2002 : Milieux Extrêmes d’un monde à l’autre, Terre, Mer et Espace > TR 6 : Respect des traités : Comment réagir face au biopiratage ? >
Débat de la table ronde 6Débat de la table ronde 6
Jean-Louis Le Corvoisier, Journaliste
Éric Gall, Greenpeace
Guy Le Fur, Confédération paysanne
Emmanuel Morucci, UBO
Jean-Paul Alayse, Océanopolis
Armel Kerrest, CEDEM UBO
Gilles Vidal, Association redécouverte brestoise de l’éducation relative à l’environnement
Gérard WormserCompte rendu :
Transcription :
22 novembre 2002 Débat TR6
Débat
Débat
Jean-Louis Le Corvoisier:
Éric Gall, vous nous avez décrit les brevets de façon extrêmement noire, nous expliquant qu’ils étaient systématiquement néfastes : n’êtes-vous pas en faveur d’un blocage systématique de l’évolution industrielle, économique ?
Éric Gall:
Je n’ai pas dit cela...
Jean-Louis Le Corvoisier:
N’est-ce pas pourtant la conséquence ? En bloquant les brevets, ne bloquez-vous pas un système qui se met en place et qui est très lourd à l’échelle mondiale ?
Éric Gall:
Au contraire. Les brevets sur le vivant bloquent et freinent l’innovation. C’est en gardant une ressource génétique qui est une découverte, à la base, en libre accès et en permettant à tous ceux qui ont envie d’effectuer des recherches sur elle de mettre au point de nouvelles applications à partir de ces ressources qu’on dynamise, qu’on permet la recherche et éventuellement de nouvelles applications intéressantes.
Quel est l’état du débat en France sur les brevets ? On a d’un côté la convention sur la diversité biologique mise en place en 1992, qui a été une rupture au niveau de la manière dont on considérait les ressources génétiques. Auparavant, il y avait une sorte de consensus qui était que les ressources génétiques étaient un patrimoine commun de l’humanité. Vers la fin des années 80, on parlait de ce nouvel “ or vert ” qu’allaient être les ressources génétiques. La Convention sur la biodiversité a mis en place le principe de souveraineté nationale sur les ressources génétiques, à la demande des pays du Sud. Ce fut aussi une supercherie pour les pays du Sud, dans la mesure où on les pousse à mettre en place des droits de propriété intellectuelle très forts qui vont bénéficier aux compagnies du Nord, alors qu’eux vont ne pas nécessairement en tirer avantage. L’enjeu, ce qui est prévu par la Convention sur la biodiversité, c’est de garantir un retour des bénéfices de l’utilisation de ces ressources. On a d’un autre côté l’accord Adpic de l’OMC sur les aspects des droits de la propriété intellectuelle touchant au commerce, signé en 1994, qui oblige les pays à breveter les micro-organismes, qui permet les brevets sur les variétés végétales, mais qui dit aussi qu’on peut protéger les variétés végétales par un système sui generis, c’est-à-dire un système adapté aux conditions locales. Il y a un troisième traité, celui de la FAO sur les ressources génétiques, qui essaie de mettre en place un système multilatéral, pour certaines espèces fondamentales dans l’agriculture, qui garantisse le libre accès à ces ressources. Donc, même l’accord de l’OMC n’oblige en rien à mettre en place des brevets sur le vivant ou même sur les variétés végétales. Le problème est que, au cours des négociations sur la mise en œuvre de cet accord, il y a de fortes pressions des pays du Nord, surtout des États-Unis, pour que les pays du Sud soient obligés de mettre en place des droits de propriété intellectuelle très forts qui profitent aux compagnies des pays du Nord, qui sont celles qui font de la recherche, alors que ces droits ne sont pas du tout adaptés à la situation des pays du Sud.
On dit que cette directive 98/44 sur la protection des inventions biotechnologiques est une application de l’OMC. C’est faux. Nous avons rencontré Pascal Lamy (commissaire européen au commerce) dans le cadre de notre campagne contre les brevets sur le vivant, qui a nous confirmé que la directive européenne était une législation Adpic+, qui va beaucoup plus loin que ce qui est préconisé dans l’accord Adpic. C’est une directive adoptée en 1998 (après avoir été refusée en 1995) et, pour la faire adopter, les compagnies pharmaceutiques ont amené au parlement européen, devant les députés, des handicapés en fauteuil roulant portant des tee-shirts sur lesquels on pouvait lire “ Patents for life ” (“ Des brevets pour la vie ”).
Jean-Louis Le Corvoisier:
Est-ce qu’il ne suffirait pas de renforcer le contrôle sur les brevets ?
Éric Gall:
Il ne serait pas suffisant d’avoir une approche au cas par cas. Ce que préconise le gouvernement français par rapport à des cas comme celui de Myriad Genetics, c’est de renforcer le système des licences d’office, par exemple, c’est-à-dire qu’on pourra voir au cas par cas et que, dans certains cas de brevets abusifs, on obligera la compagnie à accorder des licences d’exploitation à d’autres compagnies. Mais nous qui travaillons sur les brevets accordés à l’Office européen des brevets, nous constatons qu’en matière de biotechnologies, il y a de plus en plus de brevets. Cette approche au cas au cas n’est pas suffisante et règle de manière très imparfaite et partielle les problèmes posés par ces brevets sur le vivant. Ce serait beaucoup plus légitime et plus simple de poser le principe de la non-brevetabilité du vivant, ce qui n’exclut pas la brevetabilité de certains produits ou des applications réellement inventives. Il serait juste de dire que la ressource de base, qui est une découverte et qui a permis l’activité inventive et telle application, doit rester en libre accès et doit permettre que d’autres compagnies fassent de l’exploitation sur celle-ci aussi.
