui regardent vers un littoral à préserver et ceux qui voudraient en faire un lieu de modernité et d’attractivité d’activité économique… Bref ! C’est un lieu qui se prête, sur le plan scientifique, aux analyses multidisciplinaires organisées. Je suis chargé de la recherche au Conseil Régional de Bretagne et nous encourageons bien évidemment tous les types de recherche qui essayent de combiner les différentes approches disciplinaires pour essayer de voir clair sur ces multiples problèmes qui se posent sur le littoral.
De plus, ce littoral fragile, menacé, précieux, est en même temps un banc d’essais pour des politiques de gestion intégrée du littoral. Est-ce que cette expression désigne un placebo, un voeu pieux, je ne sais pas. Je crois en tout cas que c’est un chantier sur lequel beaucoup s’activent, au nom de la collectivité que je représente comme au nom d’une métropole comme le pays de Brest. En tout cas, c’est une orientation. C’est clair qu’il faut mettre autour de la table tous les acteurs concernés par le développement durable du littoral, étant entendu que nous sommes tout à fait persuadés que dans cette expression « développement durable », il y a là aussi une contradiction. Mais peut-être que l’approche scientifique multidisciplinaire nous permettra de surmonter la contradiction.
Je vous remercie.
Mis à jour le 21 janvier 2008 à 14:42