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Le littoral vu par les jeunes
Les webtrotteurs des lycées Vauban et Kerichen sont allés à la rencontre des jeunes des écoles de Ouessant et du Conquet et leur ont posé une question simple : Pour toi, qu'est-ce que le littoral ?

Visionnez les réponses des jeunes :
- Ecole Sainte Anne à Ouessant
- Ecole Saint Joseph au Conquet



2005 : Le littoral et les avancées scientifiques > TR 3 : Penser ensemble le littoral de demain >  Les pêcheurs : acteurs incontournables du littoral

Les pêcheurs : acteurs incontournables du littoral

Pierre-Georges Dachicourt, Président du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins

Biographie :

DACHICOURT Pierre Georges

Compte rendu :

Voir la vidéo de Pierre-Georges Dachicourt


Transcription :

8 octobre 2005 TR3


Discours de Pierre-Georges Dachicourt

Bonjour à tous.
Je me présente : Pierre-Georges Dachicourt. Je suis, avant toutes choses, patron-armateur à la pêche artisanale, et je suis président du comité national des pêches. Mon domaine de compétences va donc de Dunkerque à Menton, en passant évidemment par la rade de Brest - sachant que ce qui vient d’être dit, et on pourra y revenir plus tard, c’est forcément quelque chose de positif pour la profession. La pêche, en France, c’est quoi ? C’est environ 25 000 personnes, c’est 5 500 entreprises, c’est 1 milliard et demi d’euros de chiffre d’affaire, c’est un emploi en mer et trois emplois à terre induits – c’est donc non négligeable. Ces gens ont été les premiers sur la côte, et je suis sûr qu’ils seront aussi les derniers parce que, forcément, une année compte 12 mois et le tourisme n’en occupe que 4. Donc, les 8 mois qui restent, et bien ce sont ces pêcheurs qui sont là et qui sont les premiers gardiens, justement, de tout l’environnement littoral. Ce sont eux qui sont en train de prévenir, parfois, de certaines pollutions parce qu’ils les ont croisées en mer ; justement, on leur a demandé d’observer en mer certaines choses. J’aimerais bien que dans le schéma qui est en train de se développer le long du littoral, on n’oublie pas une chose : que ces gens-là ont été les premiers le long du littoral, d’abord parce que c’était l’endroit où la mer était nourricière, et qu’ils ont servi aussi à nourrir les populations, surtout malheureusement après les deux grands conflits mondiaux qu’on a pu connaître au siècle dernier. Et, je crois que la France, comme le disait le président Bonnot, a toujours eu le dos tourné à la mer. Par contre elle a surtout su regarder la mer lorsqu’elle avait faim. Et c’est une chose que tous les élus du littoral et tous les touristes que vous êtes potentiellement ne devez jamais oublier : que ces marins-pêcheurs-là ont une vie, certes pas facile – ce sont des râleurs dans l’âme – mais ce sont des gens qui sont là pour préserver votre patrimoine, celui que vous voulez valoriser. Donc attention à ne pas les exclure dans tout ce qui va se passer le long du littoral français.

Sylvie Andreux : c’est un plaidoyer pour les marins et les pêcheurs, c’est ça ?

C’est un plaidoyer, parce que je crois qu’on est de plus en plus marginalisés. J’avais demandé au président Bonnot de nous intégrer d’ailleurs un petit peu dans les réflexions sur la loi « littoral » et autre, parce que je sais qu’on a notre place, et qu’elle est inexpugnable. On est là, on restera là et on sera là après que les autres seront partis parce qu’ils n’auront plus de sens. Vous verrez qu’un jour il y aura une saturation en ce qui concerne le tourisme. A force de trop faire, on s’étouffe de trop faire.

SA : il y a d’ailleurs moins de touristes cette année.

Mais vous verrez que, parfois, ça ira. Le président Bonnot parlait de ces histoires d’implantations, pas sauvages mais récupératives, de certains mobiles home et autres - et je ne vais pas cracher dans la soupe puisque j’en détiens un également sur la côte basque. Je voulais dire simplement qu’on est des acteurs incontournables du littoral français. Un touriste, il vient voir quoi ? Il vient voir le pêcheur, il vient lui acheter quelques kilos de poisson, il prend plaisir à aller dialoguer avec lui parfois, même si ces gens-là sont bourrus pour certains - j’en parle en connaissance de cause. C’est aussi ce message-là que je voulais transmettre. Les pêcheurs sont incontournables dans l’aménagement du territoire et du milieu littoral. Ce sont eux qui vous sauveront de certaines grandes catastrophes – et vous les avez vus, ils sont les premiers acteurs lors de grands naufrages en mer et des pollutions qu’on a vues, on l’a constaté dans le golf de Gascogne. Donc, je dis, c’est un plaidoyer pour les sauver parce que, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ils ont leur place.

