2005 : Le littoral et les avancées scientifiques > TR 1 : Un littoral, des approches diversifiées >
Approche pluridisciplinaire : approche aérienne et mesure de l’artificialisation du littoralApproche pluridisciplinaire : approche aérienne et mesure de l’artificialisation du littoral
Louis Brigand, Enseignant-chercheur, Géomer CNRS-UMR LETG 6554 IUEM-UBO
Biographie :
BRIGAND LouisCompte rendu :
Voir la vidéo de
Louis Brigand
Transcription :
7 octobre 2005 TR1
Discours de Louis Brigand
Sébastien Panou : - On va passer à Louis Brigand, qui est l’un des géographes de l’équipe. Il est enseignant-chercheur à l’UBO, spécialiste des îles et îlots et de la gestion des espaces insulaires. Je crois qu’il est particulièrement préoccupé par la superposition des usages et des usagers sur ces zones.
Depuis ce matin j’ai entendu beaucoup d’éléments importants par rapport à ce littoral qui nous intéresse aujourd’hui, et je vais essayer de montrer quel est le regard du géographe par rapport à ce littoral.
Comme vous le savez, la communauté géographique est très ouverte et il y a des géographes qui travaillent dans différents domaines, dans différentes spécialités et chacun, dans a sa propre vision du littoral. Ainsi, il y a beaucoup de définitions du littoral qui sont proposées. Il suffit d’ailleurs de se pencher sur les nombreux dictionnaires de la géographie et l‘on voit, selon les auteurs, des approches qui sont fondamentalement différentes, certains privilégiant l’approche physique – c’est par exemple le cas des géomorphologues -, d’autres plutôt les aspects biologiques – c’est le cas des biogéographes – tandis que d’autres mettent en avant les spécificités humaines, sociales, économiques, et par là aussi, les usages. Chacun va donc donner une définition, ou des définitions qui peuvent, dans certains cas, se compléter ou au contraire se contredire. On a donc des regards croisés de géographes sur le littoral. La question qui se pose souvent – et c’est une question très géographique – est la question de la limite de ce littoral, en mer et à terre. En ce qui me concerne, je me contenterai de vous donner la perception que j’ai du littoral.
Je dois dire d’abord que le littoral c’est mon lieu de vie puisque j’ai la chance, comme beaucoup d’entre nous, d’habiter à Brest, soit au bord de la mer. C’est un avantage qui est présent tout au long de la journée car, étant à l’IUEM (Institut Universitaire Européen de la Mer), j’ai la chance et le privilège de voir la mer de mon bureau. Par ailleurs, j’ai aussi la chance de pouvoir mener principalement mes recherches sur les îles. J’ai donc beaucoup de bonheur à être sur le littoral. En ce qui concerne la définition du littoral, j’aurais préféré définir une île ou un îlot, d’abord parce que c’est beaucoup plus mon domaine et ma spécialité et puis, ensuite, parce qu’une île est une terre entourée d’eau – sa définition est donc assez simple et son littoral s’identifie aisément, pouvant même se confondre avec l’île elle-même. En revanche, dès qu’on passe sur le littoral, les choses sont différentes. Je vais prendre un exemple. Lorsque l’on vient de Paris à Brest dans un airbus par temps dégagé, on voit la mer, on voit le littoral, on voit la côte, on voit le trait de côte, on voit les îles et on a une première échelle… A cette échelle, on peut traiter du littoral en fonction de ses dimensions - par exemple économiques - ou de ses relations avec les arrières pays. Si, au lieu d’un airbus, on prend un petit avion comme un Cessna, on va voir le littoral simplement sur une frange de quelques centaines de mètres. On a alors une autre problématique, qui se situe autour de la limite du trait de côte, soit quelques kilomètres à l’intérieur des terres et quelques kilomètres en mer - c’est la notion du « quelques » qui pose évidemment question. Si, au lieu de prendre l’avion, on vient du large en bateau, on ne va pas voir le littoral mais on va le sentir. On va sentir la terre et c’est une perception en quelque sorte olfactive que l’on va d’abord porter sur le littoral. Ensuite le littoral va apparaître progressivement et on va le cerner dans ses détails. On peut s’imaginer débarquant et, là, à l’échelle du piéton, on va aller dans le port ou marcher sur le sentier littoral ; on a, dans ce cas-là une nouvelle approche, une nouvelle échelle. La question qui se pose pour les géographes concerne la relation par rapport à ces échelles. Finalement, nous sommes tous d’accord pour dire que le littoral, c’est une frontière entre deux mondes. Mais c’est aussi un monde en soi, c’est un monde qui se dilate ou qui se contracte selon les périodes et c’est un monde que l’on va aussi percevoir différemment, selon un certain nombre de caractéristiques qui sont les nôtres, qu’il s’agisse de caractéristiques sociales, professionnelles…
On peut donc dire qu’il existe autant de limites du littoral qu’il existe de phénomènes qui s’y déroulent. On ne peut pas donner de définition stricte du littoral puisque chacune des définitions est fonction des problématiques que l’on peut poser. En revanche je crois qu’il faut chercher à le comprendre le plus finement possible, parce qu’il y a de nombreux enjeux - on en a déjà évoqué un grand nombre et le schéma de Michel Glémarec a été très clair. Comme je l’ai dit, il faut définir clairement la problématique de recherche et, ce faisant, on définit souvent la problématique de l’échelle. Je crois aussi que le littoral un espace qui est très complexe, et qu’il faut donc privilégier une approche pluridisciplinaire. Tout le monde est d’accord sur ce point-là. Par ailleurs, le géographe aimant bien se promener dans les disciplines voisines, il va extraire dans les autres disciplines de ses collègues des éléments qui vont lui servir pour sa propre réflexion. Je crois aussi qu’il faut avoir une vision transversale des problèmes, et pas simplement une vision sectorielle, laquelle est souvent réductrice. Je crois aussi qu’on a tendance à oublier souvent la mer car, lorsque l’on parle du littoral, on le ramène trop souvent au trait de côte et à quelques communes proches de ce trait de côte, alors que l’on doit pourtant prendre largement en compte la mer. Je crois donc qu’il faut ouvrir, maintenant, plus largement le littoral sur la mer.
