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Discours de Yves Kaluzni : Le métier de gestionnaire de déchetsDiscours de Yves Kaluzni : Le métier de gestionnaire de déchets
Directeur général de l'Agence Nationale pour la Gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA)
Biographie :
KALUZNY YvesCompte rendu :
Transcription :
17 octobre 1997 Débat public France Culture : L'obsédante question des déchets nucléaires
Discours de Yves Kaluzni :
L’A.N.D.R.A., en tant qu'établissement public, indépendant des producteurs de déchets, a été créé par la loi du 30 décembre 91. Le législateur a voulu identifier de façon claire et précise le métier de gestionnaire de déchets et ses responsabilités en la matière.
Je voudrais revenir sur un certain nombre de points qui ont été évoqués et sur la façon dont se présente en France le problème des déchets radioactifs pour le gestionnaire final. Comme l'ont fait remarquer certains intervenants, nombreuses sont les notions qui demandent éclaircissement: vie longue, vie courte, haute activité, moyenne activité, faible, très faible activité.
Très schématiquement, il faut retenir qu'un déchet radioactif est souvent le mélange de différents éléments radioactifs. On a parlé d'iode, de césium de plutonium. Nous sommes donc confrontés à une espèce de mélange face auquel nous devons mettre en place des modalités de gestion qui soient respectueuses de l'environnement.
On peut distinguer deux choses : les déchets à vie courte qui proviennent souvent de l'exploitation des centrales nucléaires. Il ne s'agit pas de combustible nucléaire mais des déchets générés lors des opérations de maintenance des installations nucléaires, par exemple des gants, des chiffons, des filtres. Ce sont aussi, et nous avons trop souvent tendance à l'oublier, des déchets qui proviennent d'industries non nucléaires au nombre de 1200 en France, comme les hôpitaux, les laboratoires de recherche qui, pour leur activité, utilisent des éléments radioactifs. Ces déchets à vie courte, environ 20 000 m3 par an, représentent 90 % des déchets radioactifs produits en France. Ces déchets perdent au moins la moitié de leur nocivité en moins de trente ans, c'est-à-dire une génération, et nous disposons pour eux d'une solution de stockage industrielle à long terme située au centre de stockage de l'Aube, à 50 km à l'est de Troyes. Les déchets y sont stockés et surveillés le temps que la radioactivité décroisse naturellement au bout de dix générations, c'est-à-dire 300 ans, durée qui permet à la mémoire d'être conservée. Le service des carrières et des mines créé sous Louis XIV ou la gestion des forêts, par exemple, nous confirment la possibilité de conserver la mémoire sur de telles durées. Les 10 % de déchets radioactifs restant sont liés aux combustibles usés, que ce soit du combustible usé non retraité, option étudiée par un certain nombre de pays (Canada, Etats-Unis, Suède) ou que ce soit des résidus ultimes après opérations de retraitement (en France, au Japon, en Grande-Bretagne). Dans ce cas, les déchets peuvent se présenter sous une forme vitrifiée ou sous forme cimentée. Leur caractéristique essentielle est qu'ils contiennent des radio-éléments à vie longue, les fameux transuraniens qui sont souvent évoqués, ou bien des produits de fission à vie longue comme l'iode 129. Leur durée de vie s'étaler sur plusieurs centaines de générations.
On ne doit pas banaliser la radioactivité
Pour une fois, je partage l'avis de Me Rivasi. Je pense qu'effectivement nous sommes dans une situation où on ne peut banaliser la radioactivité. Je ne reviendrai pas sur la directive européenne dont, comme beaucoup de textes européens, la lecture n'est pas d'une simplicité biblique. Il faut revenir sur un certain nombre de principes très simples et voir comment les mettre en oeuvre. L'un de ces principes, c'est qu'une installation nucléaire n'est pas une installation banale. Sans vouloir diaboliser le phénomène de radioactivité, il y a un certain nombre de précautions à prendre, la première étant de conserver la mémoire de l'ensemble des déchets. A ce titre, l'A.N.D.R.A. est chargée d'une mission d'inventaire national. Chaque année, nous publions un inventaire qui précise la localisation des déchets radioactifs en France. Leur existence date de 1905, quand Marie Curie fait extraire les premiers milligrammes de radium. C'est un élément important pour déterminer les mesures à prendre et mettre en place les filières nécessaires. En ce qui concerne les déchets dits de très faible activité, on est à la frontière du déchet banal et du déchet radioactif, on ne sait plus très bien si la nuisance du déchet est la radioactivité elle-même ou s'il s'agit d'une nuisance chimique liée au déchet. Ces déchets peuvent être reçus sur le centre de stockage de l'Aube. A ce jour, ces déchets représentent une faible quantité, 5 Ã 10 % des déchets que l'on reçoit actuellement et peuvent être qualifiés de très faible activité.