Il y a eu un débat, en France, qui a été introduit par des associations et qui a été repris l’an dernier par Jean-François Mattei, alors député, et un de ses collègues du Conseil de l’Europe. Ce débat a été de dire que cette directive posait problème, en particulier les brevets sur les gènes humains, du point de vue de l’accès à la santé. Jean-François Mattei, aujourd’hui ministre de la Santé, a fait une pétition où il demandait la non-brevetabilité des gènes humains. Le comité du conseil national d’éthique a rendu également ce genre de conclusion, et il en a été de même dans d’autres pays. Suite à notre campagne contre cette directive, avec Agir ici, la Confédération paysanne et Solagral, nous avons réussi, avec l’aide de certains députés, en janvier 2002, à ce que, au cours de la révision de la loi de bioéthique en première lecture, les députés français adoptent à l’unanimité un amendement qui interdit le dépôt de brevet sur des gènes humains. Cette disposition est bien sûr en contradiction directe avec la directive européenne, qui devrait s’imposer vu qu’elle est supérieure au droit national. C’est une avancée, mais elle est insuffisante car, d’un point de vue scientifique, il est artificiel de faire une distinction entre gène humain et gène d’autres espèces. Entre 95 et 99 % de notre génome est identique à celui d’un chimpanzé. Les problèmes qui se posent dans le domaine de la santé par rapport au gène humain se posent également dans le domaine des ressources alimentaires avec l’accès aux ressources végétales : problème de monopolisation, blocage de la recherche, appropriation et contrôle des ressources par des industries privées. C’est pour ça que nous devons poser clairement le principe de la non-brevetabilité du vivant, des variétés végétales et de toutes les séquences génétiques.
Guy Le Fur:
Nous sommes foncièrement hostiles à l’application des brevets en matière agricole et alimentaire parce que, d’une part, les brevets ne s’appliquent que dans le cadre d’une invention - or il s’agit là d’une découverte, au mieux on a découvert le fonctionnement d’un gène - et, d’autre part, il n’y a pas de création, puisque le principe du vivant est qu’il s’auto-reproduit, ce qui signifie que lorsqu’il y a un brevet, à chaque fois qu’un porcelet naîtrait chez moi ou que mon voisin récolterait des céréales pour ressemer, il faudrait payer des royalties à une entreprise qui va s’enrichir à nos dépens. Il faut savoir que cette technologie des biotechnologies, aujourd’hui, est très compliquée, qu’elle nécessite de très gros financements, et n’est donc accessible qu’aux seules grosses entreprises. Au niveau français, on avait imaginé un moment qu’on arriverait à déposer des brevets au travers du Génopole d’Ivry par exemple, par conséquent l’État avait pensé allier la recherche publique et les entreprises privées (Rhône-Poulenc, Biogema) pour déposer un certain nombre de brevets sur les produits. L’année suivante, Rhône-Poulenc s’est associé à Hosche, entreprise allemande. Deux ans après, c’est Bayer qui a tout racheté. Progressivement, il y a eu une concentration des entreprises et, aujourd’hui, il y a quatre entreprises au niveau international qui sont capables de s’engager dans cette aventure, ce qui veut dire que Bill Gates, comparé au pouvoir qu’auront ces quatre entreprises, fera office d’épicier de quartier. Le fait de donner le contrôle à quelques-uns constitue un engagement que nous ne pouvons pas accepter. Par la même occasion, imaginez un seul instant ce qui se passerait si l’on en venait à interdire aux paysans du Sud de ressemer, d’échanger leurs graines : comment voulez-vous alors qu’ils puissent se développer ? Bien évidemment, on arriverait à une catastrophe.
Dans le cadre du brevet, il y a captation de la recherche par quelques-uns, d’ailleurs les universités américaines et anglaises l’ont bien senti et ont tiré la sonnette d’alarme : elles n’avaient plus les moyens de fonctionner normalement parce qu’elles étaient trop tributaires de ceux qui ont déposé les brevets.
Jean-Louis Le Corvoisier:
Les biotechnologies ont quand même permis beaucoup de découvertes. Il faut tout de même protéger la propriété intellectuelle. Quelles sont vos propositions, si vous ne voulez pas du brevet, comment faire ?
Guy Le Fur:
J’ai proposé que le système des obtentions végétales permette la rémunération de la recherche. Par la même occasion, je suis très favorable à ce qu’il y ait un développement de la recherche publique. Aujourd’hui, nous sommes dans le pays qui a la plus grande recherche publique et il faut par conséquent ne pas la laisser s’effriter, lui reconnaître sa capacité de recherche fondamentale et passer des licences avec des entreprises pour l’utilisation de ses résultats. C’est un peu la démarche que je propose : refuser le brevet sur le vivant, mais permettre à la recherche de s’épanouir et de se développer.
Éric Gall:
Il y a d’autres moyens de protéger la propriété intellectuelle. D’une part, il faut la limiter à la part réellement inventive : oui aux brevets sur les procédés, non aux brevets sur les produits. On demande à ce qu’il y ait des structures publiques qui soient des centres d’échange internationaux qui gèrent cette propriété intellectuelle, qui accordent les licences, et que l’accès à la ressource ne soit pas exclusif et garantisse une contrepartie, comme le veut la Convention sur la biodiversité, aux pays et aux communautés d’où sont issues les recherches. Oui au certificat d’obtention végétale qui est un système qui s’apparente un peu aux droits d’auteur, c’est-à-dire qu’on fait une création à partir d’une autre création. Le problème est que différentes conventions ont fait évoluer ce système pour le faire finalement ressembler de très près au système des brevets.
