2003 : Les mers , un océan de richesses ? > TR 3 : Le triangle des (in)certitudes : Recherche/Industrie/Éthique >
Débat de la table ronde 3Débat de la table ronde 3
Jacques Berthelot, Conseil régional de Bretagne
John Marks, ESF Marine Board
Renaud de Sainte-Marie, Veolia Environnement
Armel Kerrest, Juriste CEDEM UBO
Yves Lancelot, AFAS
Jean Francheteau, IUEM UBO
Jacques Maire, Assureur
Anne-Marie Alayse, Ifremer,
Nicolas Seube, Ensieta
Compte rendu :
Voir la vidéo du
débat
Transcription :
8 novembre 2003 débat TR3
Débat
Brigitte Bornemann-Blanc :
Les métiers de ces entreprises ou de ces organismes ont permis de couvrir probablement l’ensemble des compétences recherche.
Qu’est-ce que le Conseil régional va faire pour que toutes ces entreprises, ces organismes de formation puissent continuer à se rencontrer et éventuellement développer des projets ensemble ? Quels sont les outils dont vous disposez pour poursuivre cette discussion une fois que les entretiens seront terminés ?
Jacques Berthelot :
Dans l’exposé de monsieur Ayela, il était particulièrement frappant de voir qu’il travaille avec tout le monde, avec le monde entier et que la plupart de ces activités sont liées à l’export. Donc j’ai tendance à dire que la Région n’est plus le niveau cohérent, intéressant de coopération. Si on raisonnait comme ça, on serait en retard d’une guerre sur les besoins. Par contre, ce que nous pouvons faire, ce que nous faisons, c’est aider à la structuration, aux relations sur un territoire donné, de faire en sorte qu’il y ait des retombées économiques. J’ai toujours le regret qu’on n’exploite pas, à Brest, les retombées des découvertes qui ont été faites sur les dorsales et, en particulier, sur les microorganismes marins. Je pense qu’à un moment donné, la puissance publique, les grands organismes n’ont peut-être pas joué leur rôle et il eût été assez juste, à l’ombre de nos laboratoires et des centres de recherche, que se produise un tel développement économique. Donc, la première chose, on essaie d’encourager au maximum les uns et les autres à travailler ensemble. D’ailleurs, dans les dossiers concernant la recherche qui nous sont soumis, nous veillons à ce qu’il y ait plusieurs laboratoires, plusieurs entreprises qui soient simultanément concernés. De la même façon, pour répondre à des appels d’offres européens, que ce soit directement ou dans le cadre des PCRDT successifs, il est également nécessaire de faire collaborer ensemble les laboratoires de différentes régions européennes. Pour ce qui concerne la recherche proprement dite dans les laboratoires, dans les universités, dans les grands centres de recherche, c’est beaucoup plus clair puisque l’axe mer est reconnu au plan régional comme l’un des deux axes majeurs et donc il bénéficie de notre attention et de nos soins les plus attentifs.
Je me permets d’ajouter que ce qui apparaît assez nettement à notre niveau, c’est qu’il y a des axes qui sont tout à fait cohérents ; par exemple l’axe télécommunications au sens large et celui de la mer qui se rejoignaient aussi bien à l’Ensieta qu’à Orca. À l’Ensieta, on voit que tout ce qui est matériel de mesures, matériels embarqués nécessitent beaucoup de télécommunications, donc beaucoup de logiciels et c’est notre deuxième axe, celui des télécoms. En Bretagne, comme ce sont deux forces que nous avons, nous encourageons là encore le fait de les faire travailler ensemble. Sur ces deux axes, nous avons des programmes de recherche. Nous avons également des politiques dans le domaine de l’innovation qui aident les entreprises qui innovent dans leurs efforts de recherche et de développement. Puis, nous avons des bourses de thèse. Désormais, ce devrait être la Région qui se substituerait à l’État dans la mise en œuvre des bourses CIF, les entreprises gardant leur rôle bien évidemment. Voilà l’aide que l’on peut donner en Bretagne. Mais ce que nous avons de toute façon, c’est l’idée extrêmement forte, bien établie que désormais rien ne se joue plus au plan national mais au plan européen et au plan mondial, en particulier pour tout ce qui va concerner nos expertises faites sur les dossiers par des experts internationaux. De même, nous avons très largement encouragé tous nos centres de recherche ainsi que les entreprises dans leurs efforts pour répondre aux appels à projet, aux appels d’offres européens. À cet effet, nous avons créé une cellule Europe, avec l’embauche de deux ingénieurs qui sont mis à disposition de l’ensemble de la Bretagne pour pouvoir répondre à ces appels à projets et nous avons constaté que, dans le domaine de la mer, nous sommes évidemment, au vu des premiers résultats, assez probablement la première région européenne pour les reconnaissances de projet. Pour les réseaux d’excellence européens, nous nous situons évidemment tout de suite après l’Île-de-France mais dans le peloton de tête des cinq meilleures régions européennes ; donc, nous considérons que nous avons fait notre devoir dans ce domaine.
