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2006 : La biodiversité du littoral > TR 2 : Outils et modèles de recherche pour étudier les écosystèmes >  Quels outils pour quels suivis : le cas de la Réserve des 7 îles

Quels outils pour quels suivis : le cas de la Réserve des 7 îles

François Siorat, Océanographe, Conservateur de la Réserve naturelle des Sept-Iles

Biographie :

SIORAT François

Compte rendu :

Voir la vidéo de François Siorat


Transcription :

13 octobre 2006 TR2


Discours de François Siorat


Je suis conservateur de la Réserve Naturelle des Sept Îles. Il y a des chercheurs, il y a des décideurs et puis de temps en temps, il y en a qui utilise les outils que peuvent produire la recherche, histoire de mesurer, dans mes espaces protégés par exemple, la biodiversité. Je vais prendre quelques exemples d’outils qu’on utilise dans le cadre de la Réserve Naturelle des Sept Îles et vous montrer quelle peut être la relation entre cet utilisateur un peu particulier qu’est le conservateur ou le technicien dans un espace protégé et le chercheur. Quel est le dialogue qu’il peut y avoir entre la conservation et la science.
Dans le cas par exemple des Sept Îles et des oiseaux marins, on va dire que ce sont des choses « bateau », qu’on sait faire depuis très longtemps. Quand on compte des effectifs, des œufs, des nids…, vous pensez bien qu’il ne faut pas une très grande technicité ou peut-être que c’est parce que ça fait très longtemps qu’on utilise cet outil qu’il nous semble très simple. Les hommes de terrains se sont appropriés cet outil et c’est en régie que l’association qui gère cet espace, la LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux), l’utilise depuis plus de 70 ans et produit des données. Mais lorsqu’on pose la question : Où vont ces oiseaux ? Qu’est-ce qu’ils mangent ? En gros, on commence à s’intéresser à des problèmes de calories comme le disait le professeur Glémarec tout à l’heure. Là, les hommes de terrain sont un peu « secs » sur les méthodologies employées. On est obligé de faire appel tout naturellement au monde de la science. Alors, il se trouve que sur certains outils très particuliers, il existe déjà des chercheurs qui ont travaillé sur des oiseaux semblables et qui ont produit des outils qui permettaient de tracer ces trajets de fous de Bassan en Méditerranée. Vous voyez tout de suite que ce sont des outils en dehors du savoir faire du gestionnaire. Ce sont des outils qui sont en dehors du champ financier du gestionnaire, parce que par exemple, pour produire une carte comme celle-là, il faut à peu près 30 000€ et dans un espace protégé comme la Réserve Naturelle des Sept Îles c’est placé la barre bien plus haut pour le conservateur. Heureusement, le chercheur David Grémillet du CNRS était intéressé pour venir aux Sept Îles et c’est de manière volontaire qu’il s’est déplacé, qu’il a passé une semaine sur le terrain et qu’il a pu analysé les données issues de petites balises. Il y a donc eu un échange. J’avais une question dont la réponse m’intéressait et lui avait l’intention de tester la technique qu’il avait employée ailleurs et sur d’autres oiseaux. On s’est donc trouvé en conjonction de pouvoir utiliser cet outil pour nous gratuitement et pour lui de bénéficier d’une publication scientifique.
On s’intéresse aussi à la flore et à sa biodiversité sur cet espace protégé : liste des espèces, carte de présence, indice de rareté… Des choses que en interne, on peut très facilement manipuler en terme d’outil. Mais si on se pose la question pour aller plus loin en terme de fonctionnalité ou de naturalité des écosystèmes, il faut monter d’un cran en ce qui concerne l’outil. C’est grâce au laboratoire Géomer-IUEM-UBO à Plouzané, qui était lui-même en train de réfléchir à une méthodologie à mettre en place en mer d’Iroise pour modéliser les dynamiques d’évolution des flores spécifiques des îlots marins, qu’on a ouvert cet espace des Sept Îles comme site test. On a bénéficié d’une recherche qui était en cours à la fois au niveau conceptuel et au niveau de l’application directe sur le terrain, à bénéfice mutuel puisque dans ce cas là il n’y a pas d’échange financier entre la structure espace protégé et la structure de recherche. On a simplement ouvert le site comme site d’expérimentation.
Autre exemple, l’utilisation d’outil dans un espace protégé : l’estran. Ça grouille dans l’estran ! On se trouve devant des problèmes que les chercheurs rencontrent lorsqu’ils essayent de mesurer la biodiversité : l’estran c’est de multiples habitats, de multiples espèces. On peut toucher des listes potentielles de plus de 1000 espèces. Donc, nous, en tant que gestionnaire, on essaie d’avoir une réponse à la question : qu’est-ce qu’il y a sur mon domaine ? On me dit qu’il faut placer des petits cadrats. Mais il faut une heure pour analyser ce cadrat. Donc il faut pratiquement une semaine ou parfois un mois pour analyser ce qui est sorti de ce cadrat. Et est-ce que un petit cadrat d’à peine de 1 m2 est représentatif de 940 ha ? Et bien non pas tout à fait, donc il faut multiplier le nombre de cadrats et on arrive au problème de la structure financière. Là, on est plus dans les 5 zéros, il faut parfois aligner 6 zéros. Donc on a un problème. On a parlé des spécialistes qui étaient peut être les prochaines extinctions en terme d’espèces, mais il y a aussi un gros manque du côté de ceux qui doivent financer les espaces protégés de prise en compte de cette mesure toute bête de la biodiversité. Parce que face aux mesures qu’on est obligées de mettre en place sur le terrain, on n’a pas de répondant c’est-à-dire qu’on n’arrive pas à trouver des tuyaux qui permettent d’alimenter la recherche pour avoir les réponses aux questions : « Combien y a-t-il d’espèces d’algues sur l’estran ? » « Combien peut-il y avoir de coquillages ? »
