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Discours de Jean-Alexis Grimaud : L'accès public à l'information scientifique : une question stratégiqueDiscours de Jean-Alexis Grimaud : L'accès public à l'information scientifique : une question stratégique
Directeur du département de Bio-Ingénierie, Direction de la Technologie, Ministère de la Recherche
Biographie :
GRIMAUD Jean-AlexisCompte rendu :
Transcription :
19 octobre 2001 TR3
Discours de Jean-Alexis Grimaud
L'accès public à l'information scientifique : une question stratégique
Michèle Le Goff :
Comment pourrait-on rendre cette information, disponible pour les spécialistes, utilisable par les personnes qui en ont besoin ?
Jean-Alexis Grimaud :
C’est une question stratégique. Pourquoi ? Vous avez parfaitement compris les enjeux que ce type de bases de données représente pour les détenteurs des connaissances et des effets de ces connaissances sur la valorisation que l’on peut en faire. Dans le domaine de la biodiversité, l'enjeu est clairement colossal. Et depuis une dizaine d’années, on découvre les mêmes enjeux dans les domaines des biotechnologies, à la fois dans le domaine de la santé mais aussi dans d'autres domaines hypersensibles, tels que la confidentialité d’une pathologie liée à un malade.
Des cohortes de collections de malades et de patients sont concernées. On touche également aux tissus humains, aux systèmes microbiologiques en général, aux végétaux et aux animaux. Un des enjeux de notre travail est actuellement la mise en place de centres de ressources biologiques.
Centres de ressources biologiques, secret professionnel et base de données
Qu’est-ce qu’un centre de ressources biologiques ? C’est un centre qui se présente comme une collection ; on parle de "cohorte" pour des malades par exemple. Il y a là, d'entrée de jeu, une volonté patrimoniale. En dehors de cette fonction patrimoniale pure, d’identification, de recensement et de retour, il existe également un volet de valorisation et d’exploitation des données à des fins extrêmement importantes pour la collectivité, dans l’industrie pharmaceutique. Dans les banques d’ADN, par exemple, toute une série de séquences ne sont fonctionnalisées. On ne trouve une signification sur les séquences d’ADN de maladies rares, que dans la mesure où on peut les tester sur des tissus issus de malades existants. Il faut pour cela que ces malades soient répertoriés, que l'on ait annoté les donénes par un système de traçabilité extrêmement compliqué et rigoureux. Le tout doit être évidemment sécurisé sur le plan éthique. La liberté individuelle et le secret professionnel sont à préserver de manière absolue pour aboutir à l’identification d’une fonction sur ce que l’on appelle les séquences d’intérêt d’un gène par exemple. C'est cela qui permet de relationner une pathologie donnée
Valeur économique et sociétale des données scientifiques : licence libre ou prix du sang ?
Dans le métier d’anatomo-pathologiste, qui est au départ le mien, nous avons tous des collections de tumeurs de malades qui permettent de constituer des cohortes. Cela se fait par des recoupements, des réseaux, des échanges internationaux. Ces cohortes sont un véritable trésor d’exploitation pour mettre au point les médicaments du futur. Aujourd'hui, l’enjeu est de faire comprendre la valeur sociétale, collective de ces cohortes et de ces collections. En même temps, il ne faut pas négliger la propriété. On retrouve là un affrontement de deux cultures : une culture du don plutôt européenne, et une culture des pays d’Amérique du Nord où, clairement, le sang… s’achète. Ces deux cultures font que l’on est en train de réfléchir à toute une stratégie de réflexion sur la possibilité de faire des licences gratuites d’utilisation, et de valorisation possible des cohortes, à partir des tissus ou des organes référencés dans les collections. On appelle ça un centre de ressources biologiques.
Vers la traçabilité des ressources biologiques en réseau
En France, depuis 3 ans, on a recensé une capacité à sélectionner les centres de ressources biologiques en affirmant des traçabilité des données recueillies, et des annotations. C'est là une garantie pour la sécurité d’utilisation des informations. On met actuellement en place des bases de données de plus en plus interactives. Et l'on se dirige vers la création d’un véritable réseau pour la prise en compte de ce qui existe sur telle ou maladie rare dans tel ou tel pays, dans telle ou telle région. Le croisement des informations et annotations devrait permettre de collectionner un nombre suffisant de ressources pour avoir les capacités de tester des séquences d’intérêt et trouver des médicaments.
Un réseau Internet pour une Très Grande Bibliothèque du Vivant
Un projet à grande échelle est de constituer à terme, un "Très Grand Equipement dans les Sciences de la Vie" : la Très Grande Bibliothèque du Vivant. Elle associerait le monde végétal au monde des microbes, des germes, des virus, la microbiologie au monde animal et humain. On y trouverait donc un certain nombre d’informations, avec des pièces concernant des bandes d’ADN et des cultures de cellule, par exemple.
L’organisation d'un réseau, à travers le Net, est évidemment de la première importance dans ce projet de Très Grande Bibliothèque.
Collecter, recouper : prévoir ou savoir ?
L'importance de ce réseau sera testée dans le domaine de la génomique appliquée à la médecine préventive avec la constitution d'une banque, en tenant compte de tous les problèmes d’anonymat obligatoire.
Cela touche aux questions des compagnies d’assurances. En effet, l’on peut aujourd'hui décrire dès la naissance, tous les problèmes de maladie potentielle au cours de l'existence. On connaît les gènes de prédisposition. On peut dire d'un bébé qu’il aura 80 % de chance de faire telle maladie à l’âge de 50 ans. Pour assurer quelqu’un dans une phase de sa vie, c’est une information qui a une importance colossale.
