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2007 : Les énergies de la mer > TR2 : Retours d'expériences, R&D et innovations : Rôle des collectivitées, les recherches en France >  Shamash, Biofuel à partir de microalgues

Shamash, Biofuel à partir de microalgues

Jean-Paul Cadoret, Ifremer Nantes, projet labellisé Pôle mer PACA (Ifremer, Inria, CNRS, CEA, PME Valcobio)

Compte rendu :

Voir la vidéo de Jean-Paul Cadoret

Téléchargez la présentation.


Transcription :


18 octobre 2007 TR2


Discours de Jean-Paul Cadoret :



Le projet SHAMASH Produire des biocarburants lipidiques par des microalgues

Résumé : les deux questions majeures :
. Première question : A quel coût peut-on produire un litre de biodiesel à partir d’algues ? Les marges sont importantes, mais nous sommes de 10 à 100 fois trop chers pour produire du biocarburant à partir de micro-algues.
. Deuxième question porte sur la gestion intégrée. Quelles sont les surfaces mobilisables pour faire de tels volumes de biocarburant à la fois en France et aussi dans le monde ?



Je vais vous présenter le monde des micro-algues. J’ai bien pensé demander une heure et demie, mais c’était un peu long et même en une heure et demie je n’aurais peut-être pas fini.
C’est un monde extrêmement varié ; il y a bien sûr les algues vertes, mais il y a aussi les rouges, les bleues, les brunes, les jaunes, les petites, les grandes (20-25 microns)(1) . Dans une goutte d’eau, il y a quelques millions de micro-algues de 10/15 microns qui sont autonomes ; ce sont des êtres plutôt dotés d’un noyau.
Je voulais vous montrer la diversité : c’est un monde très varié, à l’image de ce que l’on trouve sur terre avec de belles algues vertes, rouges, brunes, dorées et avec des systèmes biologiques extrêmement différents. En fait, on trouve des micro-algues un peu partout, dans des flaques, sur un iceberg, dans les geysers par 40° à 50°. On en trouve à pH 0,5 et même moins, ce qui est plus acide que votre estomac, On en trouve aussi sur les murs des maisons, dans les milieux désertiques, ce qui explique par exemple la survie des populations du lac Tchad qui ne sont pas carencées en alimentation et le développement très rapide de la spiruline. Il faut bien imaginer les systèmes de réparation qui permettent à ces végétaux unicellulaires photosynthétiques de survivre dans des conditions relativement extrêmes.

(1) 1 micron = 1 millième de millimètre

On peut cultiver les micro-algues sur de très grandes surfaces : à Hawaï par exemple on les cultive pour colorer le saumon - ce qui représente un marché de plusieurs millions de dollars. On peut aussi les mettre dans ce que l’on appelle des race ways, où le contrôle est plus important, puis diminuer en capacité de culture, de façon de plus en plus contrôlée, dans des tubes, des systèmes continus, en batch, où elles peuvent rester pendant plusieurs semaines.

Dans mon laboratoire il y a toutes sortes de photobioréacteurs qui sont destinés à l’analyse : soit sous l’angle du nutriment, ou de la lumière, particulièrement important dans le cas du biodiesel. Il existe aussi des systèmes contrôlés en CO2, ce qui est particulièrement intéressant pour le biodiesel.

Pourquoi faire du biodiesel à partir de micro-algues
Les micro-algues ont de grandes capacités à faire des réserves en lipide, en huile. Que ces réserves soient utilisées pour nourrir des huîtres ou des crevettes, qu’elles soient transformées en bio-carburant et brûlées par un moteur, ou qu’elles soient vendues dans l’industrie nutraceutique pour leurs Oméga 3, c’est la même chose pour nous. Ce sont ces réserves que nous étudions dans le cadre de nos travaux.

Les utilisations sont très nombreuses, certaines sont très importantes, d’autres un peu moins. On considère que les micro-algues ont un rendement synthétique beaucoup plus élevé que les plantes terrestres. Il y a beaucoup de raisons à cela. Il y a le fait qu’elles sont très concentrées, exposées à la lumière, relativement autonomes, qu’elles ne font pas de racine, pas de tige. Ce rendement plus important induit un rendement de croissance à l’hectare supérieur. Deux raisons majeures rendent les micro-algues vraiment très intéressantes. On les cultive dans de l’eau de mer, donc il n’y a pas de conflit majeur sur l’eau douce dans le monde. C’est le premier avantage.
Le deuxième c’est que, malgré les très importantes surfaces de culture de micro-algues, il n’y a pas non plus de conflit avec les cultures alimentaires. Ceci est un point d’achoppement majeur que l’on voit maintenant apparaître dans tous les dossiers qui parlent de agrocarburant. A ce titre, on parle de déposer le terme de « algocarburant ». Je le donne pour la première fois aujourd’hui.