Nous n’avons plus l’ambition de développer simplement des pôles bretons qui travaillent entre eux, je crois que c’est dépassé.
Brigitte Bornemann-Blanc (question à John Marks) :
Comment une ville comme Brest se fait connaître de vous, alors qu’il y a une plate-forme technologique qui s’appelle Technopôle Brest-Iroise ? Est-ce qu’on est venu vous voir à Strasbourg pour vous présenter ses compétences ?
John Marks :
Je dois avouer que je ne connais pas réellement ce que Brest a à offrir, par conséquent je trouve très intéressant d’être là aujourd’hui, car je peux constater de moi-même la façon dont se déroule les choses en Bretagne. Je voudrais simplement ajouter quelques mots à ce que disait Jacques Berthelot. Je pense qu’en ce qui concerne le développement des technologies dans le domaine des sciences marines, il est préférable de ne pas réfléchir en termes de région, mais plutôt en termes de grands espaces. Le problème qui se pose est que ce développement technologique est complexe et très coûteux. Les défis qui se présentent sont semblables à ceux rencontrés dans le développement des techniques spatiales et lorsqu’on se penche sur les applications, on réalise que, dans un sens, ce n’est pas un marché commercial. C’est une sorte de marché mixte. Lorsqu’on nettoie des bateaux, c’est plus ou moins commercial, mais lorsqu’on parle d’autres domaines, cela implique la responsabilité des gouvernements et de barrières imposées par ces derniers. Dans le cas de mer libre, la situation reste floue. Qui a la responsabilité d’investir à ces endroits ? Auparavant, je travaillais pour le Ministère des Sciences et de l’Éducation et j’étais responsable, parmi d’autres, des développements technologiques maritimes. Les entreprises qui se présentaient à nous étaient toujours d’accord pour investir bien que les chances de récupérer totalement leur investissement, via le marché commercial, étaient maigres. Ce qui signifie que si les autorités publiques pensent que ceci est important, elles devraient apporter l’argent nécessaire à un investissement initial. Cela est mieux au niveau européen car, à ce niveau, le marché est plus vaste.
Jacques Berthelot :
Il reste beaucoup de travail.
Brigitte Bornemann-Blanc (question à Renaud de Sainte-Marie) :
Est-ce que le « Prestige » a eu une influence sur le lieu d’implantation du traitement des résidus ? Est-ce que votre laboratoire de Bordeaux a été développé spécialement pour le « Prestige » et est-ce que vous aviez des liens privilégiés avec le CEDRE ?