J’ai eu la chance de faire des survols aériens dans le cadre des recherches que nous menons sur des problématiques de fréquentation touristique et d’usages récréatifs sur les côtes bretonnes et normandes. J’ai particulièrement apprécié le survol du Finistère du Nord au Sud et, pendant les 9h qu’ont duré le voyage, on a fait un survol très exhaustif pour travailler, en fait, sur les mouillages - on sait que c’est une problématique importante sur le littoral, même si je ne vais pas aborder ce sujet. C’est un territoire que je connais bien, l’ayant pratiqué à pied, en voiture et depuis la mer, et le sentiment que j’ai eu après ces 9 ou 10h de vol, et bien c’était que ce littoral était vraiment limité, extrêmement occupé et vraiment très rare. Je crois qu’il est tellement rare qu’il faut faire vraiment attention à ne pas le gaspiller. Il y a des lois qui existent, on le sait, mais il faut aller au-delà de la loi parce que, l’impression que j’ai eu, c’est que malgré la loi, malgré la réglementation, malgré les discours, malgré le développement durable, etc… et bien ce littoral est de plus en plus anthropisé et artificialisé, qu’il s’agisse de l’explosion du nombre des maisons individuelles, qu’il s’agisse des mouillages qui forment un linéaire quasiment continu sur le littoral ou qu’il s’agisse même des secteurs aménagés et protégés. Dans ce domaine-là qu’est-ce que nous, géographes, pouvons faire ? Et bien, grâce aux outils dont, justement, on dispose – notamment les systèmes d’information géographique et des images satellitaires – on a des moyens de mesurer cette artificialisation, cette anthropisation et ces mesures permettent d’éclairer les débats sur l’avenir de ce littoral – ou, du moins, on l’espère.
Je voudrais maintenant vous présenter trois diapositives. Sur la première, qui est une photo relativement banale, vous voyez qu’il y a des secteurs qui sont très bâtis. Il n’y a pas tellement de commentaires à faire… Je pourrais bien sûr vous dire comment un géographe travaille par rapport à cette problématique-là, je pourrais évoquer la question du trait de côte, je pourrais évoquer la question du logement, la question du foncier, la question de l’agriculture, la question des cales, des mouillages… Mais, simplement, je crois que ce type de prospection aérienne est extrêmement édifiante, et je pense que ce ne serait pas inutile, parfois, de proposer à certains responsables de faire ce type de survol afin qu’ils mesurent aussi la réalité avec une vue cavalière - comme c’est le cas ici - de ce littoral. Sur cette deuxième photo, qui représente Ouessant, on trouve des espaces relativement bien préservés et protégés, mais ces espaces sont rares. Je terminerai par une troisième photo, qui est prise dans l’archipel de Chausey est un archipel qui est très sauvage, qui est très peu bâti. Mais, aujourd’hui, le débat se déplace, car ce n’est plus simplement sur la partie terrestre du littoral qu’il faut s’interroger, mais c’est sur les estrans, c’est en mer où la présence humaine est de plus en plus forte. A titre d’exemple, sur cet archipel de Chausey, on a pu cet été comptabiliser plus de 800 bateaux de plaisanciers. Il y a donc de nouveaux enjeux enjeux, et le géographe, avec ses méthodes qui se rattachent toujours à l’espace géographique, participe utilement à la connaissance du littoral.
Mis à jour le 21 janvier 2008 à 14:49