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1998 : Risques associés aux progrès technologiques > Ouverture >  Allocution d'ouverture d'Andrée Marquet : L'Etat, les risques nouveaux et l'éthique de la recherche

Allocution d'ouverture d'Andrée Marquet : L'Etat, les risques nouveaux et l'éthique de la recherche

Directrice scientifique du département chimie de la direction de la recherche du Ministère de l'Education Nationale, de la Recherche et de la Technologie

Biographie :

MARQUET Andrée

Compte rendu :

Transcription :


23 octobre 1998 Ouverture


Discours de Andrée Marquet :


Je dois d’abord vous exprimer les regrets de Daniel NAHON, Directeur de la Recherche au Ministère de l’Education Nationale, de la Recherche et de la Technologie. Il n’a pas pu être parmi vous ce matin et m’a demandée de le représenter, et de vous dire l’intérêt que notre Direction porte aux débats qui vont se dérouler ici pendant deux jours sur les rapports Science-Ethique.
Il est pour nous tout-à-fait clair que la dimension éthique doit être constamment associée à la démarche scientifique. C’est une recommandation forte du ministère.
Je me permets de rappeler quelques phrases de Claude ALLEGRE dans sa déclaration au Comité Interministériel de la Recherche Scientifique et Technique de juillet 1998. “ Il faut désormais instaurer dans tous les organismes, à tous les niveaux, une réflexion concernant les conséquences éthiques et écologiques possibles de tel ou tel type de recherche, en termes de risque potentiel mais aussi d’acceptabilité pour la société. Chaque organisme devra désormais se doter d’un Comité d’éthique dont les avis et rapports devront être publics. Lorsque cela sera nécessaire les organismes devront organiser des débats citoyens ou des campagnes d’information ”.
Vous allez construire votre réflexion, sur les comportements à adopter face aux risques nouveaux, en analysant les problèmes posés dans deux grands domaines scientifiques, les Organismes Génétiquement Modifiés et l’Energie Nucléaire Civile. Il s’agit là de deux sujets brûlants mais de nombreux autres secteurs sont également concernés et c’est l’ensemble des scientifiques, quel que soit leur domaine d’activité, qui se trouve interpellé par les problèmes d’éthique.
Cette interpellation se situe à plusieurs niveaux.
La Recherche, la Science en général sont souvent mises en accusation pour les retombées négatives de leurs activités. Ceci est de plus en plus vrai, car le rapport au risque de la société contemporaine se modifie. Même si objectivement l’évolution de la société s’accompagne d’une augmentation de la sécurité, la sensibilité au risque augmente elle aussi, que ce soit dans le domaine alimentaire, médical ou dans celui des risques naturels ou techniques. Pour des événements qui ont pu dans le passé relever du “ destin ”, on recherche maintenant des responsabilités humaines.
Parallèlement à ces accusations, ce sont ces mêmes scientifiques qui sont sollicités pour l’expertise et qui se retrouvent ainsi souvent juge et partie. C’est une situation qu’il faut réussir à gérer.
Enfin, la revendication d’un débat démocratique autour des choix scientifiques et technologiques se fait de plus en plus forte.
Quelles réponses apporter à ces trois questions ?
Il faut affirmer clairement que les scientifiques doivent explorer et prendre en compte les risques induits par les avancées de la science et les choix technologiques. Il s’agit là d’un travail de nature scientifique incluant l’acquisition des données et leur modélisation ainsi que la compréhension des mécanismes fondamentaux.
Ceci concerne aussi bien les risques naturels que les risques anthropiques (rupture des grands systèmes, risques alimentaires, pollution chimique, etc..)
Il faut aussi se préoccuper du contexte socio-économique d’utilisation des technologies. Une même technique peut ne pas avoir le même facteur de risque, si elle est implantée dans un pays développé ou en développement.
Il faut cependant reconnaître que la communauté scientifique, qu’il s’agisse des chercheurs ou des entreprises industrielles, se sent de plus en plus concernée par ces questions, législation aidant.

