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2006 : La biodiversité du littoral > TR1 : La biodiversité des habitats littoraux, histoire et évolution >  Présidence

Présidence

Lucien Laubier, Océanographe biologiste, professeur émérite à l’Université de la Méditerranée à Marseille, ancien Directeur du Centre d’Océanologie de Marseille. Membre de l’Académie des Sciences, de l’Académie de Marine et de l’Académie des Technologies. Président des entretiens en 2004, 2005 et 2006.

Biographie :

LAUBIER Lucien

Compte rendu :

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Transcription :


13 octobre 2006 TR1


Discours de Lucien Laubier :


Je vais vous proposer plusieurs éléments de réflexion : la définition et le contenu du mot biodiversité. J’ai volontairement rappelé l’auteur, ce n’est pas moi qui ai fait la plupart de ces planches, c’est Bernard Chevassus-au-Louis que vous verrez cette après-midi et qui était en janvier dernier, lorsqu’il l’a réalisé, président du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. Il l’a aimablement mis à disposition de chacun sur le site.
La diapo suivante nous montre quels sont les problèmes de gestion en terme de biodiversité et tout d’abord, les concepts proprement dits. A l’intérieur de chacune de ces grandes ellipses, vous voyez les relations qui peuvent exister entre des entités qui peuvent être des espèces, des écosystèmes, tout dépend du niveau d’organisation biologique auquel vous vous placez. Vous voyez que d’une ellipse à l’autre, ce qui varie, c’est le paramètre temps qui va modifier sensiblement les relations en même temps qu’elles vous obligent à regarder les lignes rouges verticales qui unissent les deux ellipses et qui représentent d’une certaine manière, si vous prenez les espèces, leur phylogénie, si vous prenez les écosystèmes, l’histoire biogéographique d’un écosystème. Donc vous voyez immédiatement les points importants. Au point de vue fonctionnement, tout est relié, tout est lié, tout est interdépendant et cela est vrai non seulement spatialement à l’intérieur de la même ellipse mais également temporellement. Ceci explique déjà pourquoi les études de la biodiversité sont particulièrement complexes.
Sur la diapo suivante, on voit les quatre conditions qu’il ne faut pas oublier quand on parle de biodiversité.
On va d’abord parler de la dimension de la biodiversité et clairement on peut dire que depuis 15 ou 20 ans, on a ouvert de nouvelles frontières à cette biodiversité.
Le deuxième point c’est la fragilité de la biodiversité et j’ai cru pouvoir me permettre d’employer un terme qu’on entend souvent par rapport aux grandes extinctions du passé, on parle un peu à l’époque moderne d’une nouvelle grande extinction qui est le fait de l’homme, de l’espèce humaine compte tenu de l’importance et des moyens qu’elle s’est donnés pour agir sur le milieu extérieur.
Le troisième point concerne la complexité de la biodiversité. C’est très simple d’une certaine manière : à quel niveau d’organisation biologique considérez-vous la diversité du monde vivant ? On peut la regarder à un niveau moléculaire, à un niveau génétique, à trouver les gènes, au niveau des espèces, au niveau des écosystèmes et c’est toujours cette diversité du monde vivant prise à différents niveaux d’organisation qu’il faudra regarder.
Le quatrième point, ce sont les usages de la biodiversité. Là vous voyez le défi du « développement durable ». J’ai mis des guillemets à « développement durable » car c’est un vocable particulièrement regrettable. Si vous prenez l’exemple du PIB d’un pays comme la France, et si vous dites « développement durable », c’est de me permettre d’avoir chaque année 2% d’accroissement de mon PIB. Et bien vous pouvez faire le calcul, c’est un peu l’histoire des grains de blé sur l’échiquier du scribe égyptien. Au bout de 1 000 ou 2 000 ans, toutes les ressources de la planète ne suffiront pas pour obtenir le PIB en question. Est-ce que vous connaissez l’histoire de l’échiquier du scribe égyptien ? C’est quelqu’un que le pharaon voulait récompenser, il avait fait quelque chose de très utile pour l’Egypte. Et ce monsieur a demandé au pharaon : « Grand pharaon, tu me donneras de tes greniers un grain de blé sur la première case d’un échiquier, deux grains de blé sur la suivante, quatre grains sur la troisième, huit sur la quatrième, etc. … ». Le pharaon lui dit : « Mais bien entendu, je m’attendais à une demande plus élevée compte tenu de la qualité des services que vous nous avez rendus. » Et on commence à apporter le blé. Au bout de la 25ème case – il y a 64 cases sur un échiquier – il n’y a déjà plus de blé et il faut faire appel à des ressources extérieures. Donc le problème du développement durable, je trouve que ce terme est particulièrement mal choisi d’associer la durabilité avec l’agrément, avec le développement. A la limite, c’est vrai que le « sustainable » est plus proche de ce qu’on veut exprimer que le durable français. « Sustainable » c’est « soutenable », c’est-à-dire que l’on peut considérer qu’il s’agit de quelque chose de supportable. C’est une notion un peu différente.
Sur la diapo suivante, on arrive à l’immensité de la biodiversité et là, quelques rappels historiques s’imposent. Je n’ai pas le chiffre des espèces décrites dans le cas de Linné, je crois qu’il était largement de moins de 10 000. Là, vous avez une valeur qui date de 1793, chiffrée par le naturaliste français Daubenton. Et on l’a détaillée : on connaissait très bien les oiseaux bien sûr, et relativement les vertébrés. Les insectes occupaient déjà une place majeure dans l’ensemble, ils représentent déjà la moitié de la totalité des espèces connues à cette époque. On a mis à part les espèces végétales, bien sûr, et à l’époque, on ne savait rien ou pratiquement sur les bactéries libres et on ne connaissait même pas les bactéries infectieuses : donc le monde des micro-organismes est encore inconnu.
La diapo suivante nous montre plusieurs courbes extraites de différents auteurs qui indiquent de quelle manière, pour les différentes classes de vertébrés, ont évolué les chiffres. Là, vous avez Linné : 1 335 vertébrés dans la dixième édition de 1758 du Système de la Nature. Et on voit les chiffres progresser. Ces courbes tendent à s’aplatir un peu pour les oiseaux, les reptiles et les mammifères. Il reste les poissons qui restent en progression et vous voyez le total pour les vertébrés en 1997 : 51 000 espèces. La première idée qu’il faut retenir de cette diapo est que l’histoire naturelle n’est pas figée, les inventaires ne sont pas clos, loin de là.

