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1997 : L’industrie nucléaire civile, les OGM > Débat France Culture : L'osédante question des déchets nuclaires >  Discours de Jean-Paul Schapira : Le coeur du problème: les déchets à vie longue; le choix du retraitement fait de la France un cas d'espèce

Discours de Jean-Paul Schapira : Le coeur du problème: les déchets à vie longue; le choix du retraitement fait de la France un cas d'espèce

Directeur de recherche au CNRS, physicien à l'Institut de Physique Nucléaire d'Orsay (IN2P3); membre de la Commission Nationale d'Evaluation des Recherches sur la Gestion des Déchets Radioactifs

Biographie :

SCHAPIRA Jean-Paul

Compte rendu :

Transcription :


17 octobre 1997 Débat public France Culture : L'obsédante question des déchets nucléaires


Discours de Jean-Paul Schapira :


Avertissement : Des parties de ce texte ont été publiées dans le numéro spécial de La Recherche de septembre 1997, consacré aux déchets nucléaires.

Les déchets nucléaires sont produits dans les réacteurs nucléaires civils et militaires, mais aussi en amont, lors de l'extraction minière de l'uranium et, dans certains pays dont la France, en aval, lors des opérations de retraitement. C'est la très longue durée de la toxicité radiologique de certains d'entre eux qui pose problème : si les techniques de confinement semblent efficaces sur plusieurs siècles, on ne peut affirmer qu'elles le seront au-delà de plusieurs millénaires. Aussi dans la plupart des pays experts et décideurs préconisent la voie du stockage en profondeur. Il reste à convaincre l'opinion publique que c'est la bonne solution.

Nombre d'activités industrielles, médicales ou de recherche utilisent des matières contenant des corps radioactifs ou mettent en œuvre des rayonnements nucléaires. Elles engendrent des déchets dits radioactifs, sous forme gazeuse, liquide ou solide. L'Agence de l'Énergie nucléaire de l'O.C.D.E. en a donné une définition communément adoptée : est déchet radioactif "toute matière contenant des radionucléides en concentration supérieure aux valeurs que les autorités compétentes considèrent comme admissibles dans les matériaux propres à une utilisation sans contrôle et pour laquelle aucun usage n'est prévu".

Le problème des déchets est devenu un enjeu technologique, économique et politique majeur, même dans des pays qui, comme les Etats-Unis ou la Suède, arrêtent progressivement la production électronucléaire.

Des deux côtés de l'Atlantique, les déchets nucléaires sont considérés par l'opinion publique comme la première cause de risque pour l'environnement. Cette perception provient d'un certain nombre de réalités :

- la présence dans certains déchets de corps radioactifs hautement radiotoxiques et à période très longue, qui nécessitent un confinement par rapport à la biosphère pendant des durées dépassant largement celles des sociétés humaines et pouvant se chiffrer en milliers de siècles ;
- l'existence de pratiques anciennes qui ont conduit à contaminer durablement l'environnement. C'est le cas des déchets radioactifs issus des programmes militaires engagés après 1945, essentiellement aux Etats-Unis et en Union Soviétique ou, à une échelle bien moins grande, l'entreposage en vrac de déchets très irradiants à Marcoule et à La Hague provenant du retraitement de combustibles de la filière militaire graphite-gaz ;
- un déficit d'information qui a alimenté la méfiance du public à l'égard des gestionnaires et producteurs des déchets.

Pourtant, si l'on raisonne à court ou moyen terme, la gestion des déchets nucléaires ne pose pas de problèmes techniques insurmontables, et se présente même sous un jour plutôt favorable :

- contrairement au cas de la plupart des déchets industriels toxiques, ils peuvent être classés en quelques catégories bien définies ; hormis les résidus de l'extraction de l'uranium, les quantités impliquées sont bien moindres que celles des déchets industriels toxiques ; ces quantités peuvent être facilement corrélées à la production d'électricité nucléaire, et sont donc prévisibles;
- contrairement aux producteurs de déchets toxiques, les producteurs de déchets nucléaires sont peu nombreux, identifiés et souvent dotés d'un statut public ou parapublic;
- les connaissances scientifiques et techniques concernant les déchets sont très développées et font l'objet d'investissements considérables dans un cadre national et international.

C'est lorsque l'on raisonne sur des échelles de temps longues, supérieures au millier d'années, que le problème devient vraiment compliqué. Il faut en effet réfléchir en faisant abstraction de toute surveillance institutionnelle prévisible.

Afin de bien situer les enjeux, reprenons la description des différentes opérations qui sont productrices de déchets. C'est déjà le cas, en amont, de l'extraction de l'uranium naturel.

L'irradiation dans le réacteur dure trois ans et s'arrête lorsque cessent les réactions en chaîne qui génèrent des résidus solides contenant l'uranium non extrait (quelques pour-cent) et ses descendants radioactifs se retrouvent dans les résidus solides de la solubilisation du minerai et de traitement des effluents liquides ; ils sont stockés sur place (50 millions de tonnes en France). Ce sont des déchets de très faible activité mais à vie longue. Le risque principal est l'émission permanente du radon, un gaz radioactif dont les descendants peuvent se fixer dans les poumons. Il existe aussi un risque moins important dû au transport du radium par l'eau. On se contente de recouvrir le site d'un matériau peu perméable (argile par exemple) et suffisamment épais (environ un mètre) pour stopper les émanations de radon.

