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Impact du changement climatique sur le patrimoine du Conservatoire du littoralImpact du changement climatique sur le patrimoine du Conservatoire du littoral
Violaine Allais, Responsable des études et de la communication scientifique, Conservatoire du littoral
Christine Clus-Auby, docteur en géographie
Biographies :
CLUS-AUBY Christine,
ALLAIS ViolaineCompte rendu :
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Violaine Allais et Christine Clus-Auby
Transcription :
7 octobre 2005 TR2
Discours de Violaine Allais et Christine Clus-Auby
Violaine Allais :
L’étude présentée a été réalisée dans le cadre du partenariat avec la Fondation d’entreprise Procter & Gamble pour la protection du littoral, dont Jacques Leroux vous a présenté les grands axes. Ce soutien permet au Conservatoire du littoral de développer des activités scientifiques, en marge de sa mission première qui est d’acquérir des espaces naturels le long des rivages français, pour les soustraire de l’urbanisation et en préserver les équilibres écologiques. Dans le cadre de ce partenariat, des programmes d’études scientifiques sont menés, études d’envergure nationale, parmi lesquelles se trouve le projet que nous allons vous présenter, relatif aux impacts du changement climatique sur le patrimoine actuel du Conservatoire du littoral mais également sur son patrimoine futur – puisqu’il s’agit d’une démarche prospective.
Roland Paskoff aurait dû effectuer cette présentation. Il a participé activement au déroulement de l’étude aux côtés de Fernand Verger et de Christine Clus-Auby. Nous prenons le relais aujourd’hui.
Le contexte de la mission d’intervention foncière du Conservatoire du littoral : cette étude métropolitaine a été conduite sur 59 000 ha acquis, mais également sur un patrimoine futur de 116 000 ha, soit un ensemble de 175 000 ha. L’analyse quantitative des effets du changement climatique sur ces espaces s’inscrit dans une problématique beaucoup plus large de changement global. Nous nous intéresserons ici à deux effets potentiels du changement climatique, qui sont principalement :
- L’accélération de l’élévation du niveau moyen de la mer. Selon les membres du GIEC , celui-ci pourrait se situer à 44 cm au dessus de son niveau actuel à la fin de notre siècle (valeur la plus probable) ;
- L’augmentation de la force et de la fréquence des tempêtes.
Pourquoi le Conservatoire du littoral a-t-il choisi de mener une telle étude ?
La réponse est certes ambitieuse mais inévitable pour un opérateur foncier dont les actions s’inscrivent dans le long terme.
Il s’agit de comprendre les évolutions pour anticiper les effets d’un changement climatique avéré au niveau d’un établissement public tel que le Conservatoire du littoral. Définir les stratégies à mettre en œuvre pour décliner des modes d’intervention adaptés à ce nouveau contexte global, dont les enjeux dépassent les aléas climatiques.
Les deux effets potentiels étudiés dans cette étude sont :
- l’accélération de l’érosion des falaises et des plages,
- l’extension des submersions, temporaires et permanentes, sur les côtes basses.
Présentation des méthodes et des résultats de ce projet, sur les deux volets d’étude : l’érosion et la submersion par Christine Clus-Auby.
L’érosion. Il est nécessaire de rappeler que l’élévation du niveau marin n’est pas le seul facteur de l’évolution des côtes : les courants littoraux, le stock sédimentaire disponible, les actions humaines et d’autres paramètres encore modèlent l’évolution des rivages ; c’est dire la grande complexité d’une analyse prévisionnelle. L’objectif était de quantifier le recul du trait de côte à l’horizon 2100 - ou bien son avancée, car si la majorité des côtes sont en régression, certaines avancent - puis de calculer la surface susceptible d’être perdue ou gagnée.
Pour ce faire deux types d’approches méthodologiques sont possibles. La première, dite modélisatrice, consiste à fabriquer des modèles mathématiques intégrant tous les paramètres qui entrent en jeu. Il s’avère qu’en l’état actuel des connaissances, les méthodes modélisatrices sont assez peu fiables tout simplement parce que beaucoup trop de facteurs difficilement quantifiables interviennent et que leurs interactions sont nombreuses et mal connues. Le recours aux modèles mathématiques ne donne donc pas toute satisfaction. L’autre approche, et que l’on a retenue pour cette étude, consiste à retracer l’évolution d’un rivage dans le passé pour en prévoir, par extrapolation, le comportement dans le futur. Elle repose sur l’analyse de documents cartographiques et de photographies aériennes. Voici un exemple de scénario, qui n’est pas en Bretagne, malheureusement, mais en Normandie.
Il s’agit du site de la Valleuse d’Antifer, en Seine-Maritime, où la position possible du trait de côte - ici le pied de falaise crayeux – en 2100 a été calculée. Vous voyez ici 3 traits de couleurs qui correspondent à 3 scénarios envisageables. C’est le scénario correspondant au trait de couleur orange qui a été retenu comme le plus vraisemblable ; il montre un recul possible d’une vingtaine de mètres à l’horizon 2100. Cette méthode a été appliquée à chacun des sites du Conservatoire du littoral.
En ce qui concerne l’évaluation de la submersion des terres basses, l’étude est bien sûr basée sur des considérations de niveau, d’altitude. Dans l’ensemble des terres basses, il convient de séparer les sites endigués - polders, salines, qui sont dès aujourd’hui situés en dessous du niveau des pleines mers -, des sites non endigués - rives d’estuaires, fonds de baies, marais séparés de la mer par des cordons dunaires.
