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2001 : Internet, la substantifique toile : science en jeu et jeu de pouvoirs ? > TR 5 : Internet, accès et partage des connaissances >  Discours de Yves Jeanneret : La médiation des savoirs à l’heure d’Internet

Discours de Yves Jeanneret : La médiation des savoirs à l’heure d’Internet

Sociologue, professeur au CELSA

Biographie :

JEANNERET Yves

Compte rendu :

Transcription :

20 octobre 2001 TR5

Discours de Yves Jeanneret




J’enseigne les sciences de l’information et de la communication, une jeune discipline, au CELSA, une école de l’université de Paris IV Sorbonne. Ce qui m’intéresse, c’est la façon dont les savoirs circulent dans la société et les différentes formes que cela prend. Il y a une tradition de recherche sur ces questions de médiation des savoirs. Et c’est à partir de là que la question de l’Internet (de ce que j’appelle les médias informatisés) m’intéresse, ce n'est pas l’objet technique pour l’objet technique, sur lequel on ne peut pas dire grand chose d’une façon générale, si l’on n’a pas une question à lui poser d’un point de vue qui se serait nourri ailleurs. Pour mesurer des différences, pour mesurer des changements, il faut des points d’appui. L’idée de la médiation des savoirs, nous a conduit à considérer que transmettre les savoirs, ce n’est pas seulement les transmettre, c’est également soulever des enjeux de pouvoir, c’est participer à une activité créatrice. On aborde alors la question de la socialisation des savoirs comme mode de production, de représentation du monde. Il y a une façon de s’adresser à des publics, en définissant des relations au savoir, à la science, à la technique.
Internet est-il une substantifique toile, apporte-t-il quelque chose à la socialisation des savoirs ? La question est de savoir quel est le rapport entre les dispositifs médiatiques, la logistique de nos échanges et la réalité de nos pratiques sociales et créatives dans les relations au savoir, leur interprétation, leur qualification. Il faudrait relire le prologue de Gargantua, de Rabelais, duquel l’expression “ la substantifique moelle ” a ici été détournée. On y voit le lecteur (du livre) comparé à un chien qui gratte l’enveloppe difficile de l’os pour atteindre la substantifique moelle. Dans cette référence, ce qui est substantifique chez Rabelais, c’est un certain contenu du message une fois qu’il a été travaillé par le lecteur.
Qu’est-ce qu’on peut dire véritablement des propriétés d’un dispositif technique, le média informatisé, par rapport à ce qu’il va faire savoir, c'est-à-dire le produit du travail de l’auteur, du lecteur sur ce dispositif ? C’est cela qui me paraît être le questionnement général.
Il ne faut pas, avec Internet, oublier ce questionnement global, celui de la médiation, celui de la transformation, de l’écriture, des intermédiaires de la sphère sociale, celui des activités de compréhension, d’appropriation, de validation des savoirs. Ces activités sont aussi importantes aujourd'hui qu’à l’époque de la bibliothèque d’Alexandrie. Il faut en même temps prendre en compte la nouveauté du dispositif. L’ordre de la médiation des savoirs est un ensemble d’activités intellectuelles et sociales en rapport avec la logistique de notre communication. La difficulté est de faire le lien entre les deux.

Technologie de l’information ou bien médias informatisés

De ce point de vue, je n’aime pas l’expression “ technologies de l’information ”. Elle est très ambiguë, car elle désigne à la fois à la fois le processus social de médiation des savoirs et le principe technique sur lequel il repose. Je préfère l’expression “ média informatisé ”. On a affaire à des dispositifs pilotés par l’informatique à un certain niveau de leur fonctionnement, mais qui sont dans leur nature des médias. L’information, le savoir, qu’ils peuvent peut-être produire dans les échanges sociaux, tient à leur dimension de média. Comment sont-ils organisés ? Qui se les approprie ? Qui exerce le pouvoir éditorial dans ces objets ? Quels effets ont-ils sur les conditions de la construction sociale de représentation ? L’informatique représente un substrat logistique, qui va avoir des conséquences extrêmement importantes, puisque tout va être régi, à un certain degré dans le dispositif par les programmes. L’informatique est en elle-même totalement incapable de produire du savoir ou même de l’information.
Revenons au principe d’Escarpit qui disait : “ Quand il n’y a pas un acteur humain dans un système, il n’y pas d’information ”. L’information est le regard porté par un sujet sur des objets. Aucune information ne circule dans les objets. On a tout au plus des documents, des traces, des éléments de matérialité qui, certes, modifient considérablement la façon dont nous pouvons produire des informations, voire des savoirs
Parler de l’Internet est difficile, parce que nous sommes conduits à extrapoler les propriétés de la technique pour réfléchir à ses enjeux, ou à sa valeur politique. Nous devons essayer de sonder les effets que cette logistique de l’information, au sens technique du terme, aura peut-être sur l’information, la production du savoir, le partage du savoir du point de vue social. En même temps, c’est le lecteur qui décide, ainsi que le scripteur, et que tous les intermédiaires qui, comme les bibliothécaires d’Alexandrie, coupent, réécrivent, transforment et permettent les éléments de la transmission. Il n’y a rien de général qui puisse être déduit du médium. Il faut donc à mon avis, s’interdire tout discours de prophétie sur ce médium, ce qui supposerait que des propriétés du dispositif, on puisse tirer les pratiques cognitives et sociales.




Mis à jour le 04 février 2008 à 16:01