Jean-Louis Le Corvoisier:
L’industrie a donc un poids de plus en plus important sur la recherche. Quelle est la solution pour les chercheurs plus indépendants afin qu’ils puissent travailler de manière plus sereine et plus libre ?
Éric Gall:
Une partie de la solution consiste déjà à arrêter de réduire les crédits de la recherche publique.
Jean-Louis Le Corvoisier:
Est-ce qu’aujourd’hui les scientifiques ont le temps de réfléchir à toutes ces questions ?
Guy Le Fur:
J’ai eu l’occasion de les rencontrer lors d’un rapport que j’ai fait sur les OGM. Les scientifiques sont des gens très passionnés. Il leur manque toutefois deux choses. Il est indispensable qu’ils prennent l’habitude de discuter avec les gens pour éviter un trop grand décalage entre la population et ce qu’ils font dans les laboratoires. La lutte des OGM a permis de les sortir des laboratoires afin qu’ils s’expliquent devant les gens. La science n’est pas neutre, elle implique un type de société et de rapport entre les gens. Autre constat : il faut qu’ils arrivent à “ sortir leur tête de leur guidons ”. Ils sont très compétents dès lors qu’il s’agit de parler d’un gène, de l’ADN, d’une cellule, etc., mais lorsqu’ils se retrouvent face à une plante, ils sont moins sûrs d’eux, et que la plante soit dans un champ, là ils sont déboussolés et quand on leur dit qu’autour du champ il y a des talus, là ils ne comprennent plus. Pour ma part, je défends l’idée, au travers de chaque commission, qu’il puisse y avoir une représentation de la société civile pour poser les questions de base, afin de les amener à une réflexion globale. C’est la démarche que j’ai eue vis-à-vis de la commission du génie génétique ou de la commission du génie biomoléculaire - je souhaitais qu’il y ait, parallèlement aux collèges de scientifiques, des représentants de la société civile pour poser les questions qu’ils ne se posent pas entre eux.
Éric Gall:
Il y a des chercheurs de l’INRA qui ont signé une pétition contre les brevets sur le vivant, quel que soit par ailleurs leur avis sur les biotechnologies ou sur les OGM. Axel Kahn a longtemps été président de la commission du génie biomoléculaire. Il est persuadé que les plantes transgéniques sont un progrès pour l’humanité, mais cela ne l’empêche pas d’être très critique envers les brevets sur le vivant et envers cette captation des ressources génétiques par quelques multinationales.
Nous ne sommes pas non plus obligés de nous plier aux règles de ces compagnies américaines. Si, aujourd’hui, les chercheurs en France prennent des brevets, c’est souvent de manière défensive, c’est-à-dire pour éviter que quelqu’un d’autre ne dépose un brevet avant eux sur leurs résultats, mais cela ne veut pas nécessairement dire que c’est la solution qu’ils défendent.
Jean-Louis Le Corvoisier:
Il faudrait concilier la politique, l’économie, l’éthique. Est-ce qu’aujourd’hui, monsieur Morucci, les politiques ont encore les moyens d’intervenir ou le débat est-il seulement entre les industriels, les scientifiques et les ONG ?
Emmanuel Morucci:
Le scientifique a besoin de sortir de son laboratoire. Il a besoin d’être à l’écoute de la société civile, mais, en même temps, c’est très compliqué : la société civile a-t-elle toujours les outils de la compréhension ? C’est pour cette raison que j’ai proposé qu’il y ait un peu partout des comités locaux d’éthique qui puissent faire aussi ce lien. Ceci dit, il est très important que la société civile puisse s’exprimer et s’interroger, et elle doit poser les questions de la manière la plus simple. En ce qui concerne le politique, je m’interroge de plus en plus sur sa capacité à être acteur du débat. Les choses ne vont-elles pas faire que, dans quelques dizaines d’années, la relation sera uniquement entre économique et scientifique ? Je m’interroge et c’est également une crainte. Si on ne prend pas garde, on risque de vivre dans une société mondiale où un certain nombre d’entreprises pourront décider de la vie ou de la mort des personnes - des groupes importants pourront dire que telle partie du monde a le droit de manger, telle autre non. Globalement, dans la recherche scientifique, c’est la place de l’homme qui doit être au centre et la recherche scientifique doit avoir la tête tournée vers l’homme, vers l’humain, vers son développement. En même temps, il est important que les scientifiques s’associent entre eux. Je crois en la pluridisciplinarité, l’interdisciplinarité et il est important que les sciences humaines puissent entrer aussi dans ce débat, mais d’une manière beaucoup plus forte et sans doute d’une manière publique.
Débat avec le public
Gérard Wormser: Je suis l’organisateur d’un colloque sur la représentation du vivant qui a eu lieu la semaine dernière à Lyon et qui était précisément un colloque interdisciplinaire (médecins, psychanalystes, neurologues, spécialistes d’histoire des sciences, philosophes...). Nous nous situions sur le plan de la réflexion sur l’identité humaine, précisément où les sciences humaines et les sciences dites dures étaient dans un dialogue qui s’est avéré extrêmement constructif.