Renaud de Sainte-Marie :
Effectivement, il y a des liens avec le CEDRE. Dans le cas du « Prestige », l’opportunité était que l’unité d’incinération de Bordeaux existait depuis des années. C’est un centre d’incinération de déchets dangereux, habituellement de déchets industriels, mais qui peut être adapté à différents types de déchets et, dans le cas du « Prestige », qui était un cas d’urgence, les autorités locales nous ont demandé d’intervenir pour le traitement de ce bateau, ce qui n’a pas posé de problème, puisque les quantités étaient compatibles avec le fonctionnement de l’unité d’incinération de Bordeaux, en l’occurrence la filiale SIAPE. Donc les résidus du « Prestige » ont pu être traités par incinération et l’ensemble des problèmes a été traité en quelques mois, dans une parfaite collaboration des autorités locales, des transports qui ont permis qu’il y ait un certain flux tendu dans le traitement et cette bonne coordination a permis d’arriver à un résultat rapide de ce traitement. Les quelques problèmes rencontrés ont été des problèmes mineurs, par exemple les filets ont posé un problème vis-à-vis de la technologie mise en place mais qui a été réglé rapidement, ce qui a permis de créer un lien encore plus important entre les différentes mairies impliquées et les autorités qui suivaient ce problème. Ce fut une bonne expérience d’une manière générale, pour le Groupe bien sûr mais également pour voir le mode de réaction et le mode de traitement qui peuvent être très rapides sur ce type d’incident.
Brigitte Bornemann-Blanc :
Comment le CEDRE est intervenu avec vous ? Comment êtes-vous intervenu à côté du CEDRE ?
Renaud de Sainte-Marie :
Les relations avec le CEDRE se sont fait plus localement, donc je ne peux pas vous répondre directement sur ce cas précis.
Jacques Berthelot :
On ne parle pas souvent du rôle des juristes au niveau de la mer. Ce sont des gens qui sont fortement impliqués dans l’Institut universitaire européen et qui, en plus, ont un certain nombre de succès.
Armel Kerrest :
Il est vrai que les juristes se sentent dans une situation un peu particulière dans ces débats. Ils savent que leur participation est utile mais, en même temps, ils abordent parfois les questions sous un angle différent. Il est utile d'y faire participer les sciences humaines. Monsieur Berthelot faisait très justement remarquer qu’à Brest nous disposons d'un centre très important en matière de droit de la mer, le CEDEM, et que ses activités viennent rejoindre les activités des scientifiques. Il est très important d’envisager toutes ces activités comme des activités complémentaires. À coté des sciences dites dures, on a besoin de la réflexion des juristes, des économistes qui viennent apporter leur vision des choses, pas forcément imposer une vision, simplement coopérer. Personnellement, j’ai plaisir à participer à des groupes de travail, par exemple au sein du CNES, le Centre national d’études spatiales, concernant des aspects techniques et en particulier les débris spatiaux, je constate que cette coopération est nécessaire. Les scientifiques m’expliquent comment ça marche et moi de mon côté j’explique en quoi le droit peut apporter quelque chose à la réduction des débris spatiaux.
Les juristes sont également utiles en ce qui concerne le problème des coopérations. Il n'est pas simple d’organiser une coopération entre une entreprise privée et une grosse structure étatique, il faut des règles. Cette coopération ne peut pas fonctionner sans qu’il y ait un minimum d’organisation. Les objectifs sont différents, l’État a une préoccupation qui est celle du service public. Elle est de faire de la recherche de manière générale, de la recherche fondamentale, pas forcément dans un but précis. Les entreprises privées ont, très légitimement, la préoccupation de développer leurs activités et par conséquent de dégager les ressources nécessaires à ce développement, ce qui n’est pas la perspective de l’État, pourtant il faut qu’ils travaillent ensemble.
Il faut que la recherche de l’État soit puissante, ce qu’elle n’est pas toujours. On a toujours un peu tendance à penser qu’au fond la recherche publique est trop « budgétivore ». Pourtant, c’est un point important, essentiel dans la société moderne. La coopération publique-privé est tout à fait indispensable mais il faut que l’organisme de recherche publique soit solide, qu'il soit un organisme capable de regrouper les compétences sur le long terme.