Les OGM et l’agriculture biologique dans l’environnement seront également l'objet d'un test pour le réseau de la Très Grande Bibliothèque du Vivant. Là aussi, les croisements et les flux de gènes représentent des enjeux importants : le clonage thérapeutique et l’eugénisme génétique, les stratégies vaccinales et le développement, par exemple. Je cite là quatre exemples majeurs pour lesquels l’importance des centres de ressources biologiques n’est pas discutée aujourd'hui. La question qui se pose est de savoir quel outil mettre au point et comment mettre en réseaux ces données ? On rejoint alors les questions d'équipement que vous a expliquées Simon Tillier sur la biodiversité.
Michel Branchard (professeur de génétique à l’UBO, laboratoire de biologie végétale et physiologie) :
Je me demande si l'on ne va pas engendrer une angoisse terrible chez les gens si après l’analyse du génome entier d'une personne, on lui dit qu’à un tel âge, elle a tant de pourcentage d’avoir telle maladie. Je conçois bien l’intérêt de ce genre de problématique, appliqué à certaines familles à risque, mais le coût m'en paraît invraisemblable. D'autre part en appliquant cela à toute la population, on va traumatiser les gens à l’extrême !
Jean-Alexis Grimaud :
Votre réflexion est pertinente. Et le problème c’est que le malade lui-même devienne son propre prescripteur en disant : je veux savoir. Il y a le droit à la parole, mais il y a aussi le droit de savoir. On entre là dans un vrai débat où il faut faire le tri. Il y a certes certaines choses qu'il est ridicule de savoir, mais il y a des familles à risque où certains gestes thérapeutiques doivent être envisagés et pour lesquelles de la prévention est à faire. Le sens de tout ça est clairement de faire de la médecine préventive.
Sur les questions de pourcentage de maladie, si on sait qu’on a une chance d’être dans ce lot-là et qu’il n’y a rien à faire, pourquoi le savoir ? C'est une question de choix individuels et qui a un coût. En terme de détection de ces maladies, on fait des “ lab on chip ”. Ce sont de petits laboratoires sur des chips qui permettent la détection des risques par des techniques très sophistiquées dans les familles de gènes appelés "des gènes de prédisposition". C’est effectivement très coûteux. Et l'on peut poser la question : est-ce là du domaine de la Sécurité sociale ?
Interconnexion des données médicales sur le Net : quels enjeux pour les soins et le dialogue patient-médecin ?
Michèle Le Goff :
On a vu que les scientifiques, au sens large, disposent de beaucoup de données. On parlait de certaines applications thérapeutiques. Internet en permet de connecter ces données, les met à la disposition des scientifiques. On peut se poser la question de savoir si l’on peut, du coup, s’attendre à des applications plus immédiates de ces connaissances dans le domaine médical. Va-t-on pouvoir ainsi soigner plus rapidement, intervenir plus rapidement ?
Jean-Alexis Grimaud :
Intervenir, soigner plus rapidement, en théorie, bien sûr. La connaissance est toujours génératrice d’anticipation parce qu’on a une capacité de réagir et de connaître. L'information et la capitalisation de l’information, pour les professionnels de la santé et pour les citoyens, est un mouvement interactif qui renforce une obligation d’information du malade ou de reconnaissance des pathologies. Tout ce travail éducatif, pédagogique a commencé par une série d’expériences, notamment en télémédecine. Cela correspond à une évolution significative de transmission d’information et de formation pour les professionnels de la santé, mais aussi pour les malades. Or le discours entre patients et thérapeutes demeure encore insuffisant. Tout cela devrait permettre une meilleure communication. Je pense que le Net correspond clairement à un moyen d’interagir encore et mieux. Et le médecin ne peut qu’applaudir.
Créations de base et création de la demande
Simon Tillier :
Je voudrais donner un exemple concernant la demande et l'utilisation d’informations scientifiques. Le GBIF, qui est quelque chose de très ambitieux bénéficie d’une une opération pilote appelée la “ Fishbase ”. Il s'agit de l’interconnexion de bases de données sur les poissons. C’est quelque chose d’assez simple, une liste des noms qui n’est pas très élaborée du point de vue informatique mais qui existe. On a mis en relation les bases de données des grandes collections de poissons (Paris, Londres, Stockholm, New York et Washington) et des données sur la biologie des pêches. Une grosse base de données repêche l'information dans les autres. Cela n'est que peu élaboré du point informatique, et ce n’est pas vraiment de l’exploitation partagée des données, mais toujours est-il que ce système qui a été mis sur pied par la Commission européenne, il y a 5 ans, aux Philippines (main-d’œuvre moins chère) est en partie revenu en Europe. Cela fonctionne et l’on a même vu le nombre de “ hits ” par mois croître de façon exponentielle, au cours de ces 3 dernières années. On en est à plus d’un million de hits par mois sur Fishbase actuellement. Si l'on ne sait pas exactement qui sont les utilisateurs, il est en revanche certain que le simple fait d’avoir interconnecté des données taxonomiques, des données biologiques et des données économiques a créé une utilisation, une espèce de marché de la connaissance qui n’existait pas avant. On attend exactement le même effet du GBIF mais à une échelle beaucoup plus vaste. De la même façon, la création des bases de données de séquences d’ADN et de protéine sur le Web a été un moteur extraordinaire pour les biotechnologies. En offrant un certain type d’information, structuré d’une certaine façon, en mettant le tout à disposition partout dans le monde, on crée une demande et une activité d’une façon que l’on n’avait pas prévue. C'est ce qu’on constate actuellement.
Jean-Pierre Coudreuse :
Le scientifique ou l’ingénieur des Télécoms que je suis vous pose la question : toute base de données mise en réseau pouvant être perméable, elle ne peut être conservée confidentielle par aucun moyen, quel problème cela vous pose-t-il ?
- Aucun, c’est public.
Mis à jour le 04 février 2008 à 12:09