L'enjeu le plus important pour la prochaine décennie, c'est le démantèlement futur des centrales E.D.F. Un centre spécialisé de stockage devrait être mis en dans les années 2010 - 2015 pour les déchets de très faible activité afin d'optimiser le coût de gestion du stockage.
Les quantités des déchets de très faible activité qui sont aujourd'hui envisagées sont de l'ordre du million et demi de tonnes pour le démantèlement du parc E.D.F., sur une période de 50 à 70 ans. L'enjeu aujourd'hui est de définir ce que doit être un centre de stockage TFA, de mettre en place des règles de gestion qui permettent de garantir la traçabilité. A ce jour, la Direction de la Sûreté d'Installations Nucléaires mène la réflexion dans ce sens. L’A.N.D.R.A. travaille sur un concept qui a été présenté à un certain nombre d'associations, la CRII-RAD en particulier, et nous souhaitons bien sûr avancer sur ce sujet afin que du discours nous passions aux actes, en un mot, du projet à la réalisation.
Le processus de consultation
Je ne dirais pas que l'enquête publique est la panacée en la matière. L'équilibre à trouver n'est pas simple. Aujourd'hui, pour ce qui concerne l'implantation des laboratoires de recherches souterrains, je me contenterai d'exposer notre expérience. Les enquêtes publiques qui se sont déroulées en 1997 ne sont pas le début du processus de concertation. Ce processus a débuté bien en amont avec la médiation de Christian Bataille en 1993 par l'examen de trente candidatures à l'implantation de laboratoire. Des commissions locales d'information, qui sont pluralistes, ont également été mises en place avant la création éventuelle des futurs laboratoires. C'est-à-dire qu'on ne trouve pas uniquement des experts "officiels" mais également des associations et des personnalités scientifiques indépendantes. Je voudrais rappeler qu'en plus de l'enquête publique, les collectivités territoriales, communes, départements, régions, ont délibéré sur l'implantation des laboratoires de recherches souterrains conformément à la loi du 30 décembre 1991. Demande a été faite aux communes, aux conseils généraux et aux conseils régionaux de se réunir afin de délibérer de l'implantation du laboratoire. Je pense ainsi que le processus de consultation est mieux équilibré.
Devant quelle situation l'A.N.D.R.A. se trouve-t-elle aujourd'hui ?
Nous avons les résultats d'une enquête publique, les collectivités territoriales ont délibéré et donné un avis. La Direction de la Sûreté d'Installations Nucléaires a elle aussi donné un avis technique après étude du dossier par ses experts. Par ailleurs, nous avons le processus d'évaluation de la Commission Nationale d’Evaluation. Il appartient maintenant au gouvernement de pondérer ces différents éléments et de proposer une décision d'implantation des laboratoires de recherches souterrains en toute transparence. Comme je le disais, je pense que le processus de consultation est toujours perfectible. Je note néanmoins que la loi du 30 décembre 1991 a permis des avancées significatives en la matière : le fait que les collectivités territoriales aient pu officiellement donner leur opinion, que les commissions locales d'information aient été dotées de moyens de fonctionnement et, en particulier, que des experts tiers, c'est-à-dire autres que ceux de l'A.N.D.R.A. aient pu être consultés, et ce avant l'implantation de l'installation, est sans doute une piste à suivre pour l'implantation d'installations industrielles.
Mis à jour le 08 février 2008 à 14:55