Ce sont les avantages les plus importants, il y en a d’autres. Si l’on travaille en continu sur des milliers de litres, on peut gérer l’intrant, la rentrée d’azote, de phosphore, de tout ce qui va être le nutriment. C’est beaucoup plus difficile dans un champ, mais nos collègues y arrivent sur terre. On espère aussi maîtriser le cycle de l’azote et du phosphore parce que – on y reviendra tout à l’heure pour le CO2 – on peut très bien coupler les grandes étendues de culture de micro-algues avec des stations d’épuration, voire des bassins versants d’élevage ; en Bretagne, vous savez de quoi je parle.
Les micro-algues peuvent être récoltées en continu, ce qui pourrait paraître un inconvénient, car il faut tout le temps être mobilisé mais cela permet un approvisionnement relativement régulier par rapport à une récolte annuelle en champs. Ensuite, les apports de phytosanitaires sont a priori bien moindres - il reste encore beaucoup de recherches sur ce sujet - et les sous-produits, que l’on pourrait appeler les co-produits, sont hautement valorisables. Enfin dernier avantage c’est une technologie exploitable : beaucoup de pays dans le monde ont de très importantes surfaces mobilisables pour cultiver des micro-algues.

Les américains leaders jusqu’en 1996
Pour une juste évaluation chiffrée, il a été très important de reprendre les chiffres qui circulaient à l’international. Les leaders sur ce sujet sont les Américains qui ont eu un programme très ambitieux de 1974 à 1996 – ce qui est tout de même relativement ancien en tout cas pour nous. Leur programme a été brutalement arrêté en 1996 pour des raisons à la fois économiques et politiques ; économiques puisque le prix du baril de pétrole était à 20 $, et politiques avec l’arrivée d’une nouvelle Administration. De dépit, nos collègues ont mis en ligne 150 pages de données très précieuses pour la communauté qui travaille sur le diesel mais qui, par contre, comportent des chiffres parfois un peu extrapolés, voire à la limite du réel. Il a donc fallu faire un gros travail de recalage des chiffres au niveau mondial.

Quels rendements potentiels
Il faut remettre en perspective les rendements en gramme par jour du colza et du tournesol au m2 et les rendements donnés sur les algues. Certaines données pour les micro-algues sont réelles et d’autres sont des calculs qui restent théoriques, ce qui fait que les données américaines sont extrapolées de données pilotes et sont parfois à la limite de ce qui est crédible.

Il y a aussi les données d’un petit producteur vendéen qui existe depuis une dizaine d’années et qui nous a fournit ses données personnelles : Innovalg. On constate que, même avec des données réelles du monde commercial dans lesquelles l’hiver est inclus, c’est-à-dire un moment de culture beaucoup moins intense, on obtient des rendements en grammes par m2 par jour supérieurs à ceux du tournesol et du colza.
J’ai mentionné les données algues des USA presque par dérision car on est au-delà même des possibilités théoriques. Mais on n’a pas besoin d’être à la marge de la vérité pour que ce sujet reste intéressant avec des données très réalistes qui sont celles que j’ai nommées « algues Ifremer ». Ces données montrent que le rendement en litre d’huile par hectare est déjà à 4, 5, 6 fois supérieur à celui de la meilleure huile de palme.

La question des co-produits potentiels revient très souvent. Les micro-algues sont d’une extraordinaire diversité ; j’espère vous l’avoir montré à la fois en termes de couleurs, de pigments, d’adaptations. Ce qui signifie qu’il y a autant de molécules originales. C’est une algue qui est capable d’avoir des systèmes de réparation à 0° ou à pH 0,5, qui peut vivre presque au sec. Ce sont des eucaryotes très divers et encore inexploités, leur diversité peut se comparer à celle des bactéries. C’est une sorte d’Amazonie ou d’Eldorado où tout est à faire et une nation comme la France, et des régions comme la nôtre, ont une place prépondérante à prendre qu’elles n’ont malheureusement pas encore prises. Mais il est encore temps.

