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Discours de Michel MullerDiscours de Michel Muller
Membre du Conseil Economique et Social, rapporteur d’un rapport récent sur la prévention des risques et la réparation des dommages dans le domaine de la pollution
Biographie :
MULLER Michel Compte rendu :
Transcription :
21 octobre 2000 TR4
Discours de Michel Muller :
Notre rapport n’est pas récent, mais il a eu le mérite d’être le premier à être rédigé dès Mars 2000. La conclusion à laquelle nous sommes arrivés est la suivante : ne sommes-nous pas dans une situation où l’on peut s’acheter le droit de polluer ? Cette interrogation à laquelle nous répondons par l’affirmative découle de l’examen de quatre points et qui ont conduit à quelques propositions qui ont été évoquées et qui commencent à être prises en compte au niveau européen et national.
Le premier constat est que les conditions maritimes, et on vient de le voir, sont effectivement encadrées par des textes nombreux et précis mais qui ne sont pas appliqués. Il y a, par exemple, une insuffisance criante de la traçabilité des produits dangereux, et même avec Equasys on ne répond toujours pas à un suivi de ces produits dangereux. D’autre part, la vétusté des navires qui avait déjà été abordée entre autre par le memorandum de Paris, dans lequel il avait été prévu de contrôler 25% des navires. Aujourd’hui nous sommes à une moyenne de 18% des navires contrôlés en Europe et 13% en France. Nous avons 54 inspecteurs en France, quand l’Espagne en a 200. Les conditions d’exploitation des navires sont aussi réglées par des conventions de l’OIT qui ne trouvent pas d’application. Il y a donc des textes mais impossibilité de les appliquer et de sanctionner.
Deuxième interrogation, la responsabilité environnementale est-elle prise en compte ? Nous considérons que la responsabilité environnementale doit être conceptualisée au même niveau qu’une responsabilité économique ou sociale.
Donner lieu à des droits mais aussi à des devoirs, instruire une responsabilité sans faute de l’armateur ou du propriétaire du navire mais également du propriétaire de la cargaison.
En l’occurrence aujourd’hui, si Total est intervenu dans l’affaire de l’Erika, ils l’ont fait au-delà de la législation qui existe, on pourrait donc dire qu’ils ont fait plus qu’ils n’auraient dû faire. On peut considérer qu’ils auraient pu faire beaucoup plus. La législation est là insuffisante.
Le troisième thème concerne tout ce qui est lié à la réparation.
Nous avons utilisé ce terme provocateur de “ digues de papier ”, parce que les circulaires interministériels qui existent couvrent tout ce qu’il faut faire. “ Réparation ” sous-entend toutes les interventions nécessaires pour se battre contre les effets. Nous avons une digue de papiers avec quelques absences notoires, entre autre celles de l'impréparation de la gestion des secours et des estimations inexistantes des dégâts écologiques. Difficile d’avoir des repères pour exiger la restauration. Digue de papiers également dans le fonctionnement administratif, où si le plan POLMAR-mer a répondu correctement à sa mission, le plan POLMAR-terre a fait la démonstration que nous étions là non pas dans une absence de textes, mais dans une incapacité voire une non volonté de les faire appliquer.
Dernier point, celui de l’indemnisation. Le FIPOL doit augmenter son intervention. Il est passé de 1,2 milliards de francs à 1,8 milliards. Mais on est très loin du 1 milliard d’Euros demandé. Le FIPOL ne prend pas en compte les dégâts écologiques. Il ne suffit pas de modifier le FIPOL dans son budget, mais également dans ses compétences.
Certains textes qui le régissent sont d’une ambiguïté certaine.
Quand on dit “ il faut que les dégâts soient raisonnables ”, on peut s’interroger sur ce que le terme raisonnable veut bien dire. L’intervention du FIPOL dans le dossier Erika était déjà située en amont quand il estimait que le pompage en mer n’était pas pertinent. Ce qui signifie en clair “ nous ne paierons pas ”. On sait aujourd’hui que le pompage en mer a permis d’éviter nombreux déchets sur les côtes. Nous sommes dans une situation où il existe un droit de polluer. Les avancées réelles, tel ce qui est réalisé dans les Cross, sont largement dépassées. Il faut aller au-delà. C’est une question européenne, internationale ou nationale.
Si l’un attend l’autre, on risque fort de ne pas avancer. Il y a des mesures à prendre rapidement, y compris au niveau national. Pourquoi les Etats-Unis peuvent-ils prendre des mesures drastiques, avec des conséquences difficiles pour l’Europe et le reste du monde ? La France peut déjà le faire. Ce qui nous conduit au niveau européen à avoir une réglementation. Elle dépend plus des Etats que de la commission du parlement qui a fait un certain travail.
Dernier point de nos conclusions : au niveau européen et au niveau mondial il y a trois manières de faire, d’édicter les réglementations et de se donner les moyens pour les appliquer, rôle du législateur et du pouvoir public. C’est la formule la plus appropriée et nous avons un exemple avec l’Erika. Le marché ne régule pas un secteur de ce type. Il y aura une autre possibilité qui est celle de la jurisprudence, complémentaire de la première. Comment estimer les dégâts puisqu’on n’a pas encore pu faire un état des lieux préalable ? Les contestations pourraient durer des années.
Il y a une autre manière de gérer les dossiers, et c’est ce qui a été fait avec l’Erika, qui est de dire : est-ce que s’il n’y avait pas eu de mobilisation citoyenne, une exigence de transparence, ces négociations se seraient soldées par ce même résultat, où le propriétaire de la cargaison a été obligé d’intervenir ? Ce que nous regrettons le plus, c’est la culture du secret, du manque de transparence qui traverse toutes ces questions. Les débats autour du produit lui-même de l’Erika, cette clause de confidentialité autour du pompage, n’est pas le meilleur moyen de préparer une opinion à des prises de décisions législatives pour encadrer quelque chose d’aussi important que le transport maritime.
Les catastrophes majeures peuvent encore survenir avec l’état des navires, la vétusté, s’il n’y a pas de mesures de prises. On peut être à l’orée d’une ère de catastrophes plus graves que celles que nous avons connues.
Mis à jour le 28 janvier 2008 à 16:24