Le problème du siècle qui commence est évidemment le problème de la concentration des pouvoirs intellectuels, économiques et politiques entre quelques mains, situés dans quelques grandes villes, et de l’élitisme public qui est en train de se constituer. De ce point de vue, malheureusement, il n’y a peut-être pas de grandes différences à faire entre la sphère publique et la sphère privée - la concentration est aussi forte et croissante dans les deux cas.
Pour vous poser la question, je voulais faire référence à un article publié dans le numéro de novembre de la revue Esprit par le philosophe allemand Jürgen Habermass, intitulé “ Vers un eugénisme libéral ” : “ Si l’on admet que des charlatans travaillent d’ores et déjà au clonage reproductif d’organismes humains, alors la perspective s’impose rapidement que l’espèce humaine puisse prendre en mains elle-même son évolution biologique. Se faire protagoniste de l’évolution ou jouer à Dieu sont des métaphores pour une auto-transformation de l’espèce qui, semble-t-il, arrive rapidement à notre portée. La manipulation génétique touche à des questions d’identité de l’espèce ou du genre, à travers lesquelles la compréhension qu’a l’homme de lui-même en tant qu’être générique forme également le contexte dans lequel s’inscrivent nos représentations juridiques et morales. ”Ce qui est important ici, c’est d’apercevoir que, s’il n’y a pas une implication très forte des sciences humaines dans la recherche autour des biotechnologies, de la brevetabilité, nous serions dans une perspective où, quelles que soient les solutions techniques et juridiques développées, le débat serait confiné dans un certain nombre de groupes de spécialistes et la société, quelles que soient les bonnes intentions de ces spécialistes, n’aurait que très peu de possibilités de prise en compte de ces débats. Il me paraît donc extrêmement important, dans l’esprit de comité d’éthique ou de table ronde comme celle d’aujourd’hui, que ce soit bien en amont que ces débats soient engagés et que n’ayons pas prioritairement pour souci d’abord un souci d’érudition technique, de précision d’expertise, mais d’abord de mesure des enjeux publics. C’est évidemment la question de l’éducation qui est centrale. Sur ce point, les clivages disciplinaires qui sont prévalents dans nos universités sont extrêmement résistants au type de réflexion que vous menez autour de cette table ronde et nous n’en sommes effectivement, pas simplement à devoir demander une interdisciplinarité locale : les questions dont nous débattons aujourd’hui, me semble-t-il, imposent une rédéfinition globale des frontières entre disciplines en tant qu’elles sont objets d’enseignement. Au niveau des universités, il me paraît absurde qu’on fasse du droit privé sans avoir de connaissances en terme de philosophie juridique, qu’on puisse travailler sur des molécules biologiques sans avoir de connaissance d’histoire de la médecine ou d’histoire du vivant. Ainsi les sciences humaines me paraissent devoir être profondément investies à partir de maintenant dans la formation universitaire, si l’on veut que les propos que vous tenez puissent un jour trouver une forme d’incarnation dans le collectif de la société et ne pas rester des tribunes auxquelles nous souscrivons intellectuellement, mais sans savoir toujours comment transformer cela en actions de terrain.
Public :
On parle souvent de recherche publique, c’est bien pour la France, mais ce n’est pas nécessairement valable dans d’autres pays, notamment dans les pays anglo-saxons.
La démarche peut se faire aussi dans la société civile. Dans les grandes organisations comme Greenpeace, la Confédération paysanne, il y a aussi cette démarche de réflexion, mais cela ne doit pas rester dans les laboratoires de l’université. D’abord, il est très difficile d’émettre parfois des idées, des opinions nouvelles au sein de l’université. Il y a de grands axes, ceux qui sont choisis, arrêtés, et puis des choses se passent dans cette direction, et tout ce qui pourrait se passer à côté a peu d’importance. Cela doit descendre aussi dans la rue : la société civile doit aussi avoir cette capacité à rassembler des chercheurs de tous poils pour les mettre en ensemble en vue de la réflexion. Des associations locales, régionales, peuvent travailler sur ces questions et encourager. Je crois beaucoup à la société civile, je crois à son implication, et je souhaite que cette implication soit de plus en plus forte pour aller aussi dans ces directions qui ne sont pas toujours des directions de militantisme. La société civile a un rôle de défense, de rappel à l’ordre, de militantisme, et elle doit avoir aussi ses propres axes de recherche.
Jean-Louis Le Corvoisier:
Il est difficile de faire un comité d’éthique sans militant !
Public :
Ce sont des domaines qui sont peut-être différents, mais qui se croisent. Un comité local doit faire appel à des personnalités indépendantes, extérieures, etc. qui peuvent donner un avis. Le militantisme, c’est peut-être, une fois qu’une orientation est donnée, une réflexion poussée, travailler pour faire fléchir les politiques.
Jean-Paul Alayse:
On parle d’OGM et de stérilité. Je comprends tout à fait bien la position de la Confédération paysanne et, plus largement, des agriculteurs qui souhaitent avoir des semences à partir de leurs propres productions, pouvoir ainsi ressemer et ne pas devenir les otages de grands groupes. D’un autre côté, je me dis : organismes génétiquement modifiés. Qu’ils aient été modifiés par transgénèse ou qu’ils soient éventuellement les fruits d’une longue sélection pour obtenir des variétés, on ne voudrait pas que ça se dissémine trop dans la nature. On parle toujours de gènes baladeurs qui vont éventuellement se mélanger avec des espèces relativement proches - cela pose un véritable problème. Si ces OGM ne sont pas stériles, on va retrouver des gènes un peu partout et éventuellement des gènes qu’on ne souhaite pas. Comment concilier les deux choses ?