Les algues multi-fonctions
On peut envisager de commercialiser toutes sortes de produits à partir des algues. Bien sûr c’est une alimentation incontournable de tout ce qui est mollusques, poissons et crevettes. Une fois le tourteau obtenu, il peut servir de combustible ou d’engrais. Il y a des produits à haute valeur ajoutée. Là, on n’est plus dans la même échelle que pour le Biodiesel, les prix au Kg ou au gramme sont bien supérieurs. On peut envisager de commercialiser des vitamines ; les phospholipides sont, bien sûr, au centre de ce travail. Il existe une société américaine d’une cinquantaine de personnes, Martech, côtée au Nasdacq, qui vend des Omega 3 obtenus à partir d’algues à des prix de 200 €, 300 €, 400 €, 500 € le kilo. Je vous rappelle que pour le biodiesel, on parle de 1 € le litre ou alors cela n’a pas de sens. On n’ira pas à la pompe à 100 € le litre. On n’est pas du tout dans le même domaine.

Les produits et tout ce que l’on peut envisager de commercialiser grâce aux migro-algues forment un ensemble très important : les enzymes, les sucres, les anti-oxydants, certes à la mode mais qui ne sont pas négligeables en termes d’industrie, le silicium et les exos polysaccharides, totalement sous-exploités. Ce sont des sucres complexes, dont certains sont d’ailleurs brevetés. Certains sont employés comme substitut de l’héparine qui est un anticoagulant, d’autres sont étudiés pour la reconstitution osseuse. Le champ d’application est absolument phénoménal. On peut peut-être envisager que le biodiesel devienne un jour le co-produit de ces travaux, étant donné les coûts pour faire du carburant à base de lipides et de micro-algues.

Un potentiel français et le consortium SHAMASH labellisé ANR.
Il existe clairement en France à l’heure actuelle une place importante pour créer une sorte de fédération autour de ce sujet. Il existe de très bonnes équipes, mais elles sont totalement dispersées, les masses critiques sont inférieures à celles qu’elles devraient être et les mises en commun de moyens le sont aussi. Là, les régions maritimes ont une place.

Il y a trois sortes d’huiles - les huiles saturées, les huiles mono-insaturées et les huiles poly-insaturées - à l’intérieur des différents végétaux qui les produisent. Dans les données issues du consortium Shamash financé par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) on constate que le colza est plus ou moins bien une huile idéale et pourtant, des moteurs tournent à l’heure actuelle à l’huile de colza. Il y a des travaux aussi sur d’autres algues dont je ne vous donnerai pas les noms parce cela fait partie des travaux qui doivent être brevetés. Mais si l’on considère ces trois composantes - saturé, mono-insaturé, poly-insaturé - certaines algues, notamment les diatomées, n’ont absolument pas à rougir et s’approchent de ce que l’on pourrait considérer comme une huile idéale pour la combustion.

Les Américains ont travaillé de 1976 à 1996, ce qui ne veut pas dire qu’ils ont arrêté, mais le consortium américain est financé par le Département de l’Energie américain. De nombreuses autres équipes sont actives dans le monde : les Anglais, les Allemands, les Australiens, les Néo-Zélandais, les Italiens, les Canadiens et j’en oublie. Jusqu’à il y a deux ans, il n’existait pas en France de groupe de recherche organisé sur ce sujet. L’INRIA basé à Sophia-Antipolis, a proposé de coordonner un projet baptisé Shamash. J’ai ainsi appris que Shamash est une divinité babylonienne dont le symbole est un soleil dans une roue. Ce projet ANR regroupe des motoristes du CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), qui font déjà tourner des moteurs avec de l’huile de palme en Afrique et en Asie, des collègues spécialisés dans l’extraction d’huile à partir de végétaux, des gens du génie des procédés. Ces derniers sont là pour une raison relativement simple : cultiver des algues, c’est jouer avec la lumière. En effet plus on en cultive, plus on a une biomasse importante et plus elles se font de l’ombre. Le problème paraît très simple, mais trouver la solution est un travail de mathématicien, c’est du génie des procédés. Comment exposer au maximum de lumière, dans n’importe quel volume d’eau, une particule qui représente une algue ? C’est pourquoi on a des chercheurs de l’INRIA et de l’Université de Nantes spécialisés dans ce domaine et également une petite société qui nous a rejoint.
Le financement se monte à 1 million € pour les 7 partenaires. C’est très faible au regard des investissements mondiaux à l’heure actuelle, mais je fais comme mes collègues, je remercie l’ANR de nous avoir donné ce million d’euros pour pouvoir lancer ce sujet en France.