Où en est-on aujourd’hui ? On a décrit en comptant les micro-organismes et les végétaux, 1,7 millions d’espèces et qui ont une diagnose que l’on sait reconnaître et dont on connaît plus ou moins bien la morphologie et dans de rares cas, l’histoire passée à travers une phylogénie maintenant basée sur des considérations moléculaires qui ont beaucoup enrichi cette approche. Vous le voyez, on en est vraiment au début sur le monde des micro-organismes et la dernière ligne de ce tableau vous persuade, si vous en doutiez encore, que zoologie et botanique ne sont pas des sciences mortes, même si parfois en France, on a tendance à fort injustement les traiter. Ce qu’on obtient actuellement comme résultats à l’échelle mondiale, c’est quand même une dizaine de milliers d’espèces nouvelles qui s’ajoutent chaque année et cela n’intéresse pas seulement les mers ou les terres lointaines mais également les plus proches, donc un domaine immense, encore très imparfaitement connu et on va voir ce que l’on peut en dire aujourd’hui. J’ai laissé ce tableau de Philippe Bouchet, qui représente différents gastéropodes de l’Indo-Pacifique et vous voyez là aussi que chaque campagne importante va apporter des résultats nouveaux. Et aujourd’hui, on est donc à 140 par rapport à un point de départ qui était à 12 espèces environ en 1758.

