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B R È V E S


Le littoral vu par les jeunes
Les webtrotteurs des lycées Vauban et Kerichen sont allés à la rencontre des jeunes des écoles de Ouessant et du Conquet et leur ont posé une question simple : Pour toi, qu'est-ce que le littoral ?

Visionnez les réponses des jeunes :
- Ecole Sainte Anne à Ouessant
- Ecole Saint Joseph au Conquet



2005 : Le littoral et les avancées scientifiques > TR 2 : Un territoire sous pression  >  Cartographie des milieux naturels littoraux : un outil de gestion

Cartographie des milieux naturels littoraux : un outil de gestion

Sylvain Chauvaud, Docteur en océanologie biologie, créateur et directeur du bureau d’études TBM (Télédétection et Biologie Marine)

Biographie :

CHAUVAUD Sylvain

Compte rendu :

Voir la vidéo de Sylvain Chauvaud


Transcription :

7 octobre 2005 TR2


Discours de Sylvain Chauvaud


Bonjour, je vais vous parler de la cartographie des milieux naturels et de l’utilité de cet outil dans différentes réflexions et je vais vous présenter trois cas d’école. Je vais commencer par une présentation méthodologique. Je reviendrai sur ce que disaient Michel Glémarec et Frédéric Bioret ce matin. Ils parlaient des cahiers d’habitats qui sont une description du milieu naturel avec des classes d’habitats décrites assez précisément mais sur le terrain, pour un cartographe, les habitats correspondent à une réalité complexe :

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Ce que vous pouvez voir sur la photo c’est une intrication de sédiments grossiers avec des herbiers, des champs de blocs, plus loin de la roche supralittorale et c’est bien ce que l’on doit réussir à cartographier, c’est le challenge de Natura 2000 par exemple.

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Le travail se fait à partir de photographies aériennes, l’idée est de trouver le lien entre les différentes couleurs observées sur la photographie aérienne et ce qu’on observe sur le terrain. Pour aborder rapidement les points de méthode : il y a possibilité d’utiliser les outils de l’analyse d’images pour augmenter le contraste de l’image aérienne. Des relevés de terrain couvrent l’ensemble de l’espace à cartographier. Ces données de terrains sont peu à peu intégrées dans le traitement pour aboutir in fine à une carte, dans l’exemple présenté non pas des habitats, mais des biotopes.

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Ce sont des cartes relativement fines, généralement des cartes de travail, c’est-à-dire que, pour communiquer avec un public large, ces cartes doivent être simplifiées ; par contre pour faire de la gestion, de la recherche, un document exprimant la complexité du milieu est parfaitement adapté.

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Tout de suite, en observant cette image aérienne de l’archipel des Glénan, il est possible de distinguer les estrans où il est assez aisé de se promener à pied pour faire de la calibration de terrain. Dans les zones qui ne découvrent pas, il faut évidemment, pour faire la relation entre ce qu’il y a sur le terrain et la photographie aérienne, mettre la tête sous l’eau (plongée sous-marine) et essayer d’établir ce lien.
Dans les zones plus profondes (on a dit ce matin que Natura 2000 s’arrêtait à 20m), d’autres outils sont mis en œuvre car on ne voit plus rien à partir de 15 m.

La carte présentée couvre la partie marine, ne découvrant pas à marée basse, du site Natura 2000 des Glénan. C’est un inventaire non pas des habitats au sens strict, mais des habitats déclinés en faciès. La carte a été réalisée au 1 : 5000 :

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La carte décrit 5000 hectares. La carte peut paraître un peu touffue. Approximativement, tout ce qui est rose correspond à du maërl et ce qui est vert à de l’herbier. Toutes les nuances de vert et de rose correspondent à des états de dégradation. Il a été décidé que pour ces deux habitats maërl et herbier, l’état de dégradation serait exprimé par le taux de couverture d’organismes vivants. Ce choix est contestable, mais l’avantage est qu’il est possible de réaliser des suivis dans le temps. Ainsi, si l’inventaire est repris dans 10 ans, il sera possible que le maërl soit alors complètement mort, et il restera alors à déterminer la cause de sa disparition. Pour tous les autres habitats marins, aucun outil n’a été mis en oeuvre pour dire s’ils sont en bon ou en mauvais état de conservation. Et quand dans 10 ans, lorsque l’Europe demandera à l’Etat français : « Est-ce que vous avez bien réussi à maintenir vos habitats dans un bon état de conservation ? », il n’y aura aucune réponse possible. Ce n’est pas que les outils n’existent pas, c’est qu’il n’y a pas de moyens pour les mettre en œuvre.
Ensuite, à partir de ces documents cartographiques qui donnent une idée précise des enjeux patrimoniaux, et en intégrant des informations comme le nautisme, la pêche, les sources de perturbations – aux Glénan, l’extraction du maërl –, il est possible de générer un plan de gestion, c’est-à-dire une stratégie pour maintenir les habitats dans un bon état de conservation. Les cartes ont donc réellement un rôle à jouer.