Jacques Berthelot :
Au plan régional, nous avons un certain nombre d’axes : région génopole et terre des télécoms. Nous avons fait là une démarche inverse, c'est-à-dire que nous avons cherché à avoir des gens des sciences humaines qui puissent travailler à la fois sur l’éthique dans le domaine des recherches, par exemple en génomique et en génétique, puis dans le domaine du droit, nous avons cherché des spécialistes du droit des télécommunications. Par exemple, en droit des télécoms, nous sommes la première région à avoir un réseau à très haut débit, le réseau Mégalis, et en tant que président du syndicat mixte qui le gère, nous avons des problèmes juridiques sans arrêt. Donc on a l’impression que le droit avance en ce moment à la même vitesse que nous. Ce sont de véritables besoins. On se rend compte que ce n’est pas facile ; il faut même que la Région lance des appels d’offres régionaux pour essayer d’orienter des recherches dans ce sens-là : parce que ce n’est pas du tout un appendice, c’est un besoin parfois central dans nos activités de recherche. Dans le cadre du 6e PCRDT, les juristes sont en bonne voie d’obtenir un certain nombre de reconnaissances, y compris les reconnaissances suprêmes.
Yves Lancelot :
Je suis choqué de la différence du niveau de développement technologique entre ce qui se passe en aval d’une pollution puis au moment de l’accident, et ensuite une fois que les déchets sont plus ou moins bien récupérés. Au moment de l'accident, en mer, on a finalement affaire à des problèmes de physique et de chimie relativement simples concernant des milieux non miscibles : hydrocarbures et eau de mer. La pauvreté de la recherche technique et des moyens mis en œuvre pour la récupération des hydrocarbures en mer, puis sur le littoral, par rapport à ce qui est fait ensuite à terre pour valoriser les déchets me semble étonnante. Déjà sur les plages, on voit bien la pauvreté technique des méthodes utilisées pour séparer le sable et les hydrocarbures par rapport à ce qui est réalisé ensuite dans les centres de recherche de Veolia. Je pense tout simplement que la phase de récupération en mer et sur le littoral ne présente aucun critère de rentabilité pour l'industrie. Un investissement doit donc être fait par l’État dans ce domaine, et qui plus est de façon internationale. Il y a un déficit de recherche technique flagrant en amont du traitement et de la valorisation des déchets, et je ne sais pas si un groupe comme Veolia ne devrait pas investir beaucoup plus dans ce domaine, quitte à ce qu’il soit financé par les États.
Renaud de Sainte-Marie :
Il y a plusieurs raisons à cela. D’une part, nous sommes un groupe privé donc il faut que l’on soit sollicité. Nous n’allons pas intervenir sans avoir la demande des autorités locales. Ensuite, il y a différents aspects qui interviennent. Par exemple, en Galicie (« Prestige »), où nous sommes intervenus pour le nettoyage des côtes proprement dite (rochers et autres), la filiale espagnole est intervenue avec des moyens classiques (nettoyage haute pression, collecte…). Dans le cas des plages, on peut également intervenir. Parfois, les collectivités prennent en charge elles-mêmes ce nettoyage des plages parce qu’il y a des ressources dans les municipalités ou des volontaires locaux, mais nous avons des équipes prêtes à intervenir et qui peuvent répondre à cette demande efficacement. Cependant, il est vrai que, dans le domaine des recherches, les grands axes sont effectivement dans le traitement en aval, plutôt qu’en amont. Il y a quand même une responsabilité en amont. Actuellement, des actions sont faites sur les double coques des navires et autres mais, dans le domaine du transport proprement dit, il y a un certain nombre de dispositions à prendre, à la fois légales et juridiques et à la fois techniques pour avoir une bonne idée des risques et des dangers potentiels de part la nature des produits transportés et de part la manière dont ils sont transportés. On n’est plus dans le domaine de l’environnement direct du traitement de la pollution, mais en amont dans la préservation de la pollution. On pourrait intervenir, encore faut-il qu’on soit inclus dans un programme de développement de ce type et je pense que le groupe est tout à fait prêt à intervenir et est même volontaire.
Il y a un gros problème dans ce problème général. Tout le monde a une même volonté de traitement. Ce qu’il faut, c’est trouver les bons acteurs et surtout les initiateurs puisqu’on va avoir soit une ville, soit un pays qui va être initiateur, mais il faut très rapidement pouvoir créer et mettre en place tous les acteurs nécessaires et définir les moyens pour pouvoir y répondre et voir comment ils sont mis en œuvre. Le groupe Veolia intervient souvent après l’accident pour le traitement des déchets, mais il y a un grand nombre de dispositions prises pour préserver l’environnement d’une manière générale avant et en prévision d’un quelconque accident. Dans le domaine maritime, il y a beaucoup de choses à faire et je pense que c’est l’occasion aujourd'hui de tisser ces préliminaires pour voir quels sont les axes majeurs d’orientation de la R&D, quelles sont les stratégies en général à retenir pour une mise en œuvre efficace et concrète.