Guy Le Fur:
Au Canada, il y a trois sociétés qui font du canola (colza ici) et le principe de la société est que, lorsqu’elle modifie génétiquement une graine, elle vende un herbicide total, spécifique à cette entreprise et à cette plante. Aujourd’hui, il se trouve que pratiquement toutes les graines de colza ont intégré la résistance dans leur génome aux trois herbicides totaux des trois entreprises qui les ont mis en place. Il faut savoir que pour un colza entre un quart et un cinquième des graines qui tombent sur le sol avant la récolte ont un pouvoir germinatif de 20 ans, environ 10 quintaux sur le sol (une vingtaine de kilos suffit pour ressemer un hectare) et que si ensuite on met un maïs ou un blé et qu’il est résistant au même herbicide total le colza pousse. Monsanto n’a rien trouvé de mieux que de payer des étudiants pour aller arracher le colza dans les champs des producteurs ! ! Pour vous dire qu’à ce niveau-là on ne maîtrise rien - preuve en est qu’en France, lorsqu’on achète des graines venant des États-Unis ou du Canada, on est face à ce problème où les taux de contamination sont de l’ordre de 20 à 40 % des semis.
Un pays ne peut plus faire le choix de conserver de l’agriculture biologique et de cultiver des plantes OGM, parce qu’il y a croisement : l’un des principes des OGM est qu’il s’agit d’une plante totalitaire qui ne supporte pas que sa voisine n’intègre pas son gène dans son génome. Ou bien on va vers une direction OGM - alors les bio devront modifier leur cahier des charges et accepter qu’ils puissent y avoir des OGM dans leur agriculture. Or ce n’est pas demain la veille et le consommateur n’est pas non plus sur le point d’accepter.
Lorsqu’il s’agit d’une pollution biologique, on ne circonscrit jamais parce qu’il se reproduit ; or cette contamination peut avoir des conséquences très importantes. Il est important d’être pluridisciplinaire, c’est d’ailleurs ce que nous demandons aux experts. Nous leur demandons aussi d’être indépendants, et de mettre des sciences humaines là-dedans me paraît être une bonne chose.
Public :
Il y a des problèmes de contamination. Or vous refusez aussi la technologie Terminator qui consiste à faire des plantes dont les semences sont stériles. N’est-ce pas pourtant une solution qui réglerait ce problème ?
Jean-Paul Alayse: Le problème est que cela me paraît inconciliable. D’un côté, on souhaite, s’il y a des perfectionnements dans des végétaux, que ceux-ci n’aillent pas dans la nature, ce qui revient à faire des plants stériles ; et, de l’autre côté, existe la légitime préoccupation des agriculteurs de pouvoir refaire leurs semences après ces plants-là - donc on ne peut pas avoir des végétaux stériles, ce qui amène une contradiction.
Éric Gall:
- 1) Ces technologies, qu’on appelle “ technologies de restriction génétique ” (GURTS), que ce soit des semences stériles ou la modification des chloroplastes qui feraient en sorte que le pollen ne contiendrait pas le gène inséré, ne constitue pas une méthode fiable à 100 % qui vienne garantir la non-contamination.
- 2) Il est aberrant de la part d’une industrie qui fait peser des risques collectifs dus au fait que ces produits vont contaminer d’autres plantes de justifier l’imposition de semences stériles comme une solution au problème qu’elles-mêmes créent, pour leur seul bénéfice.
- 3) Avant de faire supporter ces risques, il faudrait déjà prouver quel est l’intérêt réel de ces plantes transgéniques dans le domaine de l’agriculture (rendement, lutte contre les insectes) ? Aujourd’hui, on commence à avoir des études indépendantes et un bilan de la culture de plantes transgéniques aux États-Unis, et on est très loin de ce que prétend l’industrie en terme de rendement faramineux ou de rentabilité améliorée pour l’agriculteur.
Jean-Louis Le Corvoisier:
Les biotechnologies peuvent tout de même apporter de nouveaux débouchés aux agriculteurs : pharmacopée...
Éric Gall:
C’est l’inverse. En l’occurrence, les agriculteurs américains ont perdu des marchés à cause des plantes transgéniques, le marché européen et le marché asiatique les refusent et demandent à ce qu’elles soient étiquetées.
Pour le secteur de la santé, je ne vois pas en quoi ce serait un débouché pour l’agriculteur. Pour une compagnie, il y a un intérêt à faire une pharma-plante, c’est-à-dire une plante qui produit une substance pharmaceutique. Mais, avec les problèmes de contamination, les gens vont-ils être contents d’avoir des substances pharmaceutiques dans leurs cornflakes ? En faisant produire des substances industrielles par des plantes, et, c’est encore plus grave, par des plantes alimentaires, comment prévenir la contamination de la chaîne alimentaire ? On fait aujourd’hui campagne contre les saumons transgéniques, parce que les dangers de dissémination dans l’environnement sont réels, importants et auraient des conséquences très graves pour les populations sauvages.
Public :
On dit aussi les éleveurs qui pourraient “ fabriquer ” des porcs ou des vaches qui produiraient un lait capable d’élaborer de l’insuline par exemple ont potentiellement un avenir.