Après enrichissement et diverses conversions chimiques, l'uranium est introduit comme combustible nucléaire dans les réacteurs.

La majorité des réacteurs civils dans le monde sont de la filière dite à eau pressurisée (pwr, ou rep en français). Typiquement, 21 5 tonnes de combustible enrichi à 3,5 % sont chargées chaque année dans un réacteur de 900 mwe. L'irradiation dans le réacteur dure trois ans et s'arrête à un taux de combustion de 33 000 Mwj/t, lorsque cessent les réactions en chaîne. La composition du combustible initial se trouve alors profondément transformée. C'est ce combustible usé, déchargé du réacteur, qui génère le gros des déchets à forte radioactivité.

Il s'agit d'une part de ce qu'on appelle les résidus de fission de l'uranium et du plutonium formé (l'ensemble étant désigné par pf) et d'autre part des corps plus lourds que l'uranium, ou transuraniens, formés par capture successive de neutrons à partir des isotopes 235 et 238 de l'uranium.

Après trois ans de refroidissement en piscine, les pf présents dons le combustible comprennent notamment le césium 137 (137Cs) et le strontium 90 (90Sr), d'environ trente ans de période, mais aussi des radionucléides à vie très longue, comme le technétium 99 (demi-vie de 213 000 ans) ou l'iode 129 (demi-vie de seize millions d'années).

Les noyaux lourds sont classés en deux catégories, les actinides majeurs, uranium et plutonium qui peuvent être utilisé comme combustibles, et les actinides mineurs, neptunium, américium et curium, toujours considérés comme des déchets.

Au moment de leur déchargement, les combustibles usés dégagent beaucoup de chaleur due à l'émission intense de rayonnements bêta et gamma. C'est la raison pour laquelle on doit d'abord les laisser refroidir en piscine, pendant trois à cinq ans. Après ce refroidissement, deux modes de gestion des combustibles irradiés sont actuellement pratiqués dans le monde.

Le premier, privilégié par la France, la Grande-Bretagne, le Japon ou encore la Russie, consiste à retraiter ces combustibles de manière à récupérer l'uranium et le plutonium qui représentent 96% de la masse du combustible usé, les 4% restant étant conditionnés sous forme de colis de verre destinés au stockage en profondeur.

Ce sont les transuraniens et notamment le plutonium qui dominent à long terme la radiotoxicité des combustibles usés/

D'autres pays ont renoncé au retraitement. C'est le cas des Etats-Unis ou encore de la Suède. Ces pays envisagent de stocker directement les combustibles usés dans les couches géologiques profondes, après plusieurs décennies d'entreposage sous eau ou dans des conteneurs à sec. Le plutonium et l'uranium sont alors considérés comme des déchets et demeurent avec l'ensemble des produits de fission et actinides mineurs dans les combustibles usés. Après que les 90Sr et 137Cs ont décru, ce sont les transuraniens et notamment le plutonium qui dominent à long terme la radiotoxicité des combustibles usés. Aussi la stratégie du retraitement, à condition que le plutonium extrait soit effectivement utilisé, conduit-elle à un risque théorique total, ou risque potentiel plus faible que celui du stockage direct. Mais il convient aussi de prendre en compte, ce qui est plus délicat, le risque résiduel, c'est-à-dire celui qui subsiste compte tenu de toutes les mesures de précaution prises (stockage, confinement, etc.). La comparaison entre les deux stratégies qui mènent toutes deux au stockage géologique conduit à estimer un risque résiduel équivalent. Il serait dominé par deux pf (césium 135, iode 129), dont l'impact radiologique ne se manifesterait qu'au-delà de plusieurs centaines de milliers d'années.

Le retraitement est une série d'opérations mécaniques et chimiques visant à séparer en solution aqueuse, les deux actinides majeurs (uranium et plutonium) des autres produits composant le combustible usé. Ces autres produits, actinides mineurs et pf, constituent les déchets de haute activité qui sont destinés, après une période de refroidissement, à être concentrés et emprisonnés dans des verres borosilicatés, en attendant le stockage géologique profond. Le retraitement génère aussi ses déchets propres, suffisamment contaminés en corps à période longue pour justifier leur stockage en profondeur, sous diverses formes (bitumes, ciments).

Enfin, le retraitement produit des effluents liquides contenant notamment la quasi-totalité du tritium relâché dans la mer et de l'iode libéré au moment de la dissolution. Il en est de même des gaz rares, dont la quasi-totalité est rejetée dans l'air (notamment le krypton 85).

