La taxe carbone : une opportunité pour le développement des énergies renouvelables ?
Michel Rocard, ancien Premier Ministre, Président de la conférence des experts sur la contribution climat et énergies.
(interview en vidéo par Hubert Coudurier, directeur de la rédaction du Télégramme)
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Transcription :
16 octobre 2009 Interview de Michel Rocard: la taxe carbone est un moyen de diminuer la consommation des énergies fossiles.
Interview réalisé par Hubert Coudurier :
Table ronde : énergies fossiles, énergies renouvelables de la mer
Question posée par Hubert Coudurier Question posée par Hubert Coudurier Le Télégramme : taxe carbone
Hibert Coiudurier: La commission avait prévu de la porter à 30 €. Quel doit être le périmètre d’application de la taxe carbone qui concernerait les seules énergies fossiles (gaz, charbon, pétrole), vous souhaitiez que l'électricité soit également couverte ?
C’est un dossier français qui doit s’intégrer dans la législation européenne. Est-ce que le fait de ne pas taxer l’électricité correspond au souhait d’éviter une double taxation Française et européenne ?
Michel Rocard : Le gouvernement, le sait bien de toute façon l’importance de la taxe carbone ne tient pas à son taux initial. Elle tient au taux stable qu’elle devra atteindre quand elle aura sa plénitude. Il faut longtemps pour ça. La France a donné son accord après avoir refait les calculs chez elle, d’ailleurs, sur l’idée que le taux de cette contribution climat-énergie, il faut garder les bons termes. Le mot « taxe carbone », on ne l’affectera que quand il sera international aux frontières, il faut corriger les déséquilibres, donc c’est autre chose et nous parlons de la contribution climat-énergie. Cette contribution, il est admis qu’elle sera vraiment efficace, qu’elle poussera les gens à changer vraiment de comportement, quand elle aura atteint une centaine d’euros la tonne. Ce sont d’ailleurs les conclusions de la commission présidée par Monsieur Quinet, qui a fait ce travail pour la France. Ça recoupe le fait que le premier pays qui s’est lancé dans cette aventure, la Suède en 1998-1999, est déjà à 100,8 euros la tonne maintenant. Ce qui veut dire que le taux de départ va qualifier une rapidité de croissance plus ou moins forte. Et nous avions proposé 32 euros la tonne pour que la rapidité de croissance ne soit pas trop importante. S’il reste à faire pour atteindre 100 euros la tonne en 2030, ce qui sera l’objectif, on a 22 ans. Il faudrait faire de l’ordre de 4,5% par an à peu près, plus l’inflation. Inflation, qui serait à 5,2%, ça fait du 6,2% par an au moins, c’est beaucoup, mais enfin c’était tenable.
Mais nous savions, dans la commission d’experts qui travaillaient, on l’a d’ailleurs écrit dans le rapport, que ça se heurtait à une autre partie de ce champ qui a avait un prix différent. Pourquoi ? Parce que la première suggestion qui avait été faite par la Conférence mondiale de Kyoto en 2002 a été de limiter les droits de produire des gaz à effet de serre, en plafonnant la permission. Il y a des permis d’émettre des gaz à effet de serre. la suggestion de la Conférence internationale de Kyoto pour ces permis d’émettre des gaz à effet de serre, c’est que ces derniers soient vendables, marchants. De manière à ce qu’une entreprise qui en manque pour continuer son travail industriel de production de matériaux, puisse racheter des quotas. Le mot quota à été repris pour définir ces permis. Ce qui signifie que si une entreprise n’utilise pas tous ses quotas, elle peut les vendre. À la sortie de Kyoto, sur la forte suggestion de la délégation américaine et avec l’espoir de toutes les autres délégations présentes, dont beaucoup pensait qu’une taxe serait meilleure, mais on espérait surtout que les Etats-Unis signeraient pour qu’ils soient dans le coup. On a pris leur idée pour ça, mais ils n’ont tout de même pas signé. Ce qui a beaucoup affaibli le mécanisme de Kyoto, et renvoyé à des décisions locales. Le premier grand organisme qui a pris une décision locale, c’est l’Union Européenne. Et il a créé à l’intérieur de l’Union Européenne, donc pas pour tout le monde entier, un mécanisme de permis vendables, qu’on appelle : des quotas. Il y a donc un marché, qui est un peu inquiétant pour deux raisons :
- La première c’est que de janvier à avril 2009, ce marché a connu une spéculation absolument folle. En 4 mois, on a échangé 220 fois le montant de ce qu’il aurait fallu réduire en gaz à effet de serre pour tenir l’affaire. Autrement dit, les entreprises industrielles vont sur ce marché, les énergéticiens même, pour se faire de l’argent, spéculer, et en essayant de se défiler. On joue au mistigri, ce jeu où l’on doit laisser le valet de pique dans la main de l’adversaire, et quand le jeu s’arrête, celui qui l’a a perdu. Chacun cherche à se débarrasser de ses quotas au moment où on va les estampiller, les valider.