Dans un monde idéal on aurait un ensemencement des algues qui pousseraient au soleil et qui deviendraient une biomasse très importante d’où l’on extrairait l’huile qui serait utilisée dans un moteur. Les co-produits pourraient être vendus et participeraient à l’abaissement des coûts du projet. Les restes pourraient être fermentés et réutilisés pour redonner de l’énergie aux futures algues. On pourrait, de plus, bénéficier des stations d’épuration, sources d’azote et de phosphore, ou d’autres stations ; on pourrait aussi se positionner à la sortie des cheminées des centrales thermiques qui fourniraient le CO2 dont ces végétaux ont besoin.

Au dernier recensement il y a à peu près 60 sociétés dans le monde qui travaillent sur micro-algue et biocarburant. Les niveaux d’investissement sont énormes puisque la base, c’est le million de $. Greenfuel Technology par exemple, qui est en tête de ce sujet avec des procédés brevetés, vient d’obtenir 20 millions de $. Solid Bio-fuel, a obtenu 10 millions de $. Il y a des compagnies pétrolières derrière certaines de ces sociétés telles que PETROSUN. A l’heure actuelle, des essais en grandeur réelle sont réalisés en Sicile par l’ENI - le TOTAL italien - sur quelques hectares avec des équipes très compétentes. Cela bouge énormément. Boeing a eu le malheur d’annoncer au Salon du Bourget que ses avions allaient voler dans les années à venir avec du kérozene à base d’algues et mon téléphone n’a pas cessé de sonner ! Le mouvement est très important au niveau international avec de très bonnes mobilisations de capitaux.
Je vais vous donner quelques exemples. Greenfuel Technology a installé dans le Massachussets des cultures de micro-algues qui peuvent récupérer le CO2 d’une centrale à charbon. Les chiffres de cette société, leader dans le monde, sont la plupart du temps faux. La seule chose qui est vraie, c’est qu’avec des chiffres faux ils ont réussi à avoir 20 millions de $ ! On pourra à l’occasion reprendre les calculs.

Il reste deux questions majeures :
. Première question : A quel coût peut-on produire un litre de biodiesel à partir d’algues ? Les marges sont importantes, mais nous sommes de 10 à 100 fois trop chers pour produire du biocarburant à partir de micro-algues.
. Deuxième question porte sur la gestion intégrée. Quelles sont les surfaces mobilisables pour faire de tels volumes de biocar
burant à la fois en France et aussi dans le monde ?
Je vous remercie de votre attention.

Le projet SHAMASH Production de biocarburants lipidiques par des microalgues Pôle mer PACA
http://www-sop.inria.fr/comore/shamash/equipes.html
. INRIA coordinateur Olivier Bernard
. IFREMER Nantes : Jean-Paul Cadoret : Responsable du Laboratoire de Physiologie et Biotechnologie des Algues
. LOV (Laboratoire d’Océanographie de Villefranche) UMR 7093 Villefranche sur mer
. LB3M (Laboratoire de Bioénergétique et Biotechnologie des Bactéries et Microalgues) CEA Cadarache http://www-dsv.cea.fr/lep
. GEPEA (GEnie des Procédés Environnement Agroalimentaire), UMR-CNRS 6144, Université de Nantes http://gepea.univ-nantes.fr
. LGPEB (Laboratoire de Génie des Procédés et d’Elaboration de Bioproduits), UMR Cirad 16. : http://www.cirad.fr/fr/pg_recherche/ur.php?id=40
. Société Valcobio Parc industriel de la Cassine 04310 Peyruis
. LPPE (Laboratoire de Procédés Propres et Environnement), UMR CNRS 6181 MSNMGP, Université Paul Cézanne Aix Marseille http://www.l3m.univ-mrs.fr/equipeFluideSuperCritique.htm





Mis à jour le 06 mars 2008 à 11:48