Dans les années 1960, les pays nucléarisés programmaient l'exploitation commerciale du plutonium dons le cadre de la filière des surgénérateurs. C 'est sur cette base que fut décidée en France la construction de Superphénix et des usines de retraitement à La Hague (appelées up2-800 et up3). Le programme surgénérateur restant en veilleuse, certains pays dont la France décidèrent dans les années 1980 de recycler, dans des réacteurs à eau (rep), le plutonium issu du retraitement. Depuis 1987, sept réacteurs français sont chargés avec du combustible mixte (mox) contenant du plutonium et de l'uranium appauvri provenant de l'usine d'enrichissement. Comme cet emploi ne peut consommer tout le plutonium contenu dans les combustibles usés déchargés chaque année (1 200 t/an, EDF entrepose une part de celui-ci sans intention de retraitement pour l'instant).

Aujourd'hui, le choix du retraitement est partout réexaminé compte tenu de la situation énergétique mondiale et des possibilités limitées de recyclage du plutonium.

Seule de son espèce, la loi française reconnaît la nécessité d'élargir le champ des options techniques à la transmutation.

Le recyclage du plutonium rencontre en effet deux limitations :
- il est difficile de le recycler plusieurs fois, car il s'enrichit de plus en plus en isotopes pairs, devenant donc de moins en moins fissile en neutrons thermiques ;
- on produit davantage d'actinides mineurs, ce qui a pour effet de limiter les gains en radiotoxicité, surtout si on ne se limite qu'à un seul recyclage.

EDF n'opère actuellement qu'un seul recyclage, dans un nombre limité de réacteurs. Comme il n'est pas question d'entreposer pendant des années du plutonium qui se dégraderait (le Pu-241 fissile se transforme en Am-241), on limite les quantités retraitées à La Hague aux seules possibilités de recyclage.

Qu'ils soient issus du retraitement ou qu'il s'agisse de combustibles usés non retraités, les déchets ultimes présentent des risques durant des milliers de siècles. Le stockage profond de ces déchets, qui constitue aujourd'hui la solution préconisée par les décideurs de la plupart des pays confrontés au problème, se heurte un peu partout au scepticisme de l'opinion publique. En France, à la suite des oppositions rencontrées entre 1987 et 1990 dans la recherche d'un site pour un laboratoire souterrain d'étude de stockage en profondeur, le gouvernement décida en 1990 un moratoire d'une année. Cette pause fut mise à profit pour préparer une loi (votée le 30 décembre 1991 ) fixant trois axes de recherche sur les déchets de haute activité et à vie longue : stockage géologique entreposage, transmutation). Contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis par exemple, la nécessité d'élargir le champ des options techniques au-delà du stockage profond est donc reconnue par la loi. Elle a impulsé de nouvelles recherches dans les organismes français (C.E.A. et C.N.R.S.). La loi prévoit que les pouvoirs publics devront décider du sort des déchets en 2006.


Ailleurs dans le monde, mis à part le Japon et le sud-est asiatique, les programmes nucléaires sont aujourd'hui stoppés. Les centrales existantes continuent de fonctionner, mais s'arrêteront à la fin de leur vie et ne seront, pour la plupart, pas remplacées. La part du nucléaire, qui est de 24% pour les pays industrialisés de l'O.C.D.E., va diminuer dans les deux prochaines décennies du moins. Mais partout, le problème du stockage des déchets à haute activité et à vie longue se pose avec acuité. Le cas des Etats-Unis est particulièrement préoccupant : c'est la que se sont accumulées les plus grandes quantités de déchets d'origine militaire et civile. Or les obstacles politiques y imposent de gérer le provisoire. On estime que les capacités mondiales d'entreposage, qui sont à l'heure actuelle un peu moins du double de la production cumulée de combustibles irradiés, deviendront insuffisantes a partir de 2010. Quelque 8 000 tonnes de combustibles irradiés sont déchargés annuellement dans le monde, la production cumulée étant d'environ 90 000 tonnes non retraitées et entreposées pour l'essentiel en piscine près des réacteurs. Si l'on met à part le cas de la Grande-Bretagne, où l'essentiel des combustibles a été retraité, guère plus de 10 000 tonnes ont été retraitées à ce jour, essentiellement dans les usines de La Hague, qui représentent près de 80 % de la capacité mondiale de retraitement.

Pour les déchets issus du retraitement comme pour les outres, le stockage géologique profond représente partout la solution de référence. Mais il n'existe à ce jour que des laboratoires méthodologiques ou de qualification au stade pilote. Les pays les plus actifs dans ce domaine sont la Suède, qui a décidé par référendum de renoncer au nucléaire en 2010, la Belgique, la Suisse ou le Canada, qui ont installé chacun un laboratoire dans le granite ou l'argile (Belgique). Les Etats-Unis envisagent, quant à eux, deux sites de stockage profond, l'un dans les roches volcaniques de Yucca Mountain, dans le Nevada, l'autre, destiné spécifiquement aux transuraniens, dans des formations de sel au Nouveau-Mexique. Mais dans quelque pays que ce soit, il ne semble pas qu'il sera possible de démarrer effectivement le stockage profond de déchets avant au moins 2020.


Pour en savoir plus
Les déchets nucléaires, un dossier scientifique, Les Editions de Physique, 1997
Physics Today, Special Issue, juin 1997





Mis à jour le 08 février 2008 à 14:56