Jean Francheteau :
Cela ne figurait pas dans les priorités développées par John Marks. Je lui en demande la raison.
John Marks :
La réponse est que probablement scientifiquement il n’est pas très intéressant ce développement technologique et il faut avoir un client qui est prêt à payer le coût. La question est pourquoi les gouvernements ne sont pas intéressés à stimuler le développement de techniques nouvelles.
Brigitte Bornemann-Blanc :
Cette question pourrait être aussi posée à un assureur, monsieur Jacques Maire.
Jacques Maire :
Les assureurs développent peu de recherche, essentiellement autour de la tarification et l’évaluation des risques. L’attitude actuellement développée sur la question des risques maritimes peut être résumée à un peu plus de sélectivité en matière de gestion des risques mais à ne pas déconventionner les acteurs les plus importants, y compris quand ils ont des écarts de conduite sur tel ou tel naufrage. Que donnerait la dé-souscription de flottes importantes ou alors l’assurance d’une flotte importante par des assureurs non solvables ? De ce point de vue, le bilan coût-intérêt dans le renforcement du contrôle et d’un maintien sur le marché ou d’une sortie du marché en dé-souscrivant les flottes doit être regardé avec beaucoup d’attention. Le principal problème vis-à-vis d’un risque comme le risque de pollution maritime est : est-ce qu’il y a un appétit pour le client en matière d’assurance ? C’est la première question qui se pose. On ne peut faire payer que ce qui est considéré comme achetable, c'est-à-dire la souscription par rapport à un risque bien évalué. Nous avons des difficultés à faire acheter la couverture d’un risque plus important. Donc la conséquence est que l’on dé-souscrit tout autant qu’on re-tarifie. Le principe de précaution pour l’assurance, ça veut dire que dès que le risque n’est plus lisible, on sort du marché et au lieu d’investiguer au plan scientifique pour trouver des solutions techniques qui permettent de dire : «Voilà l’évaluation économique de votre risque, voici comment j’y réponds ».
Nous sommes à la veille, notamment à travers le développement des nouvelles technologies, d’une capacité à quantifier de façon beaucoup plus importante. Parfois, il est très difficile de tarifier un risque économique en des pertes de production, par exemple pour des agriculteurs, liées au gel, etc. En revanche, quand on a des retours statistiques très précis, on arrive facilement à tarifier non pas une perte de production mais une indemnité vis-à-vis d’un indicateur comme la température. S’il fait par exemple 12° le 15 août, je m’engage à vous payer 1 000 euros par hectare, ce n’est pas contestable, c’est statistiquement vérifiable. Ce sont des évaluations intermédiaires facilement quantifiées et ensuite chacun prend ou ne prend pas. On ne va pas assurer la conséquence de la température sur l’exploitation, mais sur l’indicateur de base, il n’y a pas de conflit donc on peut y aller. On peut aller aussi plus loin et, à ce titre, je voudrais citer l’intérêt par exemple que peut représenter une équipe comme le CERV (Centre d’étude de réalité virtuelle), de l’ENIB, qui pourrait être un acteur important, à travers ce que pourrait être la simulation de risques induits par des comportements collectifs liés à des phénomènes externes de perturbation. Par exemple, on pourrait tout à fait imaginer de simuler l’évaluation des risques qui seraient liés à un accident portuaire dans un port encombré dans lequel un assureur ayant 15 % du marché, assurerait probablement 15 % des bateaux. Nous constaterons des comportements qui ne seraient pas forcément optimaux vis-à-vis de la sécurité civile des autorités locales, etc., donc des jeux d’acteurs qui sont aujourd'hui modélisables et qui peuvent nous faire réfléchir.