- Le deuxième problème terrible, c’est que bien sûr le gaz carbonique à émettre, est corrélé au prix du pétrole. Puisque c’est à partir de la combustion du pétrole que l’on produit ces gaz. Le prix du pétrole, s’il avait quadruplé de 2000 à 2007, a perdu la moitié de son prix depuis. Il est tombé de 140$ le baril à environ 70. Ce qui a fait baisser le prix des quotas.
Le prix des quotas flotte en ce moment entre 15 et 19 euros la tonne, en moyenne 17 euros. Le gouvernement français c’est trouvé dans la situation de savoir s’il osait prendre le risque d’avoir, pour la même chose : la tonne de gaz carbonique non émis avec deux prix différents, auquel cas, il faut tout une barrière fiscale sérieuse entre les deux, pour éviter qu’il y une connexion entre els deux marchés (non émis et émis), ce qui est très difficile.
Et nous pensions que c’était nécessaire, pour que l’ensemble du dispositif devienne plus efficace. Le gouvernement à considérer que ce n’était pas possible ou extrêmement difficile et n’a pas voulu prendre ce risque. Nous voilà donc avec une contribution climat-énergie qui part à 17 euros la tonne. Ce n’est pas pour cela que tout est résolu dans la confrontation avec les quotas. Puisqu’il y a deux marché différents, et le prix de cet impôt est fixé par l’administration est parfaitement stable, le prix des quotas sur le marché va continuer à fluctuer tous les jours.
Hubert Coudurier : Alors sur le périmètre, vous êtes plutôt partisan d’inclure l’électricité au-delà des énergies fossiles. Est-ce que ça pose un problème de double taxations : française et européenne ?
Michel Rocard : Alors nous changeons de sujet, tout pose un problème de double taxation française et européenne. L’électricité est encore un autre problème. Vous me posez deux question, je vais commencer par la première. L’Union Européenne sait aussi que son système de quota marche mal. Et la présidence actuelle qui est Suédoise, vient de proposer à l’Union Européenne de remplacer le système de quotas, ou de le compléter en fonction de ce qu’ils discutent, par un système taxation commune à toute l’Europe. Si cela se décide, il faudra nous aligner et ajuster le tire quitte à contribuer à la négociation pour faire des choses tout à fait comparable.
Et puis l’Europe a un autre problème : il faut que celles (taxes ?) de nos activités productrices d’énergie ou d’autres choses, qui seraient soumises à cette taxation, mais concurrencées à l’extérieure par des pays qui mettent en vente internationalement, le même produit et le même service mais sans subir cette taxation. IL faut protéger la concurrence. Mais c’est un problème pour l’OMC. C’est pour traiter ce problème-là que l’on garde le mot taxe carbone qui s’appliquera si on doit le faire. Elle ne peut pas être que française mais européenne. C’est au terme de discutions que l’on le décidera, mais ce n’est pas encore réglé.