Éric Gall:
Encore une fois, on nous promet monts et merveilles dans ce domaine, mais il faut voir quels sont les risques et la réalité de ces promesses. On n’est pas capable d’évaluer les conséquences de ces modifications génétiques, et la question du contrôle de la sélection, du contrôle de la mise au point de ces animaux, se pose également.
(À une demande de définition des OGM) :
Un OGM est un organisme vivant qui a été mis au point en utilisant la technique de la transgenèse, qui consiste à prendre un gène d’une espèce pour l’introduire dans le génome d’une autre espèce.
Brigitte Bornemann-Blanc :
Comment peut-on appliquer la loi quand elle existe ?
Jean-Louis Le Corvoisier:
Est-ce qu’aujourd’hui l’arsenal n’est pas suffisant pour nous protéger ?
Guy Le Fur:
L’arsenal des possibilités est très variable, très large, contradictoire, et ne correspond pas à l’intérêt des populations. Beaucoup de lois ont été élaborées par ceux qui avaient intérêt à voir cette loi appliquée - je fais référence aux brevets. Nous nous battons contre. Ce que nous voulons, c’est réunir l’ensemble des personnes dans ce combat “ contre ”. Nous avons assez peu parlé des applications du brevet. Aujourd’hui, dans un génome humain, il y a un peu près 30 000 gènes. Dans une hypothèse à peu près vraisemblable, on peut imaginer que, dans dix-quinze ans, il y aurait à peu près 100 brevets pour chacun des gènes qui seraient déposés. Il ne suffit pas de déposer le brevet, il faut ensuite l’entretenir et après il faut engager des juristes pour le défendre et, bien évidemment, cela nécessite des moyens dont seules les plus importantes entreprises disposent. Monsanto et Novartis sont aujourd’hui en bagarre sur six brevets.
Ce que je propose est qu’il n’y ait pas de brevet, que le vivant ne soit pas brevetable : il appartient à tout le monde. Le président du Gnis et le président du génopole d’Ivry sont aujourd’hui contre les brevets, et c’est nouveau.
Éric Gall:
En théorie, l’accord Adpic sur la propriété intellectuelle de l’OMC n’oblige pas les pays-membres de l’OMC à donner la possibilité de mettre des brevets sur le vivant et sur les variétés végétales - de même qu’en théorie, il permet sous certaines conditions la production de médicaments génériques. La réalité est autre : il y a des pressions du gouvernement américain et d’autres, qui viennent des compagnies pharmaceutiques afin que ces possibilités laissées aux pays du Sud ne soient pas appliquées. C’est bien de débattre sur tel alinéa de tel accord international, sur quelle forme de propriété intellectuelle pour le vivant, c’est même fondamental, mais derrière cela, l’approche que recherchent les ONG, c’est la garantie de certains droits, quelles que soient les formes de propriété intellectuelle : par exemple le droit des agriculteurs à resemer leurs semences, le droit à la santé. C’est plutôt cette approche de droits qui s’oppose à certains de ces accords internationaux, et ce sont ces droits que recherchent aussi les ONG.
Emmanuel Morucci:
Comment faire respecter la loi ? La loi existe, il faut que les entités qui édictent ces lois se donnent les moyens de les faire respecter.
Je voudrais revenir sur les milieux extrêmes. Il y a vingt ans, un bateau s’est fichu sur Ouessant. À l’époque, on a commencé à dire : attention, il faut qu’une réglementation européenne se mette en place et un certain nombre d’entre nous a commencé à réfléchir et à dire qu’il fallait une garde-côte européenne.
On savait très bien à l’époque que le cadre réglementaire ne coïncidait pas, mais on savait qu’il y avait un cheminement possible vers l’Union européenne qui aurait permis cela. Il y a eu l’Erika, nous étions dans l’Union européenne. On a commencé à dire qu’il fallait faire quelque chose. L’Europe a répondu par un certain nombre de directives, de lois et l’éventualité d’une agence européenne de sécurité maritime, mais quid d’une garde-côte ? L’important est de savoir si une entité politique qui édicte une règle, une loi, est capable en même temps de se doter d’une administration susceptible de faire appliquer ces lois. Aujourd’hui, je réponds que non : l’Europe n’est pas capable dans ce domaine particulier. Que ce soit pour les OGM ou autres, il y a besoin de spécialistes, et chaque fois qu’une instance politique ou commerciale nationale ou internationale édicte une règle, elle doit se doter en même temps d’un corps administratif capable d’être sur le terrain, de contrôler et de faire appliquer les règlements.
Jean-Louis Le Corvoisier:
Il y a donc un manque de volonté politique global.
Emmanuel Morucci:
Certainement. On n’arrivera pas à construire une société européenne, à construire une citoyenneté, à faire du vivre ensemble si on maintient le lobbying.
Jean-Louis Le Corvoisier:
Si les politiques ne font pas leur travail, il faut bien qu’ils soient poussés, par des ONG par exemple.
Emmanuel Morucci:
Oui, mais il vaut peut-être mieux qu’il y ait un rapport démocratique établi qui s’instaure, que les choses se passent dans le cadre d’une relation logique démocratique et non pas dans la pression de certains groupes et qui imposent en finale des orientations. Ce sera sans doute une des grandes questions du devenir de la construction européenne.