Dans le cas d’un attentat dans un quartier d’affaires comme celui du 11 septembre par exemple, pour un groupe d’assurances, des milliers d’assurance vie pourraient être en jeu et à verser dans les semaines suivantes. La simulation de risques importants, avec acteurs autonomes dans un contexte de fragilité des systèmes publics de protection, met en valeur le fait que le risque aura un prix de plus en plus fort et, de ce point de vue, je trouve que le maritime est un champ d’application évident où Brest pourrait trouver sa place à travers le CERV.
John Marks :
Je voudrais vous parler d’un sujet quelque peu différent, à savoir la pollution des sols. Les Pays-Bas ont eu un important problème de pollution des sols, si important qu’une partie considérable de notre PNB aurait été nécessaire pour tout nettoyer. Puis le problème a été officiellement déclaré comme tel lorsque le gouvernement a décidé de lancer des programmes de recherche afin de trouver des solutions moins coûteuses. Je pense que la réponse à votre question est qu’il faut que la situation empire considérablement avant que le gouvernement ne la considère comme un problème qu’il faut régler en termes d’investissement dans la recherche de solutions moins coûteuses. Car, si j’ai bien tout compris, si l’on prend en compte les compagnies d’assurance, le problème est de faire le lien entre cause et effet et ce que peuvent gagner ces mêmes compagnies. Il y a eu un débat aux Pays-Bas concernant les compagnies d’assurance. Devaient-elles ou non payer pour le renforcement des digues car nous avons eu d’importantes inondations entraînant des dépenses considérables. Bien sûr, la réponse a été négative car ceci a toujours relevé de la responsabilité publique. Selon moi, la situation concernant la mer est très compliquée. Tout d’abord, nous n’avons pas réellement compris ce qu’impliquait une zone économique exclusive en termes de responsabilités des pays. Les Pays-Bas possèdent plus en zone économique exclusive qu’en terre à proprement parlé. Nous devrions voir là un grave problème, seulement celui-ci n’est pas au centre des débats politiques.
Armel Kerrest :
Je voudrais attirer votre attention sur une question très importante qui a été posée à propos de la prévention des risques et du rôle de l’État dans le financement de la prévention. Le problème devant lequel nous nous trouvons est qu’au fond l’État essaie de payer le moins possible, surtout dans les moments de restriction budgétaire.
Prévenir, c’est envisager un accident qui n’est pas encore arrivé, autrement dit, il n’y a pas, à ce moment là, pour l'État d’obligation de payer tandis que quand il y a un accident, il faut payer parce qu’on est devant la nécessité de recourir à tous les moyens pour nettoyer et pour dépolluer. Dans ce cas, l'État va payer et payer très cher. Le problème est que, quand on envisage la prévention, il faut payer avant que cela ne devienne obligatoire. C'est évidemment beaucoup plus difficile parce qu’il faut prendre une décision politique qui est d’investir dans des techniques, par exemple dans les études sur les méthodes de ramassage. Il faut investir beaucoup d’argent à un moment où finalement, il n’y a pas de nécessité objective, absolue de payer. Il y a donc une certaine logique à ce que les États paient le nettoyage même quand c’est très cher et que, par contre, ils tardent à prendre la décision politique difficile de dépenser de l’argent pour prévenir l’accident ou ces conséquences.
Anne-Marie Alayse :
Quels sont les problèmes que posent les gliders vis-à-vis des juristes ?
Nicolas Seube :
Tous les engins robotisés, donc sans pilote, seraient soumis aux règles de navigation maritime qui existent pour les humains, donc un glisseur qui fait surface est sensé avoir un comportement qui évite toute collision. Pour la majorité des engins de taille réduite, le problème est d’éviter les risques de collision et cela demande la présence d’un bateau océanographique qui balise la zone probable de remontée d’engin, de manière à écarter les navigateurs qui voudraient s’aventurer dans cette zone.
Armel Kerrest :
C’est typiquement le type de recherche qu'il serait très intéressant de lancer et de proposer à un étudiant pour un mémoire de DEA.