Vous avez posé également le problème de l’électricité qui est un autre problème. C’est un peu difficile. Vous devez savoir que la France à l’avantage énorme de dépasser 90% à peu près de sa production électrique qui n’émettent pas de gaz à effet de serre : 20% pour l’hydraulique et 80% pour le nucléaire qui fait de la vapeur d’eau. La vapeur d’eau est d’une certaine façon un gaz à effet de serre, mais elle est tellement noyée dans tout le reste qu’on ne la traite pas comme tel. Tout le monde a signé que l’on devait ajouter à cela 20% de source renouvelable. Chez tous les autres (autres Etats membres de l’Europe) c’était indispensable car ils font beaucoup plus d’électricité à partir du charbon : le Danemark 80%, Allemagne 60-65%, à partir du charbon ou du pétrole, ou du gaz, qui produisent eux aussi du gaz carbonique. Et donc chez eux c’était indispensable, chez nous ce n’était pas du tout indispensable, on a signé pour leur faire plaisir. Or, il se trouve que, l’énergie éolienne (énergie du vent) par exemple ou photovoltaïque (du soleil) sont intermittentes, il y a des moments où il fait nuit, où il n’y a pas de vent, et donc quand on dépend (chauffage d’une maison où autre) d’une énergie renouvelable intermittente, il faut compléter, quelque chose de facile à éteindre ou allumer : le pétrole ou le gaz, mais pas le nucléaire. Donc doter la France d’une énergie dont elle n’avait pas besoin pour honorer notre signature, nous oblige à garder un peu plus de pétrole, de charbon ou de gaz dont on en aurait besoin pour combler les pannes des énergies intermittentes. Voilà où on en est. C’est à cause de cela qu’il y a des gens qui disent qu’il faudrait également taxer l’électricité. En fait, on rencontrera le problème dans 5 ou 7 ans, on peut faire dans le début, c’est même prudent. Pourquoi ? Parce que il faut d’abord compléter notre équipement hydraulique, et compléter le nucléaire et le remplacer. Le nucléaire est mal vu puisqu’il y a eu une campagne sur les déchets que l’on ne sait qu’enterrer, les gens n’aiment pas ça, mais ça marche très bien. C’est d’une sûreté absolument totale. Mais jusqu’à présent nous n’avons pas trouvé d’endroit où les personnes acceptent. Il faut tout de même revenir au nucléaire car c’est la seule source de grande puissance qui peut répondre aux besoins quantitatifs en partie. Taxer l’électricité serait dissuasif de ce réveil nécessaire du nucléaire. Un jour viendra où, comme l’électricité n’est jamais que nucléaire, ou purement hydraulique, elle est composite. Quand j’allume ma lampe, on ne saurait dire quelle quantité de charbon a été utilisé pour la fournir. Il faudra taxer l’électricité, mais je pense que ça viendra un peu plus tard.
Hubert Coudurier : Alors, collecte régionale ou collecte nationale pour cette taxe ?
Suite à la disparition de la taxe professionnelle en 2010, certaines collectivités territoriales pourraient y voir un mode remplacement.
Michel Rocard : La bonne solution serait que les régions paient les coûts de manière à leur laisser la décision. L’électricité est le produit maudit qui perd beaucoup au transport. Sur des transports de longue distance, on perd 20 à 30 % parfois 40 % de l’énergie par perte en ligne. Donc si on veut transporter à longue distance et ne pas collecter localement, la perte en ligne est effroyable. Il faut fabriquer beaucoup plus d’énergie et donc beaucoup plus de gaz carbonique. Donc la collecte locale est une exigence écologique.
Hubert Coudurier : est-ce que le principe de fonctionnement de cette taxe a été bien comprise par les français ?
Michel Rocard : Peut-être pas encore, c’est un impôt juridiquement, mais c’est un impôt un peu différent des autres en ce sens où son argent ne va pas aller dans les caisses de l’Etat. Il n’est pas prévu pour enrichir l’Etat, il est prévu pour changer les comportements. Mais techniquement c’est impôt. On a jamais vu que les gens le comprennent tout de suite. Il va falloir s’y habituer d’où beaucoup de pédagogie et d’où d’ailleurs ce que je suis en train de vous raconter.
Hubert Coudurier : Et à terme, et je passe la parole à Sylvie, si tout cela fonctionne, c’est l’extinction de taxe qui se profile si au bout du compte les énergies renouvelables remplacent les énergies fossiles ?