La diapo suivante est destinée, non pas à parler en détail des systèmes hydrothermaux mais à faire remarquer qu’il arrive, même encore aujourd’hui, de découvrir des écosystèmes qui sont fonctionnellement tout à fait inattendus et originaux. C’est le cas de ces systèmes basés sur la chimiosynthèse où nous avons actuellement – ici c’est difficile de ne pas le citer puisque à Brest a été préparé un document qui fait l’inventaire des espèces trouvées sur l’hydrothermalisme, sa seconde édition est parue il y a quelques mois – je crois, 650 ou 700 espèces nouvelles pour la science qui ont été trouvées dans cet écosystème particulier.

Peut-on faire des estimations sur ce qui nous attend ? Oui, on arrive à le faire en prenant généralement comme technique des inventaires aussi complets que possibles, d’une surface ou d’un transect déterminé, sur une ligne et, dans l’inventaire qui est fait, on fait le bilan entre les espèces déjà connues et les espèces nouvelles qui restent à décrire dans cet inventaire. Cela a déjà été fait, aussi bien pour la forêt amazonienne – forêt tropicale humide – que pour les grands fonds abyssaux sur la marge atlantique en particulier. En fonction de ce rapport, il suffit de passer de la surface unitaire que l’on a étudié à la surface totale occupée par le type d’écosystème considéré et on arrive à une estimation bien sûr en appliquant le même rapport entre le nombre d’espèces connues et le nombre d’espèces qui restent à découvrir. Voilà les chiffres. Si vous faites le total, on voit immédiatement que les insectes sont bien partis pour continuer à être majeurs, ils sont suivis d’assez prêt, curieusement, par les champignons – moins peut-être par les gros champignons que l’on consomme que par tous les groupes de petits champignons filamenteux qu’on trouve partout, y compris dans les bois flottés coulés jusqu’à 10 000 m de profondeur. Les champignons sont là et continuent à utiliser la lignine et la cellulose. Si on totalise, les estimations sont évidemment très variables, mais on dit que ça va de 10 à 25 millions environ d’espèces qui doivent actuellement exister sur notre planète.

Voilà la biodiversité transformée en terme de biomasse. Les eucaryotes sont les animaux ou les plantes uni ou pluricellulaire qui ont un noyau isolé par une membrane à l’intérieur de la cellule contrairement aux procaryotes qui comprennent essentiellement les bactéries où le noyau n’existe pas. Vous voyez les chiffres en terme de quantité d’azote, de carbone et de phosphore qui sont immobilisés. Sur les formes unicellulaires procaryotes, on pense qu’il peut y avoir jusqu’à 10 milliards de souches ou d’espèces différentes à décrire et actuellement, nous sommes dans une période d’explosion de tout ce qui concerne le picoplancton, les espèces dont la dimension est inférieure au micromètre et qui sont très souvent, au point de vue fonctionnel, très importantes parce que fixatrices d’azote gazeux, ce sont les fameuses diazotrophes qu’on trouve de plus en plus fréquemment.

La diapo suivante montre ce qu’est devenu l’arbre généalogique que l’on nous enseignait bien simplifié autrefois. Vous voyez en bas les eucaryotes qui partent de centaines de formes de protozoaires et qui conduisent jusqu’à l’homme. Et vous voyez l’apparition de ces fameuses archaea, ces bactéries de l’extrême, qui vivent aussi bien par des salinités de 100 ou 250 pour mille et des températures de 80°C, que dans des conditions totalement anoxiques et qui représentent tout un ensemble, un véritable règne qui n’est ni eucaryote ni bactérien. Vous avez donc actuellement les trois grands règnes connus dans le monde vivant.

La diversité des espèces, d’où vient-elle ? Elle vient de cette idée qui est quand même le concept majeur de toute la biologie c’est-à-dire l’évolution ou, si vous préférez, plus simplement le fait que les espèces ne sont pas stables dans le temps, qu’elles évoluent. Bernard Chevassus-au-Louis a rappelé ici le modèle classique où on considérait que les variations au sein des espèces sont rares, le plus souvent défavorables et qu’elles sont créées, conservées ou amplifiées par l’homme lorsqu’il domestique une espèce. Puis il nous montre ce qu’est devenu ce modèle à la faveur des études actuelles sur l’évolution. La variation au sein des espèces est en réalité quelque chose de fréquent. Le plus souvent, elle est quasiment neutre, n’est pas toujours négative, comme on l’a cru pendant longtemps, elle peut être créée, conservée ou amplifiée par des processus naturels beaucoup plus que par l’homme. Et c’est pour cela que l’influence des changements climatiques est importante puisque nous savons que là, nous ajoutons un terme important pour stimuler cette évolution et enfin, cette variation peut se faire au sein même de populations isolées et qui n’intéressent pas forcément la totalité de l’espèce lorsque l’isolement est suffisant.