Les sites endigués peuvent être envahis par la mer si les digues qui les protègent se rompent ou sont dépassées par la marée. Nous avons par conséquent examiné le niveau marin prévisible en 2100, c'est-à-dire, pour les mers à marée, le niveau des hautes mers de vives eaux, assorti de la surcôte moyenne dans le secteur d’étude. Le professeur Fernand Verger vous a dit ce matin que ce niveau n’est pas le même sur toutes les côtes de France et que l’estimation du niveau attendu en 2100 est bien sûr assez délicate. Nous avons tenu compte ensuite de la hauteur du sommet des digues et de l’état de ces ouvrages. Enfin, l’altitude des polders que ces digues protègent a été relevée.
L’étude de la submersion des sites non endigués, comme par exemple la Mare de Vauville, dans la Manche, a pris en compte l’altitude des marais, mais aussi celle du cordon littoral qui les isole de la mer. La capacité de résistance de ce cordon, qui peut reculer ou bien se rompre sous l’effet de l’érosion, a été estimée.
Voyons maintenant les principaux résultats de cette étude. Les éléments chiffrés que je vais vous présenter ne sont absolument pas des prédictions, ni même des prévisions, mais de simples scénarios d’une évolution probable. Ils ont été élaborés selon la méthodologie que je viens de vous exposer, en utilisant la documentation disponible sur ce sujet. Gardons par conséquent une certaine prudence à leur lecture.
Très globalement, on peut considérer que 647 hectares du patrimoine actuel du Conservatoire (soit 1,2 % de sa surface) pourraient disparaître du fait de l’érosion d’ici à 2100. De la même manière, environ 1 500 hectares pourraient être érodés si l’on prend en compte les terrains que l’établissement a l’intention d’acquérir (soit 1% de leur surface totale). Vous pouvez constater que ces chiffres sont tout à fait modestes.
Si l’on regarde maintenant ce qui se passe du côté de la submersion, les résultats sont beaucoup plus impressionnants puisque plus de 5 000 hectares du patrimoine actuel pourraient être submergés d’ici à 2100 et plus de 30 000 hectares si l’on prend en compte les acquisitions futures. Cependant, une part importante de ces espaces correspond à des polders, qui sont dès aujourd’hui submersibles si les digues qui les protègent se rompent. En soustrayant les surfaces poldérisées des résultats d’ensemble, il est possible de voir que la submersion des sites non endigués représente 1 300 hectares du patrimoine actuel du Conservatoire du littoral et un peu plus de 3 000 hectares si l’on prend en compte les terrains qu’il a l’intention d’acquérir, soit des proportions de l’ordre de 2,6 à 3 % du patrimoine de l’établissement.
Ces résultats très généraux cachent de grandes disparités régionales. Cette étude a eu également le mérite de mettre en évidence un certain nombre de sites extrêmement sensibles à l’un ou l’autre des deux phénomènes. C’est donc principalement sur ces sites que le Conservatoire devra se pencher pour adapter sa politique d’acquisition et de gestion en tenant compte des possibilités d’érosion et de submersion.
Une dernière précision : quand je parle de submersion, il ne faut pas entendre par là une submersion permanente, mais d’entrées d’eaux marines suffisamment fréquentes pour modifier les caractéristiques des écosystèmes. Pour cette raison, les espaces identifiés comme submersibles ne sont absolument pas des espaces perdus pour le Conservatoire. Bien au contraire, les modifications de ces milieux peuvent ouvrir des perspectives intéressantes, il convient de se reporter à l’exposé de Fernand Verger.
Christine Clus-Auby :
Que faire de ces résultats ? La question est posée et c’est une question d’ordre général puisqu’elle fait appel à la fois à d’autres disciplines scientifiques – géographie humaine, sociologie, économie, pour analyser l’ensemble des composantes des systèmes en évolution – mais aussi à la décision publique. Depuis ce matin les intervenants évoquent le manque de connaissances scientifiques, de démarches prospectives, sur le littoral ; nous avons ici une illustration d’avancées scientifiques au service de la décision publique.
Aussi le Conservatoire du littoral souhaite-t-il dans un premier temps considérer une importante partie du patrimoine qui n’a pas été étudiée jusqu’alors, l’outre-mer. Dans cette perspective, avec l’ONERC , nous avons proposé très récemment un appel à projet pour la réalisation d’études pilotes sur les effets du changement climatique sur les espaces côtiers d’outre-mer. Celles-ci seront réalisées au cours de l’année 2006.
Mais surtout, nous souhaitons intégrer l’ensemble de ces résultats dans une réflexion stratégique sur les modes d’intervention - acquisition et gestion - du Conservatoire, en prenant en compte les éléments physiques tels qu’ils ont été étudiés jusqu’à présent, mais aussi en intégrant les déterminants socio-économiques et juridiques. Ces disciplines seront mobilisées pour analyser des cas précis de perte d’espaces côtiers ou de changement de nature des milieux et proposer un ensemble cohérent d’actions sur ces sites.
Nous souhaitons mener une réflexion collective, apaisée par rapport au catastrophisme qui peut être associé au Changement Climatique, sans pour autant minimiser les enjeux liés au changement global. Nous souhaitons poser les termes du débat de façon simple tout en mesurant la portée des enjeux, considérable, nous semble-t-il, sur les franges littorales.
Vous trouverez sur Internet le rapport de l’étude nationale (
Impacts du changement climatique sur le patrimoine du Conservatoire du littoral : scénarios d’érosion et de submersion à l’horizon 2100, R. Paskoff, F. Verger, C. Clus-Auby, 2005) ainsi que les actes de l’Atelier
Chaud et froid sur le littoral, tenu à Paris en avril 2005, au Palais de la découverte
(www.onerc.gouv.fr, www.conservatoire-du-littoral.fr).
Mis à jour le 22 janvier 2008 à 09:34