1999 : de l’animal à l’homme > Le statut de l'animal au XXIe siècle ? >
Introduction de Elisabeth de Fontenay Introduction de Elisabeth de Fontenay
Philosophe, Professeur d'université
Biographie :
FONTENAY Elisabeth deCompte rendu :
Transcription :
22 octobre 1999 Introduction
Discours de Elisabeth de Fontenay :
C’est un grand honneur qui m’est fait qu’on m’ait confié d’ouvrir ces débats je ne suis pas sûre d’en être tout à fait capable et d’être tout à fait à ma place. Brigitte Bornemann-Blanc a dit que je re-cadrerai les débats, je suis habituée à encadrer, puisque je suis professeur de philosophie, mais je ne sais pas si je suis capable de recadrer. Nous verrons bien. Le titre de mon intervention est “l’animal au 21° siècle”, je ne suis pas sûre que le long travail que j’ai fourni sur 26 siècles de tradition philosophique sur l’animal m’équipe pour parler de l’animal au 21° siècle. Peut-être que d’avoir travaillé profondément sur le passé vous équipe pour penser à l’avenir. Ce n’est pas sûr.
Le second point que j’aimerais aborder en introduction, c’est la difficulté qu’il y a pour nous tous d’articuler la question de l’alimentation, la question de l’expérimentation animale, la question du génie génétique. Ce sont des questions qui, toutes, concernent l’animal, certes mais qui sont extrêmement hétérogènes, le seul lien qu’elles aient entre elles, c’est évidemment l’anthropocentrisme. Tout cela est fait pour le plus grand bien de l’homme. Troisièmement je voudrais dire d’emblée que si statut de l’animal il y a, au 21° siècle, si on peut le voir se dessiner, il est évident que le sort de l’animal sera inséparable du statut de l’homme.
Quatrième point : les deux intervenants qui m’ont précédée -Yves le Berre et Yves Tredé- ont parlé de la peur de façon péjorative, moi je voudrais parler de la peur de façon positive. Mais auparavant je vais vous donner une petite impression d’un certain nombre de livres qui paraissent en ce moment sur ces questions et sur ces inquiétudes. “Contre la peur” de Dominique Lecourt, professeur de philosophie à Paris 7, édité aux P.U.F. , est un livre hostile à la peur. Beaucoup de livres ont justement trait à la peur : “Survivre à la science” de J.J. Salomon qui paraît chez Calmann-Levy ou par exemple “Main basse sur le vivant” de Monette Vacquin paru chez Fayard.
Une intervention en deux parties, dans la première partie, j’oublie que je suis l’auteur d’un livre sur les bêtes, sur le silence des bêtes, sur la manière dont la question des bêtes a interpellé les philosophes pendant toute la tradition philosophique. Je voudrais oublier cette casquette, si je peux appeler ça une casquette, et simplement m’interroger en tant que philosophe, en tant que professeur de philosophie sur les questions qui vont nous agiter. Ce que je vais dire d’emblée, même si ça vous choque, je crois qu’il faut rentrer dans le 21° siècle à reculons. Je ne dis pas de ne pas y entrer, entrer à reculons, ça veut dire avancer, franchir une époque mais avoir à l’esprit tout ce que nous avons fait. Je vais souvent dire nous, la plus grande question pour moi, c’est ce nous. Parce qu’entre un chercheur qui fait de l’expérimentation animale ou du génie génétique et moi-même qui suit plutôt une littéraire comme beaucoup de philosophes, est-ce que l’on peut dire nous, je vais dire nous, sorte de pluriel de majesté, je ne veux pas avoir l’air de me créditer des grandes avancées de la science en disant nous, je n’y suis pour rien mais je dis nous pour aller plus vite. Nous devons entrer dans le 21° siècle à reculons, nous devons regarder, constater, prendre acte du saut qualitatif, de la mutation, de la césure historique, liée en particulier au génie génétique et à tous les risques d’eugénisme actif que cela implique, je ne crois pas qu’il faille écarter ce sentiment de catastrophe qu’un certain nombre d’entre nous éprouve. Naturellement ça ne doit pas déclencher un ton apocalyptique, prophétique, bien entendu, on n’a pas besoin de ça. Mais cela doit tout de même inciter à réfléchir, à méditer sur le passé de nos oeuvres scientifiques et à nous demander si la maîtrise humaine de la nature n’est pas en train de se retourner contre l’homme lui-même. Ce sentiment de catastrophe, ce sentiment d’une césure est en un mot comme en cent, est-ce que l’homme du 21° siècle ou du 22° siècle, sera un autre homme comme celui du 17° siècle est un autre homme que celui de la Renaissance, comme l’homme du Romantisme est un autre homme que celui du 17° siècle, est-ce qu’il sera simplement un autre homme ou un être autre que l’homme ?