Michel Rocard : Vous êtes bien optimiste, on peut poser le problème comme ça en souriant, il restera quand même des résidus, on ne se débarrassera pas du pétrole comme ça, hélas. C’est un peu un rêve. Combien de temps il nous faut pour se débarrasser de tout le parc automobile ? probablement 20 ou 30 ans et même la voiture électrique sera rechargé avec une électricité qu’il faut bien produire et dans l’électricité, on aura toujours un petit mix.
Question posée par Hubert Coudurier : Mais vous, vous êtes optimiste ? Quand on voit la distorsion de comportement entre les émergents qui ne pensent qu’à produire, qu’à consommer et à nous rattraper en terme de niveau de vie.
Michel Rocard : Les pays émergents comprennent de plus en plus, ils sont au courant, en plus ils rencontrent chez eux des drames, des drames différents : la mer d’Aral complètement asséchée, des zones qui se désertifient à toute allure, l’Afrique perd chaque année l’équivalent de la surface de la Belgique en territoire qui devient désert et non fertile. Donc, il n’y a plus un expert de pays émergents qui puisse dire que tout cela ne les concerne pas, que c’est du baratin de pays développé. Ils savent. Mais ils disent : « c’est quand même vous, les pays développés qui avez fait tous les dégâts, alors commencer par prendre plus que votre charge pour payer le dégât historique. On se rejoindra petit à petit. » Donc nous parlons bout de gras, nous parlons partage du coût et partage inégal accepté c’est bien normal, mais on n’est pas encore arrivé à tout mais je pense que ça viendra.
Tout de même, je voudrais citer un exemple d’optimisme. Il y a un deuxième problème, qu’on oublie maintenant parce qu’on en a moins parlé, c’est le trou de l’ozone. Mais qu’est ce que c’est ? Le soleil chauffe la planète et il la chauffe avec les rayons multiples parmi lesquels deux catégories de rayons ultraviolets : A et B. Les rayons de catégories A, ils nous rendent bronzés, c’est sympathique, on aime ça d’ailleurs. Les rayons ultraviolets B sont très méchants et provoquent des cancers de la peau partout. Comment sommes-nous protégés de cela ? Il y a autour de l’atmosphère une espèce de petite couche d’un gaz qui s’appellent O3, ozone qui cassent les ultraviolets en question et qui est étanche. Or, nous produisons sur terre des gaz : les chlorofluorocarbones, on les appelle CFC. C’est ce que l’on mettait avant dans nos bombes à raser, c’est un gaz qui, lorsqu’il se détend, projette des choses. C’est aussi un gaz qui est l’un des composants grâce auquel on peut faire du froid dans tous nos réfrigérateurs. Quand les CF ont fini leur usage, ils se dispersent dans l’atmosphère et il y a un endroit du monde qui est l’Antarctique où un courant de vent marin autour du continent Antarctique fait une espèce d’isolat climatique. Le résultat c’est que les CFC au bout de 10 à 15 ans de ballades dans l’atmosphère vont se concentrer là et qu’ils cassent les molécules d’ozone. Et cela fait chaque été un gros trou au-dessus de la planète. En Patagonie, c’est-à-dire en Argentine du Sud, les enfants qui vont à l’école sont interdits de sortir dans la cour de récré quand il fait soleil pour lutter contre les cancers de la peau. C’est terrifiant. Or, il y a une vingtaine d’années, on a découvert que le trou d’ozone augmentait de manière démesurée et que l’essentiel de l’Argentine et du Chili, toute l’Australie, toute l’Afrique du Sud risquaient d’être menacées par cette difficulté. C’est un vrai drame, ce n’est pas celui du réchauffement mais c’est un drame avec des millions de cancéreux. Alors le monde s’est fâché. Il y a eu des résolutions, des votes, etc., vous avez dû les commenter en rigolant. Et on s’est mis à dissuader, à interdire les CFC comme gaz dans nos bombes à raser, dans nos projeteurs de quoique ce soit et comme gaz à réfrigérateur. Et on y arrive. Et voilà 3 ans que les statistiques montrent que le trou d’ozone diminue de surface. Il est moins grand chaque été. L’humanité sait parfois résoudre des problèmes. Il n’y a pas eu de secousses, ça été lent, mais on y arrive. Donc je combats le pessimisme
Hubert Coudurier : Michel Rocard, nous vous remercions.