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2000 : Vagues de pollution, impacts et prévention > TR1 : Vingt mille barils sous les mers, Science, politique et marées noires >  Discours de Michel Glémarec

Discours de Michel Glémarec

Biologiste, de l’Amoco Cadiz à l’Erika : Professeur émérite à l’Université de Bretagne Occidentale

Biographie :

GLEMAREC Michel

Compte rendu :

Téléchargez "Trois naufrages" texte de M.Glémarec


Transcription :


20 octobre 2000 TR1


Discours de Michel Glémarec :


Avant de se lancer directement dans cette discussion sur l’observatoire, il faut revenir aux années 60. Car en 1967, pour nous, c’est la grande découverte : la première fois que l'on voit une marée noire, c’est l’affaire du Torrey Canyon, le pétrole a beaucoup navigué, il a traversé la Manche. On va découvrir cette "mousse au chocolat" mais on ne va pas découvrir vraiment de réelle mortalité. Il est clair que les Anglais ont été très actifs à l’époque dans le nettoyage et la grande leçon qui est apparue à la fin des années 60, c’est que le nettoyage pouvait faire plus de dégâts que le pétrole lui-même. Les Anglais ont chiffré la recolonisation des rochers, qui avaient entièrement été traités avec des produits détergents : il fallait un minimum de 17 ans avant qu’on ait un premier équilibre. Quand ensuite quelques années plus tard, en 1978, l’Amoco Cadiz est arrivé, nous avions ça complètement ancré en nous.
Nous avions déjà oeuvré très rapidement pour que l’on n’utilise pas ces produits. Ce n’était plus des détergents,on les avait appelés différemment. Notre inquiétude était très forte de ne pas créer une deuxième marée noire.
Contrairement à ce que nous disaient les pétroliers, le pétrole, ça flotte : on va voir comme d’habitude une émulsion, la " crème au chocolat ". Nous découvrons avec les nombreux étudiants qui nous aident à l’époque, que ce qui meurt en fait, ce n’est pas directement ce que l’on voit sur le rivage, ce sont les animaux qui peuvent vivre jusqu’à 30 et 50 mètres de profondeur. C’est-à-dire que cette qualité de pétrole dans des conditions hydrodynamiques extrêmement puissantes se dissout, se dissout profondément et crée des mortalités. On va trouver des animaux morts, alors qu'on ne savait même pas qu’ils vivaient là.
L’Amoco Cadiz reste la grande catastrophe pétrolière parce qu’elle a créé un réel déséquilibre, parce qu’il y a eu une perte d’organismes vivants chiffrés par Chasset ici présent, de l’ordre de 260 000 tonnes. C’est-à-dire que quand on tue, quand on crée un trou dans l’écosystème, il y a effectivement déséquilibres et après … Nous avons mené un suivi pendant trois ans. Au bout de trois ans, les institutions nous ont dit :“ Qu’est-ce que vous allez continuer à faire au bout de trois ans ? ” On s’est battu, on a inventé un autre mot, on a inventé le mot de “ veille écologique ”. Il rejoint la notion d’observatoire, il existe depuis 1981, nous l’avons prôné et je le vois resurgir aujourd’hui.
Plaidant à Chicago, je disais clairement devant le juge qu’au bout de 6 à 8 ans, il m’était difficile de reconnaître ce qui était de l’accidentel et du chronique, parce que très vite en Bretagne, apparaissaient des effets chroniques. On a voulu me faire plaider les marées vertes comme conséquences directes de l’Amoco Cadiz, je ne me suis quand même pas laissé prendre au piège.
A l’époque, à la suite d’un profond déséquilibre écologique, on a décelé les premiers déséquilibres économiques, mais nous avions des équipes compétentes sur l’affaire. Le problème de l’économie posait celui de l’échelle car si l’on considérait le Finistère, il n’avait rien perdu en terme de fréquentation des campings, en effet, ceux qui n’avaient pas campé dans le Nord Finistère étaient dans le Sud Finistère.
On avait donc un bilan qui était nul. Par contre, on a constaté un déclin d’activités qui étaient vieillissantes : l’image du marin pêcheur vieillissant, améliorant sa retraite en pêchant son lieu et, ces gens-là ont disparu prématurément. On a donc vu apparaître des marins musclés, investissant avec des bateaux extrêmement puissants. Une des conséquences de l’Amoco Cadiz est effectivement une atteinte très forte à la ressource qui n’était pas prévue au départ, une surpêche.