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Ce document correspond à la carte des habitats au sens strict, l’inventaire apparaît encore complexe, cela tient au fait que, contrairement à ce qui se passe à terre, il n’y a pas de zones banales en mer et que tous les habitats sont d’intérêt européen.

Pour changer complètement de thématique, on quitte Natura 2000 et on se place au lendemain de l’Erika. Il y a eu, comme vous le savez, un apport massif de pétrole à la côte et une volonté de chacun de nettoyer au plus vite. Que ça soit l’Etat, les individus, les maires, tout le monde est intervenu et on s’est retrouvé avec des stocks de pétrole sur les dunes, des passages d’engins sur des milieux extrêmement sensibles et une anarchie relativement forte, en tout cas au début. Le travail s’est structuré au fil du temps.
Le projet de recherche que nous avons développé partait de la question : « Est-ce qu’on ne pourrait pas, dans le cadre de la révision des plans POLMAR, fournir une information tout à fait opérationnelle qui spatialise les enjeux et donne des solutions pour réaliser les différentes opérations en se focalisant essentiellement sur la flore et la végétation ? » Le projet a été porté et coordonné par le Conservatoire Botanique National de Brest. Ce projet était ambitieux. Cela a duré 3 ans, une quinzaine de personnes, aux spécialisations variées, y ont participé : des botanistes, des cartographes, des spécialistes du SIG.

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TBM a réalisé une carte de la végétation littorale – il fallait une définition un peu restrictive du littoral qui, dans ce cas, était défini comme englobant toutes les zones sous influence marine directe ou indirecte. Pour certains secteurs, ces zones peuvent être soit extrêmement larges, soit très étroites. La carte présentée en exemple correspond au secteur de la Pointe du Raz,
les landes côtières sont figurées en rose, les pelouses aérohalines en orange et plus au nord, dans la Baie des Trépassés, les ensembles dunaires sont représentés en jaune. Les cartes étant réalisées au 5000e, elles sont donc géographiquement très précises. Par contre, la thématique a été réduite volontairement.

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Cette diapositive montre un autre type de milieu, puisqu’elle représente Noirmoutier. On voit que la zone d’influence directe ou indirecte de la mer couvre presque l’intégralité de l’île. Les cartes produites étaient physiquement très précises - y compris au niveau de la thématique - mais ce ne sont en aucun cas des documents opérationnels en tant que tels, aussi fallait-il ajouter une information supplémentaire.

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Dans la phase suivante, le Conservatoire Botanique National de Brest a prospecté chacun des milieux décrits, afin de préciser des paramètres comme la vulnérabilité de l’habitat à l’action de l’humain - entre autres le nettoyage. Ils ont aussi précisé l’état de conservation et les listes d’espèces protégées associées, etc… Tout ça a été réalisé à l’échelle du 5000e .

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Ensuite, toutes ces données ont été synthétisées sous forme cartographique. Ces cartes sont réellement des documents opérationnels. Dans l’exemple présenté, en jaune sont figurés les secteurs où il y a des habitats remarquables et, en rouge, les secteurs où il y a des espèces protégées. L’idée est dans le cadre du plan POLMAR : s’il faut mettre un PC opérationnel ou déposer du pétrole à un endroit donné, autant le faire ailleurs que dans les zones rouges ou jaunes. C’est relativement simple comme lecture. Cela a été fait du Mont Saint-Michel, à la limite Charente-Vendée, sur l’intégralité du littoral, et c’est donc un projet pour le moins ambitieux : 200 000 hectares couverts, 2500 km de linéaire côtier. Cela existe à l’échelle du 5000e partout et c’est disponible et libre d’accès sur le site Internet du Conservatoire Botanique National de Brest. C’est un outil qui est clairement adapté à la question posée, soit à la problématique : « Oui ou non peut-on intégrer cette information dans la révision des plans POLMAR ? » Il est aussi possible, à partir des cartes réalisées sur une telle échelle, de mener une réflexion sur le devenir, par exemple, des ensembles dunaires en Bretagne-Pays de la Loire pour savoir s’il y a des connexions possibles pour les espèces entre les sites. Et plus largement, un tel produit est une aide réelle dans toute réflexion sur l’aménagement du littoral.
Je pense que ce programme est une réussite. Par contre, se posent dès à présent des questions cruciales :
- quelle utilisation des données est faite aujourd’hui ? En effet, 2 ans plus tard, je pense que ce travail n’est pas vraiment intégré dans la révision des plans POLMAR ;
- quelle diffusion ? Si cela peut être un outil opérationnel pour une réflexion sur l’aménagement du territoire, on ne voit pas aujourd’hui de mairies, de communautés d’agglomération ou même de départements qui soient au courant de l’existence de ces données et qui les utilisent ;
- quelle pertinence aura un tel état de référence dans 10 ans sachant qu’aucune mise à jour n’est prévue ?