Bien entendu si vous me demandez ce que c’est que l’homme, je ne peux pas vous répondre. Ca ne m’empêche pas de poser la question, ne comptez pas sur moi pour vous donner une définition de la nature humaine, je ne peux que dire, l’homme est une histoire, et il n’y a pas une nature mais enfin il y a peut-être des traits de l’humanité depuis la nuit des temps jusqu’à maintenant qui vont être retournés ou supprimés. Ce sentiment d’une césure historique, ce sentiment d’inquiétude, d’angoisse, c’est un sentiment de peur, dont un philosophe qui s’appelle Hans Jonas a fait grand cas dans un livre qui s’appelle “Le principe de responsabilité” qui est paru aux éditions du Cerf. la peur, dit Jonas, auquel je me réfère en tous cas pour cette analyse là, même si je ne suis pas d’accord avec l’ensemble de son livre, la peur dont il parle n’est pas une peur pour une menace imminente qui pèserait sur moi-même et sur ma famille ou sur mes proches, ce n’est pas la peur à cause d’un danger immédiat, ce n’est pas une peur de consommateur, ça n’est pas une peur de panier de la ménagère, c’est la représentation, c’est l’imagination d’un mal possible, concernant une humanité pas encore existante. La grande idée de Jonas, c’est ça. Je trouve qu’il faut réhabiliter la peur, je pense que tous les intervenants peuvent être d’accord avec moi sur ce point. Il faut réhabiliter la peur non pas en tant que cette petite peur qui est indispensable pour se conduire dans la vie et pour survivre bien entendu. Cette peur éthique, cette peur morale, dont Jonas parle, elle consiste à se représenter, à imaginer un mal possible qui affecterait des hommes qui ne sont pas encore nés, à se laisser affecter par cette peur. Autrement dit, c’est une conception de la responsabilité qui ne vise pas simplement la responsabilité du passé, comme la responsabilité dans la problématique traditionnelle de l’éthique mais c’est une responsabilité pour l’avenir. C’est donc une nouvelle éthique qui peut interroger les sciences et particulièrement les sciences du vivant et toutes les techniques biologiques. Est-ce que par certaines de nos manipulations, nous ne menaçons pas l’espèce elle-même, est-ce que dans la plupart de nos expérimentations, nous ne découvrons pas qu’il y a une absence de finalité autre que l’expérimentation elle-même ? Est-ce que nous ne constatons pas une certaine défection du politique par rapport à ces problèmes ? C’est toutes les questions que je me pose et en tant que philosophe, je ne peux pas me permettre le dénigrement de la science et de la technique, c’est évident. Je suis du côté du rationalisme. Je ne suis pas du côté de l’irrationalisme, des religions, des superstitions, des sectes etc...