Jean-Paul Alayse:
La convention de Washington est une convention qui réglemente le commerce animalier, particulièrement des espèces en danger. La France a ratifié cette convention. Il y a une réglementation européenne qui adapte un certain nombre de choses en matière de protection animalière. La réglementation française et la loi 1976 sont en train de se remettre en question face à cette réglementation européenne. Qui connaît la loi dans ce domaine-là ? Savez-vous que les reptiles de la faune française sont intégralement protégés, de même que les amphibiens ? Cela personne ne le sait. Qui fait appliquer ces réglementations ? Normalement, les directions des services vétérinaires, au niveau départemental, sont censées les faire appliquer. L’ONCFS (Office national de la chasse et de faune sauvage) est censé appliquer ce genre de choses. En matière d’importation d’espèces, les douaniers sont censés connaître la loi. Comment faire appliquer cela ? Il est clair qu’il y a un manque de moyens. Le fait que chacun des citoyens ne connaisse pas cette réglementation aboutit à ce qu’on fait n’importe quoi au niveau du vivant, et personne n’est là pour contrôler, pour faire appliquer. C’est à chacun de se prendre en main, à connaître la réglementation et au mieux d’essayer de l’appliquer.
Gilles Vidal:
Imaginez que quelqu’un prenne le gène de la fameuse plante capable d’arrêter l’alcoolisme et le mette dans une vache. Imaginez les Bretons s’apercevant qu’il y a des substances dans le lait qui les empêchent de boire du vin ! J’étais présent à Planétaire, rassemblement du monde francophone de l’éducation relative à l’environnement. Nous étions là-bas pour préparer Johannesburg et faire monter d’en bas les préoccupations du local, tous les problèmes.
Armel Kerrest:
Le problème de l’OMC a été évoqué : il faut prendre conscience du fait que dans le cadre de l’OMC un mécanisme efficace a été mis en place pour régler les différends, c’est-à-dire pour faire en sorte que les règles soient appliquées. Mais les règles de l’OMC sont des règles qui garantissent le libéralisme, la libre circulation des marchandises et des capitaux. En revanche, aucun système efficace n’existe pour garantir l’application des conventions de l’Organisation Internationale du Travail ou celles de l’organisation Mondiale de la Santé. Ces règles aussi devraient être appliquées. Elles ne le sont pas toujours. On a privilégié le contrôle des règles qui fortifient le libéralisme. On a mis hors la loi les mesures protectionnistes, on a protégé parfois de façon excessive la propriété industrielle, mais on ne se soucie pas vraiment de beaucoup faire appliquer d’autres règles, en particulier celles qui pourraient limiter la liberté totale des entreprises et des détenteurs de capitaux.
En ce qui concerne les problèmes de pollution qui ont été soulevés, on semble vouloir faire les contrôles, on a eu des marées noires, à chaque fois, on a protesté, on a dit qu’il fallait mettre en place des règles, établir des contrôles, mais il ne faut pas se contenter de belles paroles. La France est tenue de contrôler 25 % des navires qui passent dans ces ports et en fait, elle n’en contrôle que 9,6 %, et elle est poursuivie devant la cour de la justice des communautés européennes pour cette violation de la directive communautaire. Que ce soit en matière de contrôle de l’application de certaines conventions, que ce soit en matière de contrôle des engagements en matière de sécurité maritime, on manque de la volonté politique d’établir ces contrôles. Une décision vient d’être prise, semble-t-il, d’embaucher cent personnes - or il faut cinq ans pour former un contrôleur !
Concernant les conventions sur la biodiversité, sur le protocole de Kyoto, etc., il faut comprendre que ces conventions sont d’abord élaborées, puis appliquées par les États qui sont des États souverains, c’est-à-dire des États qui font ce qu’ils veulent. Les États-Unis, s’ils ne veulent pas ratifier le protocole de Kyoto, peuvent ne pas le ratifier, avec toutes les conséquences qui ont été soulevées à plusieurs reprises. C’est la même chose en ce qui concerne les conventions sur la biodiversité et l’ensemble des conventions qui sont posées. Je crois que là il y a un véritable défi du XXIe siècle. Il est absolument indispensable que nous ayons des dispositions internationales, que l’opinion publique mondiale prenne conscience de la nécessité de trouver des solutions dans un délai relativement rapide, parce qu’actuellement, nous parlons toujours du village mondial, du fait que nous sommes dans une espèce de village global - or comment peut-on fonctionner dans un village où, dans la première rue, on applique une réglementation, dans la seconde rue, une deuxième réglementation ou plutôt aucune et, dans la troisième, plus aucune, alors que tout le monde se promène dans les différentes rues : où va-t-on acheter les matériaux ? Où va-t-on produire les produits ? Où va-t-on éditer des livres, etc. ? On va donc le faire dans les endroits où cela sera le plus facile, le moins contrôlé. Ceci démontre qu’il faut des règles internationales. Il faut se mettre d’accord afin de trouver des mécanismes, avoir la capacité de créer des règles pour notre village qui a besoin d’un droit qui soit appliqué.
Guy Le Fur:
Lorsque le débat sur l’OMC est passé au Conseil économique et social national, j’avais présenté un amendement pour demander que l’ORD (organe de règlement des différends) soit dégagée de l’OMC et qu’il soit à l’ONU. Il doit prendre en compte l’ensemble des conventions, des chartes, des accords, et non pas uniquement au regard du respect des règles de l’échange commercial.
Lorsqu’une convention est ratifiée au niveau global, une application s’en fait automatiquement et, à partir du moment où il y a un échange de produits, il est absolument indispensable que le pays qui vend, ou échange ce produit, respecte cette convention. C’est une façon de pouvoir imposer à l’ensemble des pays les règles qui ont été signées ensemble. Mais les États-Unis ont les moyens de les contourner et d’imposer leurs visions et leurs pratiques aux autres pays.
