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Discours de Didier Houssin : La xénogreffe: de grands espoirs autour d'un vieux projetDiscours de Didier Houssin : La xénogreffe: de grands espoirs autour d'un vieux projet
Directeur général de l'Etablissement Français des Greffes
Biographie :
HOUSSIN DidierCompte rendu :
Transcription :
23 octobre 1998 TR3
Discours de Didier Houssin :
Résumé : Les progrès de la recherche médicale permettent d’envisager des greffes d’organe, de tissus ou de cellules vivantes d’origine animale.
La xénogreffe répond à une exigence d’ordre thérapeutique. Elle cherche, par la greffe d’un organe, de tissus ou de cellules vivantes d’origine animale, à soigner un receveur humain malade. Elle pourrait résoudre le principal problème de faisabilité que pose l’allogreffe : l’obtention d’un greffon.
Le projet de xénogreffe chez l’homme est un vieux projet. Sans remonter jusqu’aux chimères ou aux premières greffes de tissus xénogéniques, c’est tout de même dès 1905 que Jaboulay à Lyon fit la première tentative de greffe d’un rein d’animal chez l’homme, sans succès. Depuis la fin des années 80, une meilleure connaissance des mécanismes du rejet des xénogreffes a enfin permis de faire envisager, de manière réaliste, des méthodes efficaces de prévention de celui-ci, et donc un terme à la longue série des échecs de xénogreffe.
La xénogreffe chez l’homme, qu’elle fasse appel à un donneur primate ou au porc, revient à tenter d’effacer les différences biologiques établies au cours de plusieurs millions ou dizaines de millions d’années de divergence, dans le cadre de l’évolution des espèces. Si les primates supérieurs, dits anthropomorphes, sont rapidement écartés, si le babouin garde quelques partisans, le porc, pour de multiples raisons, notamment de commodité, et malgré le fossé de la divergence phylogénétique entre le porc et l’homme, voit le regard de ce dernier se fixer à nouveau sur lui. La maîtrise du rejet reste la problématique dominante de l’efficacité des xénogreffes, mais des considérations ou des obstacles morphologiques, physiologiques, pratiques et économiques en constituent l’arrière plan.
Eviter la catastrophe biologique que représente le rejet hyper-aïgu xénogénique entre espèces très éloignées du point de vue de l’évolution, semble aujourd’hui possible. Le contact entre le sang de l’homme receveur et les tissus du greffon porcin déclenche une cascade d’événements biologiques fondée sur l’activation des cellules endothéliales du greffon et du système du complément du receveur, conduisant à une nécrose hémorragique rapide du greffon. Sans permettre de maîtriser, loin de là, l’ensemble du processus de rejet, des modifications biologiques du greffon, fondées en particulier sur la fabrication d’animaux transgéniques dont certaines cellules exprimeraient des déterminants biochimiques humains, ou du receveur, semblent aujourd’hui en mesure de retarder voire d’éviter cette catastrophe biologique initiale. Un tel progrès pourrait être amplifié par une manipulation spécifique concomitante du système immunitaire du receveur. Il ne faut cependant pas prendre ces avancées scientifiques ou ces perspectives de progrès pour des succès médicaux.
Forts de ces avancées scientifiques, des cliniciens et des chercheurs ont envisagé des essais cliniques, avec l’appui de l’industrie qui a investi dans ces projets. Des essais cliniques de greffe d’organes ou de cellules xénogéniques, provenant notamment de porcs modifiés par transgénèse, ont été élaborés puis annoncés aux Etats-Unis et en Europe. De manière inattendue, mais le contexte des préoccupations de sécurité sanitaire n’était plus le même, les annonces de 1995 ont déclenché une réaction plus forte que les tentatives “ sauvages ” des années 70 ou 80, ou même que celles du début des années 90.
A ces annonces, a répondu une réflexion éthique considérant l’efficacité thérapeutique prévisible, épousant le parti des malades en attente de greffe, considérant également le parti des animaux, songeant à la manière par laquelle la société recevrait une telle nouveauté, mais tentant surtout d’en analyser les risques, notamment pour la collectivité. Les enquêtes sur l’acceptabilité sociale d’un tel projet ne révèlent pas d’obstacles semblant insurmontables ; certains y voient même une solution aux difficultés soulevées par le prélèvement, en vue de greffe, d’élément du corps des personnes décédées. Le risque sanitaire pour la collectivité domine en fait actuellement les débats, l’alerte ayant été donnée par des microbiologistes, le message étant entendu par les autorités sanitaires.
Rétrovirus porcins, rôle éventuel de la modification génétique du porc dans la facilitation d’une préadaptation des virus animaux à l’infection de l’homme, contact étroit entre greffon animal et receveur humain, rôle potentiellement favorisant du traitement immunosuppresseur, latence possiblement prolongée de l’infection du receveur voire de son environnement, résument les motifs d’inquiétudes quant aux risques que la greffe inter-espèces pourrait faire courir, du fait de la transmission à l’espèce humaine d’agents infectieux d’origine animale mal connus ou inconnus. La recherche sur des tests de dépistage des rétrovirus porcins, la sélection, la naissance, l’élevage d’animaux donneurs exempts d’organismes pathogènes spécifiques, la définition des conditions de prélèvement, de transport des greffons et des modalités de surveillance à court, moyen, voire long terme, du receveur et de son environnement, l’enregistrement et la traçabilité des différentes tentatives cliniques, la constitution de mémoires biologiques, la coordination internationale des modalités d’encadrement et de surveillance, sont parmi les mesures les plus importantes actuellement prises ou envisagées, selon les pays.
Au nom du risque pour la santé du public, se met en place, dans quelques pays, et notamment en France depuis la promulgation de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 sur le renforcement de la veille sanitaire et de la sécurité sanitaire des biens de santé, un dispositif d’encadrement légal ou réglementaire, portant au plus haut niveau la responsabilité de l’autorisation éventuelle des essais cliniques et rapprochant ainsi la xénogreffe des projets de thérapie génique. Après cent ans d’échecs, et alors que le succès médical semble pointer, l’exigence thérapeutique qui porte la xénogreffe voit donc se dresser, d’une part l’obstacle culturel lié à son caractère peu naturel, et d’autre part la peur compréhensible des risques qu’elle pourrait générer pour la collectivité au nom des soins donnés à un malade. Il ne fait cependant pas de doute qu’en l’absence d’accident décelé, alors que toutes les mesures possibles de sécurité auront été prises, la démonstration expérimentale incontestable d’un succès de xénogreffe, par exemple un primate vivant depuis plusieurs mois dans de bonnes conditions avec un greffon xénogénique porcin assurant à lui seul une fonction organique vitale, portera avec force vers l’étape des essais cliniques des xénogreffes.
Les enjeux sont profonds, du franchissement de la barrière qui entoure l’espèce humaine. En cherchant, par la manipulation du vivant, à supprimer la barrière biologique que l’évolution a tendu peu à peu entre les espèces, l’homme crée une convergence susceptible d’atténuer la spécificité de certains agents infectieux. Il modifie radicalement la relation de l’homme au monde animal, et, par l’incorporation d’élément symboliquement extrêmement étrangers, accélère, au nom de la vie, sa propre reconstruction.
Mis à jour le 07 février 2008 à 15:54