Changeons à présent de thématique. Je vais vous parler des algues brunes des estrans bretons. On est dans un contexte plus « naturaliste ». Dans les années 1990-2000, certains chercheurs, comme Auguste Le Roux, scientifique de Rennes I, s’aperçoivent que, localement, les champs d’algues intertidaux - donc dans la zone qui découvre à marée basse - disparaissent. La question que nous nous sommes posée est : « Est-ce que cette constatation est un phénomène local, ou y a-t-il une certaine ampleur dans le phénomène ? ».

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Voilà typiquement ce qu’on observe dans les zones où les algues sont en régression. Les champs d’algues sont en brun ici et couvrent totalement la roche, la fin du processus est ce qu’on a à gauche, de la roche nue plus ou moins couverte d’organismes comme des balanes qui sont des organismes filtreurs et, dans la zone frontière, une forte proportion de patelles qui sont des organismes brouteurs normalement lécheurs de surface.

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Ce nouveau document est une carte de travail. Elle a été réalisée avec la méthode présentée au début de cet exposé. Le site d’étude se situe à Locmariaquer, Morbihan : au nord, c’est la terre, au sud, la mer. Les cartes décrivent bien plus de choses que les simples champs d’algues, car au-delà de la simple étude des algues, cette carte a vocation à fournir un état des lieux complet.

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Si on prend des photos anciennes, qu’on les redresse, qu’on les rend parfaitement superposables avec celles de 2000, qu’on les interprète de façon simple (sable, roche nue, algues) et qu’on croise les deux sources d’informations, on obtient une carte comme celle présentée ici. En bleu sont représentées les zones où il y avait des algues sur la roche en 1977 ; en 2004, il n’y avait plus que de la roche nue. Il y a évidemment des zones de stabilité. À l’échelle de la Bretagne, cette étude a été réalisée sur 15 sites (un site d’étude fait entre 3 et 100 h ; ça dépend typiquement de la topographie locale car si l’estran est très étroit, on ne va pas couvrir 25 km de linéaire). Il existe 3 cas de figure possibles :


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- En vert, dans le sud Bretagne, vous voyez dans l’estuaire de la rivière de Penerf une augmentation énorme des champs d’algues avec plus de 100%.
- Deuxième cas de figure assez classique qu’on trouve surtout à la pointe bretonne et dans le nord, en bleu, ce sont des zones où on a constaté une stabilité des champs d’algues.
- En rouge, ce sont tous les secteurs où il y a une régression significative des algues, ce qui, à l’échelle de la Bretagne, est un phénomène de grande ampleur avec des secteurs où la régression est de l’ordre de 70%. Le site de Lampaul, qui est seul au nord, est un site exploité. L’explication de la disparition des algues y est donc simple. Pour tous les autres sites où il n’y a pas d’activités humaines de type « récolte », l’explication est donc beaucoup moins aisée. La conclusion de cette étude est que la régression est avérée et qu’elle a des conséquences :
- paysagères, évidemment ;
- écologiques, assurément, car lorsque les algues sont présentes, le système produit de la matière organique alors que, lorsque la roche est mise à nu, elle est colonisée par des filtreurs et des brouteurs. Le fonctionnement de l’écosystème est, de ce fait, radicalement différent ;
- économiques. Ces conséquences-là sont également simples à estimer parce qu’il y a une exploitation industrielle des algues intertidales en Bretagne et si, à terme, ces algues viennent à régresser de façon importante, il y aura un vrai impact ;
- et d’autres conséquences qu’on peut toujours envisager sur le bilan de carbone ou sur l’érosion côtière.
Se posent alors deux grandes questions : une question qui concerne essentiellement le monde scientifique : « Comment expliquer le phénomène ? » Les hypothèses que l’on retrouve aujourd’hui dans la bibliographie sont liées au climat, à la houle et au changement de comportement alimentaire des patelles. Le deuxième enjeu qui apparaît à la suite de cette étude est un enjeu sociétal : « Peut-on aujourd’hui gérer l’exploitation des algues intertidales bretonnes de la même façon que lorsque l’on pensait être dans un contexte de stabilité ? »
Cette régression importante qui concerne les algues intertidales – et, très certainement aussi les laminaires - doit amener les différents responsables de la filière à une nouvelle réflexion.
Merci.






Mis à jour le 22 janvier 2008 à 09:45