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Discours de Guy Paillotin : Le risque technologique et la responsabilité des scientifiquesDiscours de Guy Paillotin : Le risque technologique et la responsabilité des scientifiques
Président de l'Institut National de la Recherche Agronomique, président du CIRAD
Biographie :
PAILLOTIN Guy Compte rendu :
Transcription :
23 octobre 1998 Séance inaugurale
Discours de Guy Paillotin :
Les risques que présente ou présenterait le progrès technique sont devenus un sujet de préoccupation majeur. On peut y voir des causes conjoncturelles, comme la crainte "millénariste" ou les conséquences de la série désastreuse des accidents de Tchernobyl, du sang contaminé ou de la maladie de la vache folle. A ce propos il convient de rappeler que ces accidents ont mis en défaut tantôt la prévoyance, tantôt la vigilance ou la capacité d'alerte des scientifiques et ceci doit faire l'objet de toute notre attention. C'est d'ailleurs le cas.
Mais la montée de cette préoccupation a des causes plus profondes qui résultent des succès mêmes des sciences et techniques. Ceux-ci nous ont permis de connaître la nature, de combattre efficacement la source inépuisable de risques qu'elle comporte pour nous et d'exploiter l'inverse ce qu'elle nous offre comme richesses. Mais ce faisant la nature qui nous était extérieure, hostile ou complice, s’est partiellement intégrée à notre propre sphère. La nature telle qu’elle est, devient de plus en plus la nature telle que nous la faisons. De ce fait l’angoisse des risques occasionnés par la nature s’est en quelque sorte «endogénéisée». Ainsi, tandis que décroissent les risques «physiques», s’accroît au contraire la perception des risques réels ou supposés.
Les scientifiques doivent prendre en compte cette évolution qu’ils ont eux-mêmes suscité par leurs propres travaux. Il faut pour cela, réduire la distance qui sépare aujourd’hui la société et le groupe social scientifique et technique qui a tendance à s’approprier, souvent indûment, toutes les questions liées au développement des technologies.
Une des voies, sans doute pas la seule, est de développer l’approche éthique de ces questions. Là, encore, il faut être vigilant car beaucoup de Comités d’Ethique fondent leurs recommandations, adressées davantage aux «experts» qu’à la société, sur des principes philosophiques, nobles à l’évidence, mais considérés comme des données de départ intangibles et non soumises à débat. Or j’ai constaté, au moins dans le monde de l’agriculture et de l’alimentation, que nos concitoyens souhaitaient la mise en place d’une véritable co-responsabilité du bon usage du progrès scientifique. Ceci veut dire en clair qu’il faut accueillir le questionnement des citoyens tel qu’il est sans le soumettre au filtre de la bienséance d’une éthique normative.
Très concrètement, nous avons décidé à l’INRA, de créer un Comité d’Ethique constitué de personnalités extérieures qui sera placé auprès du Conseil d’administration de notre institut, c’est-à-dire à l’endroit ou s’expriment des représentants de la société. Il ne s’agira pas tant pour ce Comité d’établir des normes, encore que celles-ci soient parfois nécessaires, mais de susciter un éveil des scientifiques à partir des interrogations les plus immédiates de tout un chacun.
L’un des buts que devrait se fixer ce Comité sera de développer la capacité de prise de responsabilité des scientifiques certes, mais aussi de ceux qui «bénéficient» de leurs travaux, car sans cela, l’application du principe de précaution ne restera qu’un cadre tout à la fois normatif et flou.
Mis à jour le 07 février 2008 à 14:20