La Chimie par exemple que l’on accuse de tous les maux en ce qui concerne la pollution, a bien pris conscience du problème. L’industrie essaie de régler au mieux celui des rejets dans les effluents, et en même temps se développe toute une recherche sur la mise au point de nouvelles réactions, de nouveaux procédés plus propres et sur de nouvelles méthodes d’élimination des polluants. La chimie essaie de gérer le cycle complet. Quoiqu’on en dise, il en est de même pour l’énergie nucléaire. Une récente enquête internationale réalisée auprès de chercheurs travaillant dans le domaine de l’environnement leur demandait quels étaient les problèmes émergents qu’ils plaçaient en tête de leurs préoccupations. Les valeurs de solidarité, éthique, et citoyenneté sont arrivées au 3ème rang.
Les deux autres questions concernant l’Expertise Scientifique et le Débat Démocratique se rejoignent.
Les tâches d’expertise font partie des missions des scientifiques. C’est ce qu’a rappelé Claude ALLEGRE dans son communiqué au CIRST.
De fait, la science devrait être à même de construire des opinions rationnelles, mais c’est une tâche difficile. Il s’agit souvent d’une question que le scientifique n’a pas choisie à laquelle il doit répondre dans l’urgence, qui fait appel a des compétences multiples. Ce sont des exigences auxquelles il est mal préparé.
L’instauration d’un débat démocratique autour des priorités assignées à la recherche et des choix technologiques est par ailleurs une nécessité.
La science a sa logique propre et doit se développer en toute liberté. J’espère que personne ne le contestera. C’est de là que naîtront les véritables découvertes mais il faut en même temps que s’exerce un contrôle externe qui ne soit pas seulement celui des scientifiques eux-mêmes et qui prenne en compte des choix de société, qui sont politiques. Ceci implique l’amélioration de la culture scientifique du grand public et une plus grande implication des spécialistes dans les diverses tâches de vulgarisation. Mais cela va bien au-delà. Les scientifiques doivent être réellement et sérieusement confrontés aux usagers. Tous ces thèmes vont être largement développés pendant ces deux jours.
Quelles sont les initiatives prises par le MENRT pour contribuer à l’avancement de ces problèmes ?
Claude ALLEGRE dans son intervention au CIRST déjà mentionnée a clairement fixé des missions aux différents organismes. Ils doivent assurer une tâche d’expertise au service du Gouvernement et il leur est demandé de mettre en place des Comités d’Ethique. Jusqu’à présent, la réflexion éthique, à travers les travaux du Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la Vie (créé en 1983) a surtout concerné les questions de santé.
Le champ des interrogations est évidemment beaucoup plus large. Le CNRS a créé en 1994 un Comité d’Ethique pour les Sciences qui vient d’être renouvelé et qui est actuellement présidé par P. JOLIOT. La création d’un tel Comité est à l’étude à l’INSERM, à l’INRA, au CEA mais de nombreuses réflexions internes y ont déjà eu lieu.
On peut distinguer deux champs d’application de cette réflexion sur l’éthique : d’une part, celui qui vient d’être développé, à savoir les orientations de la recherche, sa justification sociale, ses conséquences sur la nature, l’individu et la société. Il y a d’autre part tout ce qui touche à la déontologie de la recherche : éthique professionnelle, intégrité scientifique, fiabilité des données ou fraudes... S’y ajoute la nécessité d’une réflexion sur les modes de financement, par les associations caritatives par exemple.

Les Comités d’Ethique auront un triple rôle :
Aider les chercheurs à y voir clair dans leur pratique scientifique afin qu’elle ne les écarte pas, à leur insu, des règles déontologiques qu’ils se sont fixées eux-mêmes,
Aider la Direction Générale des organismes à se doter de procédures de contrôle interne efficaces,
Construire une réflexion sur les relations Sciences-Société dans les différents domaines propres à chaque organisme.
Un grand nombre de questions sont encore ouvertes
Quelles seront les informations mises à disposition des membres. Elles devraient résulter d’une forme d’expertise collective, pluridisciplinaire qui est à construire
Quelles seront les modalités de collaborations des différents Comités ?
Comment stimuler la mise en place de ce qu’il est convenu d’appeler “ les bonnes pratiques scientifiques ”.
Comment anticiper les problèmes créés par les avancées de la recherche. La liste n’est pas close... C’est tout un chantier qui se met en route.
La création de ces Comités ne doit pas conduire à faire l’économie d’une réflexion plus large et plus partagée à la base. La mise en perspective éthique doit faire partie de la culture du chercheur et les Comités seront d’autant plus efficaces que ces préoccupations auront davantage imprégné le milieu.
Une véritable recherche sur les rapports entre la science et le risque, la responsabilité, la société, associant chercheurs des sciences dures et des Sciences Humaines et Sociales est à développer. Une initiative comme celle de la création du Groupe de Recherche et d’Intervention sur la Science et l’Ethique (GRISE), pris en charge par l’Ecole Polytechnique va tout à fait dans ce sens.
Enfin, il faut établir de nouvelles formes de validation de la décision publique, des lieux de débats et d’évaluation des orientations de la Recherche et de la Technologie. Je pense que dans ce domaine, beaucoup de choses sont à inventer. Ce type de débats ne fait pas partie de notre culture. La Conférence des Citoyens que vient d’organiser l’OPECST (Office parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Techniques) sur les OGM fut une grande première. C’est une innovation qui nous vient des pays nordiques, qui s’est étendue à la Grande-Bretagne, aux Pays-Bas. Le succès de ces débats montre qu’il est possible de faire réfléchir ensemble de façon constructive des techniciens, des spécialistes et des représentants des citoyens que rien ne prédestinait à priori à ce genre d’exercice. Bien d’autres formes de discussions peuvent être mises en place. J’ai vu par exemple que la Cité des Sciences et de l’Industrie à la Villette se donnait pour mission de participer à ce débat à travers divers forums.
Je dirai tout simplement en conclusion que c’est un nouveau contrat qui doit être passé entre la Science et la Société. La Science ne doit apparaître ni comme toute puissante, ni comme source de tous nos maux, mais comme une source “ d’ouverture des possibles ”.
La volonté de mettre en place les outils nécessaires pour y parvenir est très forte au MENRT. La Direction de la Recherche est tout à fait intéressée par les informations concernant les diverses initiatives qui peuvent être prises et elle est prête à vous aider dans la mesure de ses moyens.





Mis à jour le 07 février 2008 à 14:13