Madame Lemoine (public) :
Je voudrais revenir sur l’exposé de John Marks entre les relations avec le développement local et l’Europe. Vous avez parlé de prospection, de communication, d’ère européenne marine, des zones ultra-périphériques, des ressources marines, du développement et de l’éco-développement. Je suis allée aux Açores cet été et j’ai découvert une région riche en milieux naturels, où il y a un nombre de problématiques scientifiques du fait de la proximité de cette dorsale océanique, donc des problèmes de volcanisme, de nature des roches, de développement de la végétation. Il y a des présences de mammifères marins par milliers. Il y a des problèmes de pêcheries, etc., donc j’ai trouvé cette région très intéressante sur le plan scientifique. De retour en France, j’ai commencé à rechercher ce qui se faisait dans les recherches sur l’ultra-périphérie et j’ai fait le constat que la région des Açores a des universités, des centres de recherche, que nous à Brest, on a l’IUEM avec un grand développement des géosciences, on a le Conservatoire botanique qui s’occupe de la protection des espèces en voie de disparition, on a Ifremer qui travaille sur la ressource marine, on a Océanopolis qui fait de la communication et qui travaille sur les mammifères marins et je me pose la question : « Comment se fait-il qu’on n’arrive pas à développer une communication entre nous, cette région qui est déjà périphérique et avec un riche potentiel scientifique, et l’ultra-périphérie qui reste complètement isolée, notamment en terme de moyens de transport, contacts Internet, etc.
John Marks :
Il y a deux réponses à votre question : une simple et une compliquée. La première et que s’il y a un intérêt scientifique, vous devrez suivre les étapes vous permettant de développer une proposition de programme que vous essaierez de faire financer par la suite. Dans le second cas, il faut se poser la question suivante : ce projet présente-t-il un intérêt réel qui permettrait de faire avancer les recherches de la science ? Le problème qui se pose ici, dans le cas de ces régions, est qu’il est essentiel d’intégrer les communautés scientifiques locales au projet bien qu’elles ne soient pas très grandes. Dans tous les cas, vous devez vous arranger pour que les agences de développement soient impliquées dans le financement. Le problème avec les pays en développement, c’est qu’ils ne considèrent pas la recherche sur le long terme comme une priorité. Rassembler les fonds nécessaires devient alors problématique. Dans le domaine de la recherche climatique, il semble évident qu’il faut impliquer les régions car l’on traite d’un problème mondial tout en l’identifiant grâce à des études régionales. Le plus difficile est de rassembler des sources qui n’existent pas. Le fait que le Comité pour la Science Marine l’ait intégré à sa stratégie n’implique pas que le problème soit résolu. L’Union européenne possède des fonds disponibles pour ce genre de recherche, mais celle-ci impose des conditions qui ne s’adaptent pas toujours aux projets proposés. Tout d’abord, il faut faire un inventaire des sources potentielles de financement, puis identifier les conditions et enfin démarrer une négociation afin de faire coïncider les conditions et les besoins.
Jacques Berthelot :
On a abordé le problème de la structuration, de l’organisation de la recherche, aussi bien au plan européen qu’au plan local. On a eu l’occasion de voir qu’il y avait une espèce de continuum allant du domaine de la recherche fondamentale jusqu’au domaine économique. Mais nous n’avons pas abordé l’aspect du financement qui est crucial.
Jean Francheteau (à John Marks) :
Je voulais savoir s'il existait des mécanismes de financement pour la « bottom-up research » que l'on pourrait traduire par « science d'en-bas ». Pensez-vous que cette science d'en-bas devrait s'adresser en fait à un niveau national et que le niveau européen n'est pas le bon niveau pour ce financement des idées individuelles parce qu'on ne peut qu'être frappé qu'en science, les très grandes avancées se font, quasiment presque tout le temps, avec des idées qui germent dans la tête de l'un ou l'autre. Si l'on se réfère à la tectonique des plaques, c'est vrai que ces idées ont germé dans la tête d'une ou deux personnes, mais c'est vrai aussi qu'il y avait tout un corpus de données qui ont été acquises patiemment et que toute cette masse énorme de données a demandé des financements, mais l'idée qui a fait progresser énormément, c'est l'idée d'une ou deux personnes. Est-ce qu'il y a un mécanisme pour financer des idées individuelles au sein de l'Europe ou cela doit-il être fait au niveau plus national ?