Il y a autre chose : on a retrouvé des choses tout à fait redondantes sur Aegean Sea et sur bien d’autres catastrophes, mais l’étape nouvelle bien entendu c’est Exxon Valdez et l’Alaska, en 1989, c’est la nature à l’état vierge.
Dans ce secteur, les animaux sont extrêmement démonstratifs, on n’a pas ça aujourd’hui dans l’estuaire de la Loire. Les orques, les aigles chauves, les loutres, toute cette nature à l'état vierge qui fait que les communautés vivent en cercle fermé et vivent directement de ces ressources renouvelables.
Les réactions sont très vives sur le plan économique, sur le plan social et sur le plan culturel. On va se poser le problème de l’attitude de la petite communauté locale alaskaïenne ; quelle est l’attitude à adopter vis à vis du pollueur, est-ce qu’on accepte l’argent du pollueur ou pas ?
Ainsi, une catastrophe pétrolière amène des conséquences socio-économiques, culturelles profondes et il reste encore des traces très, très profondes en ce qui concerne ces populations divisées. On ne peut pas comprendre l’Erika sans évoquer l’essentiel de ces évènements. L’Erika, c’est un peu comme en Alaska, c’est “ l'anneau de baignoire ”, c’est-à-dire que la catastrophe évoquée par François Letourneux, qui est la tempête, amène le pétrole évidemment là où il n’aurait pas dû aller, très haut, très haut sur l’estran. Ainsi, les océanographes sont un peu gênés, parce que quand on nous demande,“ qu’est-ce qu’il faut faire ? ” on s’aperçoit que le pétrole est très haut et que les organismes qui sont touchés souvent sont le chien en promenade ou les oiseaux, avec l’aspect émotionnel que l’on sait. C’est extrêmement fort. Le scientifique est très vite débordé, c'est du “ jamais vu ” cet aspect émotionnel. Ce qui fait que par rapport à l’Amoco qui date maintenant de 22 ans, nous avions fait essentiellement de l’écologie et un petit peu d’économie.
Les médias on ne les avait pas vus. On a commencé à voir les médias à partir de l'Exxon Valdez. Pour nous l'Erika c’est la marée médiatique qu’il faut essayer de gérer. A partir de cet “ anneau de baignoire ”, on peut dire qu’il n’y a pas véritablement de désordre, de déséquilibre écologique.
Il n’y a pas les mortalités habituelles, sauf évidemment les populations d’oiseaux qui ont la mauvaise habitude d’hiverner tous les ans au milieu du golfe de Gascogne. Ce que je regrette, c’est qu’il fallait, en dix secondes dans un vingt heures à la télé, essayer de faire comprendre ce qu’est le golfe de Gascogne. Mais finalement pour en revenir au coeur du débat, quelles que soient les études et la longueur des études que l’on puisse faire, on tombe sur les phénomènes chroniques. Et il est clair qu’aujourd’hui le chronique et surtout les évènements qui sont apparus à la fin de ce millénaire doivent être abordés.
A partir des années 95, nous enregistrons dans nos écosystèmes côtiers, des faits que nous ne pouvons pas expliquer.
L’année 1998 est l’année la plus chaude du millénaire.
Les questions que se posent tous les acteurs du littoral qui vont à la pêche, pousser leur haveneau, sont “ Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi les pieuvres sont-elles revenues? Pourquoi un certain nombre d’espèces qui étaient là discrètement ont subitement explosé ? ”. Et c'est tout à fait récent, cela s’est passé dans les cinq dernières années.
Si on veut aujourd’hui chiffrer l'accident et le chronique dans les cinq dernières années, c’est quelque chose qui est extrêmement préoccupant parce que l’homme a réussi à changer le système. Première raison bien entendu, la surcharge de matières organiques dans nos milieux marins : l’eutrophisation.
Voilà le mot lancé. Et les espèces exotiques qui étaient là, ont profité des conditions climatiques exceptionnelles de la fin de ce millénaire. Si demain il y a observatoire, celui-ci ne doit pas être qu’écologique, il doit aller jusqu’à l’économie. On a à répondre au citoyen qui nous pose des questions : pourquoi brutalement revoit-on les pieuvres ? On les avait oubliées depuis les années 60, autres années chaudes de ce siècle. Brutalement, surgissent plein de questions auxquelles il faut répondre, et démêler l’accidentel par rapport au chronique ce n’est pas facile. Cela suppose un observatoire intégrant des observations de type naturaliste, des observations d’animaux qui enregistrent l’essentiel de tout ce qui est arrivé à la fin de ce millénaire.






Mis à jour le 28 janvier 2008 à 09:54