SA : on dit de certains pêcheurs qu’ils n’ont plus les moyens d’habiter sur la côte, et qu’ils vivent dans l’arrière-pays. C’est vrai ?

C’est malheureusement de plus en plus vrai, et je prendrai un simple exemple – et ce n’est pas forcément un bon exemple. A Belle-Ile, je représente quelques pêcheurs parmi lesquels des jeunes me disent : « On n’a plus les moyens de se loger à Belle-Ile ». Parce que, justement, la moindre petite bicoque de pêcheur a été rachetée à prix d’or. Alors pourquoi rachète-t-on ces maisons de pêcheurs, justement ? Parce que c’était les hommes les plus intelligents de la terre, à l’origine ! Ils avaient fait des maisons pas trop hautes, avec des pièces pas trop grandes, parce qu’ils n’avaient pas forcément les moyens de mettre trop de bois dans la cheminée. Donc il fallait que les pièces soient confinées afin de garder un maximum de chaleur. Et, maintenant, tout le monde leur envie ces idées. Alors on leur pille un patrimoine qui leur appartient.

SA : ils le vendent, aussi.

Par obligation. Parce que, ma fois, il y a eu un père, il y a eu des enfants, il y a eu des grands-pères et que tout ce patrimoine se morcelle. C’est comme partout en France. Sur le territoire français, tout le monde veut venir près de la côte, pour bien y vivre, mais on va aller travailler dans les grandes métropoles pour gagner plein d’argent.
Ensuite, je voudrais dire que les pêcheurs ne sont absolument pas contre les scientifiques. Loin s’en faut. Vous voyez ici l’exemple de la rade de Brest. Voici un vrai partenariat entre les scientifiques et les pêcheurs. La seule chose, comme l’a dit notre intervenant précédant, c’est que, s’il ne faut pas oublier les scientifiques, il faut surtout aussi que les scientifiques n’oublient pas que les pêcheurs sont des hommes qui observent et qui constatent des choses en mer. Il faut que tout le monde vive en bonne intelligence, c'est-à-dire qu’il faut une partie de réglementation, tout le long du littoral et en mer, il faut une partie tout à fait nécessaire des avis scientifiques – puisque la science est aussi une partie de la vie –, mais il faut aussi comprendre que ce dernier tiers restant que sont les marins pêcheurs, qu’ils soient côtiers, au large ou pêcheurs à pieds, ce sont des gens qui vivent au quotidien sur des constatations. On n’invente rien, on ne fait que constater. Je dis toujours qu’on a le privilège d’être encore les « bac -5 » de la nation, parce que c’était comme ça autrefois : quand on avait 13 ans, il fallait aller en mer. Et bien, moi je vous dis que c’est une véritable gloire pour moi d’appartenir à cette génération-là. Et si je vends avec mes tripes ce métier, c’est parce qu’il a un avenir. Et on ne doit pas oublier les pêcheurs. Les scientifiques, comme les pêcheurs, comme tous les responsables – fonctionnaires et autres – doivent se respecter mutuellement pour faire avancer cette frange littorale.

SA : on sent que ce n’est pas toujours le cas…

Mais on a avancé positivement. Au niveau du Comité National, en partenariat avec l’IFREMER et la direction des pêches, on a fait une charte comme quoi on s’engage les uns les autres à se respecter, à faire des travaux communs, et à tirer la sonnette d’alarme lorsque c’est nécessaire. C’est comme ça et pas autrement qu’on va avancer.

SA : le nouveau défi que vous demandez à la science, c’est un autre mode de combustible, c’est ça ?

