2005 : Le littoral et les avancées scientifiques > TR 1 : Un littoral, des approches diversifiées >
Discours d'ouverture : Le littoral, une histoire scientifique et politiqueDiscours d'ouverture : Le littoral, une histoire scientifique et politique
Lucien Laubier, Président des 9ème Entretiens Science et Ethique, Directeur Institut Océanographique de Paris, biologiste marin, Fondation Albert 1er de Monaco, administrateur, Rivages de France
Biographie :
LAUBIER Lucien Compte rendu :
Voir la vidéo de
Lucien Laubier
Transcription :
7 octobre 2005 Ouverture
Discours de Lucien Laubier
Monsieur le Maire, Amiral, Monsieur le Préfet Maritime, mesdames et messieurs, chers amis, chère Brigitte.
Participant pour la troisième fois à ces Entretiens Science et Ethiques et présidant pour la seconde année - ce qui ne s’était pas produit jusqu’à présent –, me voilà de nouveau parmi vous avec le plaisir de retrouver cette ville de Brest, où j’ai passé personnellement une dizaine d’années de ma vie. Je voudrais d’abord commencer par dire quelques mots pour remercier les institutions publiques et privées qui font que ces Entretiens, une nouvelle fois, peuvent avoir lieu. Je ne vais pas les énumérer tous ou toutes et celles que j’oublierai ne m’en voudront pas mais, au premier rang des institutions publiques, il est évident que la région de Bretagne, le Conseil Général et Brest Métropole Océan, dont tout à l’heure a parlé monsieur le maire, sont pour beaucoup dans la réussite de cette réunion. D’autres institutions de niveau national ont joué leur rôle : bien sûr la Marine Nationale, le Conservatoire du Littoral et, plus localement, l’Université de Bretagne occidentale, l’IFREMER. J’en passe, ne m’en veuillez pas de les oublier. Au niveau des institutions privées vous avez peut-être déjà repéré dans le programme des noms d’entreprises que nous connaissons bien en matière d’environnement : Veolia Environnement, bien sûr, la fondation Procter et Gamble, France Télécom, qui se préoccupent aussi de ces problèmes. Inutile de remercier Océanopolis. Nous y sommes, nous y sommes très bien et nous allons y passer deux jours fructueux, j’en suis sûr. Les moyens matériels ne suffisent quand même pas à réussir chaque année une entreprise de ce type, il lui faut une âme. Cette âme j’ai nommé, si on peut dire, Brigitte Bornemann-Blanc qui s’y consacre avec la même passion qu’il y a une dizaine d’années. Je voudrais aussi remercier ici les prédécesseurs. Ils ont été cités, je les cite à nouveau, tans pis : Michel Glémarec, Jean Francheteau qui sont d’abord des amis avant d’être des collègues et avant d’apporter leur aide au cours des préparatifs, de même que les membres de notre conseil scientifique.
Alors venons-en au fond. Quelques mots très rapidement, parce que je suis de ceux qui croient que la partie la plus intéressante de cette réunion, c’est le dialogue et non les monologues, même s’il faut bien un petit peu de formalisme dans tout ça. Donc je vais me permettre de dire quelques mots. L’an dernier, vous vous en souvenez, pour ceux qui avez participé, nous avions choisis un thème fort intéressant : « L’exploitation des ressources naturelles marines ». Donc des ressources qui, par définition biologiques, sont renouvelables. Le littoral ne l’est pas. Le linéaire de côte n’est pas extensible. Et nous ne pouvons donc pas espérer le gérer de la même manière et selon les mêmes approches que l’on pouvait gérer ces ressources naturelles dont au fond, on voyait que, dès lors que l’on avait une certaine sagesse dans la détermination du niveau d’exploitation, telle que ce niveau soit quand même inférieur aux plus graves aléas des variabilités naturelles des populations, on pouvait parvenir à éviter une raréfaction irréversible de ces ressources. Le littoral, encore une fois, c’est une autre affaire. Il n’y a pas d’extension possible. Il est là, devant nous, et nous ne pouvons l’utiliser que de cette manière-là. Or nous voulons le développer et nous disons, sans beaucoup réfléchir à l’antinomie de ces deux mots, que nous voulons un développement durable. Je vais prendre un exemple que les économistes connaissent bien : supposez que vous vouliez poursuivre une croissance économique de 2% par an pendant 1000 ou 2000 ans, demandez-vous, au bout de simplement deux siècles, quelles seraient les ressources nécessaires pour maintenir la progression au taux actuariel, et les actuarialistes connaissent très bien ces problèmes-là. C’est parfaitement irréaliste. Il faudrait toutes les ressources de la planète et, au-delà de deux siècles, on aurait déjà dépassé ces possibilités. En d’autres termes le développement durable, en fait, à une certaine échelle de temps, n’existe pas. Toutes les sociétés, qu’elles soient animales ou qu’elles soient biologiques, se développent jusqu’à un certain niveau en fonction des ressources disponibles. Et puis il y a une limitation qui est imposée et je suis de ceux qui pensent que ce n’est pas une expansion à travers l’espace qui permettra aux habitants de notre planète de trouver de nouvelles frontières. Mais ceci est une autre question. Donc est-ce qu’il n’y a pas dans le mot développement, plutôt que cette dimension économique précise, quelque chose d’autre qui est plus culturel, plus social. Un développement qui serait avant tout un accomplissement de l’individu, la satisfaction d’un confort minimum pour chacun d’entre nous. Est-ce que ce n’est pas ça le développement – pour autant je ne crois pas avoir résolu le problème, s’il est progressif. Le littoral nous a semblé être un très bon exemple aussi, parce que tous ceux qui ont passé ou vécu à un certain moment de