Alors on se retourne vers des outils plus généralistes qui, sur des pas de temps non plus annuels mais sur 5 ans, vont nous donner des images, je ne dirais pas un peu grossière pour ne pas être péjoratif, mais des images à plus grandes échelles, à plus grandes tendances. Donc c’est essentiellement à base de photographies aériennes et de photo-interprétations que l’on répond déjà à la question sur l’évolution et les grandes tendances. Mais il manque, ou je ne l’ai pas trouvé ou mes interlocuteurs n’ont pas réussi à me le proposer, cet outil pour aller de manière plus pertinente sur l’évolution très précise de l’estran. Et sur certains domaines, on peut même dire que c’est un blanc : les petits poissons. Est-ce qu’il y a quelqu’un dans la salle qui sait compter des poissons ? Je me suis posé la question il y a 5 ou 6 ans et je n’ai trouvé personne. Personne au niveau de la recherche qui était capable de me donner la méthode, le protocole pour me permettre, dans un champ de laminaires soumis à des courants de marée très forts, dans des eaux froides, quelqu’un qui me dise « tu plonges de telle manière, l’incertitude sera ça, donc tu sais que tu auras, sur des tendances sur du long terme, une incertitude dans l’évolution des populations… »
Mais au moins, on aura un outil permettant de mesurer, de cadrer un petit peu ces populations de poissons. Et bien, personne n’est capable de me proposer un outil comme ça. On a parlé des milieux tropicaux, je ne vous explique pas le nombre de personnes qui se baignent dans les eaux tropicales et qui sont capables de produire des outils dans ces eaux chaudes, mais chez nous, il n’y a personne. Donc on a été obligé, nous en tant que gestionnaires non scientifiques, de se mettre à l’eau et, grâce à des collaborations très informelles, de mettre en place une méthode. Et quand on s’intéresse à des champs de laminaires, on peut dire que ces méthodes deviennent extrêmement pointues. Les poissons se voient de visu quand on est sous l’eau, par contre dans les champs de laminaires, lorsqu’on veut établir une carte sur 240 ha, vous pensez bien que ce n’est pas simplement en étant sous l’eau qu’on va pouvoir avoir des données. Donc on utilise des outils assez pointus qui sont essentiellement de l’acoustique, mais vous pensez bien que la LPO et l’acoustique, ça fait deux. On est donc rentré dans cet outil ou plutôt on a essayé de rentrer dans cet outil et c’est grâce, et je les remercie, à certaines personnes de l’IFREMER et du SHOM qui nous ont un peu aiguillés et qui continuent à nous aider, qu’on élabore un outil très particulier, et il semblerait qu’on soit un peu à la pointe avec d’autres personnes mais que je ne peut pas citées parce qu’on touche à des domaines de la défense. Là, on sort vraiment de notre rôle de gestionnaire, on est carrément dans le champ de la science. Et je dirais qu’on est obligé de pallier ce que la science ne peut pas nous apporter. Ce n’est pas mettre le doigt sur des fautes ou des erreurs ou des manques du monde scientifique mais c’est parce qu’on touche à des choses qui intéressent très peu les financeurs parce que la biodiversité reste un discours au niveau politique mais quand on dit qu’il faut aller mesurer les espèces, les individus, encore une fois ce n’est pas un champ très porteur en terme de financement.
Pour conclure, la biodiversité c’est de l’imagination, de la pugnacité et a un minimum de formalisme.
Imagination parce qu’il faut croiser des problématiques de conservation, moi je suis sur le terrain et dois voir combien il y a de mollusques, avec des thématiques de recherche. Je le dis pour les jeunes qui ne sont pas encore chercheurs : un chercheur, s’il ne publie pas, il est mort, or un nombre de patelles sur l’estran ça ne fait pas une publication scientifique. Donc pour croiser les deux champs, il faut beaucoup d’imagination.
Il faut de la pugnacité parce qu’il faut réussir à convaincre les financeurs potentiels qu’aller compter des patelles c’est extrêmement, non pas intéressant, mais vital en terme de suivi de l’espace. Et il faut un minimum de formalisme parce que dans le discours entre utilisateur des outils scientifiques et le scientifique lui-même, il faut parfois borner par des conventions d’autres champs très pointus en terme de formalisme.
Je vous laisse lire la prose de Fontenelle qui en fait est un plaidoyer pour les suivis et mesurer les espèces et les individus.

Je vous remercie





Mis à jour le 18 janvier 2008 à 15:40