J’ai voulu parler un peu du littoral puisque c’est notre sujet. Le littoral est un sujet par excellence pour la biodiversité parce que deux milieux qui sont normalement séparés et quand même bien dépendants : le milieu atmosphérique d’une part et le milieu marin aquatique d’autre part, les terres émergées et la mer avec en plus au milieu, cette zone frontière qui est représentée par les estuaires, les lagunes où terre et mer s’affrontent, se marient, s’opposent, se rencontrent. Et effectivement, ça va nous donner une biodiversité bien spécifique. Cela veut dire que l’on compte ces espèces, bien sûr, particulièrement élevées, tant pour les formes terrestres que pour les formes aquatiques. Si on entend le littoral comme je l’ai fait dans le panneau du bas de cette diapo, c’est-à-dire la bande de mer allant jusqu’à la limite des 12 milles et 18 km à l’intérieur des terres, le littoral a une diversité écosystémique également très élevée, de nombreuses espèces sont présentes. Je pense qu’il est inutile que j’énumère les falaises, les dunes, les herbiers marins …Le littoral a donc une diversité spécifique et une diversité écosystémique remarquablement élevée. Et s’il s’agit de celui de Madagascar, ceci se traduit par un doublement comme on l’a vu tout à l’heure.

J’ai voulu rappeler ici ce qu’étaient les usages de la biodiversité. Je me suis placé dans une optique un peu plus marine que terrestre puisque je vais parler en premier lieu de pêche et d’alimentation, ensuite des élevages marins et terrestres et des usages récréatifs et culturels que nous ne devons jamais négliger – nous aimons, pour la plupart d’entre nous, voir une nature complète, en état, voir des plantes ou des animaux bien vivants, bien actifs. Les êtres vivants représentent des usines chimiques à travers notamment les applications pharmaceutiques, les médicaments que l’on peut extraire et qui le plus souvent, servent de modèles pour être repris ensuite par la synthèse industrielle mais nous donnent des traces et des éléments nouveaux, les matériaux du vivant – pour le bois c’est inutile d’insister – la régulation des ressources en eau – tout à l’heure vous avez entendu le Prince Albert II de Monaco signaler ce thème comme un des trois thèmes de sa Fondation sur l’environnement – l’érosion et la protection des sols bien sûr, pour lequel le couvert végétal palie les effets de l’érosion et enfin le rôle épurateur de l’eau qui est très important en eau douce, inutile de parler des jacinthes d’eau et des techniques biologiques de traitement de l’eau. Voilà une série d’usages de la biodiversité.



J’espère vous avoir persuadé que c’est une chose complexe mais je voudrais surtout que vous reteniez que c’est une chose qui vit, qui avance, qui doit encore beaucoup avancer pour que nous puissions y voir un peu plus clair. Je terminerai sur une note un peu triste parce que je l’entends constamment autour de moi ;je la vis actuellement pour ce qui concerne la Station d’Océanographie de Marseille dans laquelle je travaille encore. C’est le fait que cette science des organismes, cette biologie « organismique », très considérée dans des pays très proches du nôtre comme les Pays-Bas, l’Angleterre en particulier, est non seulement négligée mais aussi accusée d’être une science vieillotte, désuète, voire de quelque chose qui n’est même plus un objet de recherche. Je crois que cette occasion parmi d’autres est bonne pour s’élever contre ces vues qui traduisent au minimum une méconnaissance complète des problèmes, sinon de mauvaises intentions, ce que je ne peux croire de la part de collègues.





Mis à jour le 18 janvier 2008 à 15:07