leur vie sur le littoral ont l’expérience de ce qui s’est produit dans le temps d’une – je parle pour moi – d’une génération. D’une cinquantaine d’années. On a tous le souvenir d’une petite crique entourée de rochers qui était parfaitement vierge de toute habitation il y a soixante ans ; d’une petite plage bretonne où l’on pouvait très facilement parcourir un kilomètre sans voir personne d’autre, en ayant simplement devant soi le spectacle du sable et des vagues infiniment renouvelées. Et puis nous savons ce que c’est devenu aujourd’hui. Nous savons que ça a été très, très fortement dégradé, utilisé par l’homme pour d’autres satisfactions qui, en tout cas, on dégradé le côté naturel que nous aimions tellement. Alors, certains de ces sites ont pu être préservés et le seront, en principe à tout jamais, étant devenu la propriété du Conservatoire National du littoral, qui est une entreprise fort importante créée il y a maintenant une trentaine d’années et dont nous parlerons au cours de ce colloque. Mais il y a le reste, et effectivement une évolution dont nous avons tous pris conscience et je le dis devant vous qui êtes en grande majorité beaucoup plus jeunes, vous ferez aussi vraisemblablement cette expérience. Je ne sais pas ce que seront le spectacle des lieux que vous aimez aujourd’hui lorsque vous y reviendrez dans soixante ans, je n’aurai pas l’occasion de le savoir, mais vous ferez certainement l’expérience que nous venons de vivre au cours de notre génération. Alors une chose que je voulais dire encore un petit peu, c’est que bien sûr nous avons nos mots, nous avons nos concepts - et je vais faire bondir sans doute des gens dans la salle, que je connais bien – en disant que la fameuse gestion intégrée des zones côtières, c’est un petit peu la panacée peut-être sur le papier. Je ne suis cependant pas certain dans les faits qu’elle nous permette d’éviter les problèmes qui nous guettent dès lors qu’on ne lit pas le littoral dans l’espace, pour se dire : « C’est un lieu de compétition, il y a toutes sortes d’activités, les usagers sont multiples, variés, etc… les sources de pollution existent, les efforts de restauration aussi, et tout ça est à équilibrer » En se consacrant à ce type de réflexion, on perd complètement une autre lecture qui est la lecture temporelle. Et, fort utilement, le programme de ces entretiens nous rappelle en quelques mots à cette lecture temporelle.
Vivent aujourd’hui, dans les départements riverains français, des millions d’habitants. Dans l’expectative 2050 égal 6 milliards d’habitants sur la planète, sont attendus en plus près de 3 millions et demie d’habitants sur cette même bande de littoral des 20 départements, des départements français littoraux.
Alors, comment est-ce que cela se fera ? Tout ce que l’on sait, c’est que le linéaire ne bougera pas, il sera toujours là. J’y ajoute que j’ai cité à nouveau le Conservatoire du littoral, je vais à nouveau le citer pour dire que ses ambitions sont peut-être d’atteindre en 2050 une limite qui sera sans doute une limite maximale de l’ordre du tiers du linéaire français préservé et, en même temps, mis à la disposition du public dans des conditions qui restent à déterminer. Et cette lecture-là, cette lecture dans le temps, il faut essayer de la faire parallèlement à la lecture dans l’espace pour prendre vraiment, vraiment conscience des phénomènes qui nous attendent.
Je dirais un dernier mot sur le plan scientifique. C’est vrai que nous essayons de voir ce que la science peut apporter à cet aménagement, à cette utilisation du littoral. Je citerai un seul exemple, c’est l’élévation du niveau de la mer. Bien sûr, tous les scientifiques savent et manient volontiers les concepts. Au cours de la période glaciaire, la mer a évolué entre 80 et 100 m selon les littoraux. Elle est montée, elle est descendue, elle est aujourd’hui à un point haut, elle va peut-être redescendre, nous ne le savons pas. Ca, c’est la première vision où l’échelle de lecture est de 10000 ans.
Puis ensuite il y a l’échelle de lecture séculaire. Celle qui me vaut – je travaille aussi à Marseille comme professeur d’université – des coups de téléphone du type : « Ma maison est située à 10 mètres au-dessus de telle petite calanque, est-ce qu’en 2030 elle sera submergée ? »
Parce que les gens ne font pas la différence, l’échelle de temps n’intervient pas et ils sont habituellement assez surpris d’apprendre que, bon, la moyenne est peut-être 50 cm en 2050 avec un aléa dans les estimations qui est de l’ordre de 30 à 40 cm environ en plus ou en moins.
Donc ne mélangeons pas non plus les échelles, sachons comprendre le discours scientifique tel qu’il est formulé dans les conditions où il est vraiment pensé.
Et puis, ce sera mon dernier mot, persuadons-nous aussi que nous n’aurons pas toujours les technologies, les moyens, les crédits nécessaires pour nous préserver des évolutions du littoral. Il y a des cas où le recul sera sans doute la solution que nos sociétés devront accepter plutôt que de se battre sans espoir excessif contre la montée du niveau de la mer ici ou là.
J’espère que les différents orateurs – j’ai sans doute donné le mauvais exemple – auront à cœur de respecter des monologues aussi courts que possible pour que ce soit plus le dialogue entre la salle et, bien entendu, les intervenants des tables rondes qui prenne le pas et qui nous permette d’entendre des réflexions plus fortes peut-être, plus simple aussi souvent, que les discours que nous prononçons habituellement dans ce genre d’instance. Je déclare donc ouverts ces entretiens et je vous remercie de votre attention.
Mis à jour le 21 janvier 2008 à 14:38