Je crois qu’en ce moment, malheureusement, les pêcheurs comme les autres subissent un problème de hausse du prix du gasoil. Mais je crois aussi qu’on fait bien « mousser » tout ça, de façon aussi à enrichir certains secteurs. Alors je veux bien qu’il y ait des problèmes avec des produits fossilisés, et donc avec le pétrole en général. Mais dites-vous bien une chose aussi, c’est qu’on ne pourra pas forcément mettre des éoliennes sur les bateaux pour les faire avancer. On ne pourra pas forcément inventer n’importe quoi et, soyons sérieux, la voile c’est fini. On est dans un monde de technologie. Moi je suis pêcheur. A partir du moment où un ingénieur a trouvé un superbe sondeur ou autre, qu’un commercial vient me le vendre et qu’il va améliorer mon entreprise… En tant que chef d’entreprise, je suis obligé de tenir compte des nouvelles technologies ! Et ce n’est pas pour autant que je suis un prédateur, ou quelqu’un qui va piller les ressources. Certainement pas. Je suis un chef d’entreprise avant tout. Parce que, du 1er au 29 du mois, j’ai un grand nombre de conseillers devant ma porte ; par contre, le 30, en tant que chef d’entreprise, je me trouve seul devant les fiches de salaires et les factures. C’est exactement ça qu’on doit comprendre ! C’est exactement ça que tout le reste de la population doit comprendre. Un pêcheur ne doit pas aller couper son blé en herbe. Il faut être un peu sérieux au sujet des énergies, et il faut arrêter de se focaliser sur elles. S’il y avait quelqu’un qui était capable de trouver un moteur atomique pour mon bateau de pêche, je l’achèterais. Ce ne serait pas plus polluant que ce que je vois par ailleurs tout autour de la planète. Parce qu’il ne faut pas oublier que les Danois ou autres, qui sont de grands donneurs de leçons avec leurs énergies éoliennes ou autres, ont les dernières centrales à charbon avec lesquelles ils polluent encore plus peut-être que la France.
La mer c’est une richesse. Par exemple, j’ai travaillé en partenariat direct avec le SGmer (Secrétariat Général de la mer) - dont j’ai vu monsieur Christophe Le Visage quelque part. On a une pression énorme des extracteurs de granulats en mer parce que, malheureusement, on en est des gros consommateurs. On consomme pratiquement 30 kilos de gravier et de sable par an et par habitant - il faut quand même le savoir. Il faut construire nos routes, nos ponts et autres. Alors comme à terre les carrières ne sont pas très jolies, où elles sont de grands trous par trop visibles, et bien on a décidé d’aller chercher les graviers dans la mer. Certaines zones ont des richesses de granulats - type la Manche qui était quand même un grand fleuve côtier il y a 70 millions d’années. Il y a une richesse au fond de la mer. Des études ont été réalisées et j’ai dit : « C’était pas la peine, vous n’aviez qu’à nous demander. On vous aurait dit où ils étaient, les graviers ». Mais d’un autre côté je suis content, ça fait travailler des dizaines et des dizaines de personnes.

SA : vous ne pouvez pas leur sortir le pain de la bouche, tout de même.

Je n’accepte pas qu’on vienne sortir de la mer du gravier sur lequel, justement, les coquilles Saint-Jacques sont sédentarisées. Ce sont des frayères – et non des nurseries – des frayères de bars, d’encornets et d’autres espèces. Je ne tolère pas que l’on vienne piller une richesse qui est commune. Et ça, tant que je serai là, tant que j’ai été élu - puisque je suis élu jusqu’en 2008, à titre professionnel – et bien je peux vous assurer que je mettrai mes tripes sur la table pour sauver cette profession. Et faire valoir les marins-pêcheurs. Parce que ce sont des gens à qui on doit un grand respect. Ce n’est pas simple, vous savez, la nuit, lorsqu’on est en mer et qu’il fait mauvais temps, qu’on n’est pas arrivé à trouver ce qu’on veut et qu’on a un équipage de 5 ou 6 bonhommes pour certains bateaux, de se dire : « Comment vais-je faire pour joindre les bouts demain matin ? ». Et bien c’est ça qu’il faut comprendre. Ces gens-là, quand ils sont la nuit dans leur bateau, ils ne sont pas au fond d’un lit à penser ou autre. Et on doit les respecter. Ils doivent être respectés au fond du cœur de tous. On n’est plus à l’époque d’Emile Zola ou de Pierre Loti mais, croyez-moi, la mer est toujours un milieu très difficile.
Voilà. Merci à tous.





Mis à jour le 22 janvier 2008 à 11:35