Mais on peut être du côté de la science, du côté du savoir, et du côté de la rationalité et se demander si le rationnel ne devient pas parfois déraisonnable. Pour la deuxième partie je vais devenir, comme le dit un de mes amis, une “philozoophe”. Et les animaux, là-dedans ? Dans nos débats depuis 48h on se pose la question : “Est-ce bon pour nous ?” Mais pas un instant on se pose la question : “Est-ce bon pour les animaux ?” Pourquoi ne pose-t-on pas la question du bien être des animaux, parce qu’ils ne sont pas électeurs. Nous devons enregistrer une fois pour toutes la révolution Darwinienne, la révolution évolutionniste. Si vous lisez un très beau livre de Darwin, “La descendance de l’homme”, vous verrez que Darwin a beaucoup de considération pour les animaux et ne les traite pas comme des instruments. Ne sommes-nous pas tributaires de la genèse, de la philosophie aristotélicienne telle que Cicéron peut la raconter quand il dit que les plantes sont faites pour les animaux et les animaux sont faits pour l’homme. Sorte de finalité gigogne. Avons-nous pris acte de la communauté de destin qui nous lie avec les animaux, de cette communauté de souffrance et de plaisir que nous donne notre qualité de vivants sensibles. Une des expériences intérieures que j’ai faite, la plus forte de cela, c’est la guerre de 14, non pas que j’ai fait la guerre de 14, mais j’ai beaucoup vu d’images et j’ai beaucoup lu de choses, je suis hantée par les animaux dans la guerre de 14. Il y a un très beau livre “Les animaux dans la guerre”. Voir à quel point tous ces animaux, et les chevaux en particulier, les mulets, les ânes, les éléphants sur les fronts d’Orient étaient complètement liés à la folie des hommes, avec une communauté de destin historique et pas seulement naturelle. C’est très frappant quand on voit une inondation et tous ces troupeaux noyés. Je remarque que l’écologie en France ne s’intéresse pas beaucoup à ça, même si Dominique Voynet a tancé les chasseurs, elle est assez modérée. Les animaux sont des êtres sensibles, ils ont des embryons de conscience. Le courant de pensée phénoménologique de la philosophie allemande et française développe l’idée qu’à un certain degré de développement animal, il y a déjà quelque chose comme de la culture. C’est dit par Kousser, c’est dit par Merleau-Ponty, c’est dit par un philosophe contemporain qui s’appelle Marc Richir. C’est dit par des philosophes qui ont beaucoup travaillé sur les textes de Konrad-Lorenz. Je ne sais pas comment interpréter cette indifférence de l’écologie française à la question animale.
Pour l’animal, est-ce que quand je suis effrayée d’effacer les barrières inter-spécifiques, est-ce que je ne suis pas moi-même dans la genèse où Dieu a créé les espèces distinctes les unes des autres, où est-il écrit sinon dans la genèse qu’il faut respecter la différence entre les espèces. Ce qu’on peut demander au minimum, c’est que ceux qui pratiquent sur les animaux sachent ce qu’ils font, qu’ils acceptent pleinement les réglementations quand elles existent. le jour où il pourra y avoir un vrai débat entre juristes et scientifiques dans les laboratoires, un grand progrès aura été fait.
Hier à la radio de Brest, on m’a demandé si l’animal était l’avenir de l’homme ? J’ai répondu, non, c’est effrayant, l’homme vient de l’animal, il ne va pas vers l’animal, mais ce que je peux répondre en tous cas, c’est que ce que l’on fait sur l’animal on le fera ensuite sur l’homme. Je repense au moment où je vous parle à cette phrase : “Ce que tu feras au plus petit d’entre les miens, c’est à moi-même que tu le feras.” La phrase du Christ est magnifique. Ce que tu fais au plus petit en apparence, sache que c’est sur l’homme que tu le feras un an après, cinq ans après, quinze ans après. Il suffit de réfléchir sur toutes les questions de l’embryon et du foetus ensuite pour comprendre que la question animale est au coeur des réflexions de l’éthique sur le vivant, de l’éthique du vivant.
Mis à jour le 05 février 2008 à 11:38