Éric Gall:
Concrètement, au long des sommets internationaux de cette année, on a assisté à une vraie remise en cause de ce système multilatéral. Pour que cela fonctionne, il faut que tous les acteurs aient un intérêt à ce système et jouent le jeu pour l’élaboration de ces nouvelles règles. Or on s’aperçoit aujourd’hui que certains pays, notamment en premier lieu les États-Unis, refusent de jouer ce jeu. Il a même fallu se battre pour ne pas remettre en cause les principes acquis à Rio en 1992 et ne pas assister à un retour en arrière. Les États-Unis n’ont jamais ratifié la Convention sur la biodiversité et n’ont même pas signé le protocole de bio-sécurité. Pourtant, ils arrivent en masse aux négociations avec des délégations de 30-40 personnes dont la moitié est constituée de représentants de l’industrie, afin de peser sur ces négociations, en sachant pertinemment qu’ils ne signeront pas ces instruments. La réalité, ce sont aussi ces rapports de force.
Vous avez parlé de manque de volonté politique. D’où vient ce manque de volonté et comment faire pour faire en sorte que ce système multilatéral qui permet l’élaboration du droit international indispensable puisse marcher ?
Armel Kerrest:
Je pense qu’il y a des pistes intéressantes. L’une des pistes est la société civile et les ONG. C’est très important parce qu’elles font pression dans différents endroits. Il faut être vigilant. Il y a aussi le problème de la haute fonction publique qui n’est pas toujours sensible aux arguments des “ gens d’en bas ” et qui ne suit pas assez ce type de questions.
Tual Laouénan :
N’y a-t-il pas une prédisposition des cultures monothéistes à la monoculture avec des positions intégristes ?
Emmanuel Morucci:
Nos civilisations occidentales reposent sur un passé commun qui est gréco-judéo-chrétien. Cela a donné les religions monothéistes, particulièrement le christianisme au travers du catholicisme, qui tente d’avoir un regard d’universalité. La règle a été longtemps celle de l’église catholique. Aujourd’hui, sans doute, la réflexion éthique a une base issue des religions monothéistes.
Public : Je vous signale que, depuis quelques années, dans les lycées, une discipline s’est mise en place : l’éducation civique, juridique et sociale. Ce genre de questions, nous cherchons à les aborder en classe de terminale.
Éric Gall:
Il est tout à fait positif d’avoir des débats entre les scientifiques, les industriels, la société civile, mais il faut que ces débats soient suivis d’actions au niveau politique. C’est très important que les scientifiques s’expriment et, en tant que concitoyens, qu’ils comprennent qu’ils ont une responsabilité à s’exprimer, à livrer leurs analyses et à participer au débat public, en s’affrontant à la rue et aux médias. Cet état du débat public, à un moment donné, est fondamental pour arriver à mettre en place des règles.
Emmanuel Morucci:
Il y a bien sûr de l’espoir, mais il y a de la vie et justement, parce qu’il y a de la vie, il faut faire attention et cela ne veut pas dire que la science ne doive pas poursuivre son œuvre, au contraire. On a besoin de l’apport de la science, c’est cela qui fait grandir l’homme. Ceci dit, ce cheminement doit être accompagné d’éthique, qu’il y ait une réflexion qui n’est pas celle du scientifique qui lui n’a pas le temps. L’autre espoir, c’est l’homme, il est peut-être temps de concevoir dans notre monde que l’homme est un être doué d’intelligence et de conscience, qu’il n’est pas simplement un consommateur et qu’il n’est peut-être pas utile de fabriquer constamment de nouveaux produits. La science doit avancer, mais doit-on appliquer la science tout le temps, en tout cas dans le secteur économique industriel ? Je suis personnellement effrayé par les OGM. Je vais terminer par une parabole du “ Poinçonneur des Lilas ”. Dans le réseau interurbain en région parisienne, on a supprimé les poinçonneurs, et on s’est aperçu que faire des trous dans les tickets représentait 5 % de leur occupation et qu’ils avaient finalement un tout autre travail, notamment l’aide à l’éducation, à la citoyenneté, etc. C’était l’adulte de référence, et les jeunes faisaient attention lorsqu’il y avait un contrôleur. Le progrès est passé, on a inventé des machines de plus en plus performantes. On s’est rendu compte que le coût des malversations, des fraudes, s’élève à un milliard quatre sur quelques rames de RER. La question que je me pose et qui apportera peut-être quelque chose à la réflexion est la suivante : combien d’emplois auraient pu être conservés ?
Guy Le Fur:
Depuis que la Confédération paysanne existe (1987), elle essaie de faire en sorte, dans son projet syndical, qu’on tienne compte des paysans, mais également des hommes dans la société, et nous avons joué un rôle important pour que ce débat puisse avoir lieu. Il se trouve que, depuis mardi dernier, un de nos porte-paroles est condamné à quatorze mois de prison pour avoir arraché quelques plants de maïs, de riz. Nous pensons qu’il y a une justice à plusieurs vitesses, et que les types d’actions qui interrogent sont inacceptables pour les décideurs politiques ou institutionnels. Nous n’avons que la grâce présidentielle pour éviter la prison à José Bové. Depuis cinquante ans, c’est la première fois qu’on condamne un syndicaliste dans le cadre de sa responsabilité à une peine aussi longue. Les libertés syndicales et d’expression doivent mobiliser l’ensemble des citoyens.
Mis à jour le 31 janvier 2008 à 17:51