John Marks :
Il y a quatre réponses à votre question. La première est que les instruments de l’ESF sont des instruments ascendants, c'est-à-dire que les initiatives concernant les futures conférences prospectives émanent de la communauté scientifique d’en bas. La seconde réponse est que l’EUROCORES est un instrument de coopération dans la recherche européenne qui est dirigé depuis en bas. Il n’est pas stratégiquement recommandé par l’ESF. La troisième réponse est que les organismes de financement se sont rassemblés pour fonder un programme commun, le European Young Investigator Programme qui est une sorte de premier pas visant à donner de l’argent aux meilleurs plus jeunes scientifiques d’Europe par le biais d’une compétition ouverte à tous. La quatrième réponse est que depuis quelque temps déjà, on parle de la création d’un conseil de recherche européen. Au stade actuel des discussions, on peut espérer que de l’argent va être versé à la recherche fondamentale d’en bas qui n’est d’ailleurs ni politisée ni thématisée. L’Union européenne a créé une commission présidée par l’ancien directeur général de l’Unesco qui a été chargé de l’élaboration du projet de conseil de recherche européen. Il semblerait que ce conseil disposerait d’un budget de 2 milliards d’euros, ce qui, selon moi, n’est absolument pas réaliste. Il semble cependant que la tendance va vers l’augmentation des sommes d’argent investies au niveau européen pour des compétitions ouvertes de projets de recherche fondamentale non politisée, mais simplement motivée par la recherche de l’excellence.
Jean Francheteau :
Je note avec plaisir qu'il y a beaucoup d'initiatives qui peuvent être accessibles aux idées individuelles. Ce qui m'inquiète un peu dans la structure européenne, c'est la difficulté, peut-être au niveau du dépôt des dossiers, de l'information qui est donnée et que le chercheur individuel est un peu rebuté par la lourdeur du type de demande. Peut-être que ceci est appelé à se simplifier, avec l'aide, par exemple en Bretagne, de ces ingénieurs recrutés pour aider au montage des dossiers, ce peut être une réponse. Jusqu'à présent, c'est quand même une opération difficile de monter des demandes qui doivent être financées par l'Europe. Peut-être qu'avec des projets qui répondent à une idée individuelle, la lourdeur s'efface et si on doit uniquement remplir un dossier d'une dizaine de pages, dans une langue simple, qui sera ensuite expertisée au niveau de l'Europe, c'est peut-être la réponse.
Jacques Berthelot :
Pour le 6e PCRDT, ce qui était intéressant était le préambule. Dans celui-ci, on disait premièrement qu’il fallait faire pièce au continent nord-américain et qu’aucun État européen ne pouvait se permettre d’envisager cela tout seul et donc qu’il était nécessaire de le faire ensemble et de doter le programme de recherche et de développement de crédits considérables au niveau européen. La deuxième raison, non écrite mais suggérée, était que les phénomènes de mondialisation dans le domaine des télécommunications par exemple, amènent à une externalisation de la production mais on craint également que la recherche suive et on a déjà des exemples dans un certain nombre de pays dans lesquels le mouvement de la fuite de la recherche a déjà démarré. Pour ces deux raisons, il était vital que l’Europe monte des programmes de cette dimension.
Au plan régional, on n’accepte même pas que les demandes de crédit pour la recherche proviennent d’une université par exemple, on demande qu’elles proviennent d’un laboratoire. Nous avons l’expérience d’autres régions en France qui, par exemple, une fois par an, reçoivent le CNRS, l’Inserm, l’INRA et partagent le gâteau et ils appellent ça une politique de recherche. Nous considérons que ce n’est pas comme ça qu’il faut travailler. Je conçois assez bien, au plan européen, qu’il y ait un certain nombre de filtres qui rendent l’accès à ces sources de financement plus difficile. Je crois aussi que c’est l’une des conséquences relativement normales de nos ambitions européennes en matière de recherche.
Mis à jour le 30 janvier 2008 à 10:33