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Connaître et comprendre les océans : l'épopée des bathyscaphes et des submersibles profonds de seconde génération

Lucien Laubier, Directeur de l'Institut Océanographique de Paris, biologiste marin

Biographie :

LAUBIER Lucien

Compte rendu :

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Transcription :

7 novembre 2003 TR1


Discours de Lucien Laubier



Il faut remonter à peu près 70 ans en arrière pour comprendre comment ont été inventées, puis se sont développées, ces machines qui ont eu leur heure de gloire dans les années 60-70. Tout à l’heure, on évoquera la campagne de 73-74 FAMOUS qui est au fond l’aboutissement, pour les bathyscaphes, d’une campagne scientifique soigneusement organisée et remarquablement dirigée sur le terrain.

Dans des domaines scientifiques très différents, je me suis intéressé à la manière dont les progressions de la technologie et les avancées scientifiques ont finalement convergé pour aboutir à une réalisation concrète majeure. Je suis donc parti de 1930 où s’est produite une première rencontre entre un grand naturaliste, William Beebe, qui s’était d’abord spécialisé sur les insectes de la forêt guyanaise, puis qui avait commencé à travailler sur les faunes profondes bioluminescentes que l’on rencontre dans l’océan du large et un cadet de 25 ans plus jeune que lui, l’ingénieur Otis Barton. Tous les deux avaient eu l’idée de réaliser une nacelle résistante à la pression que l’on pourrait descendre au bout d’un câble, de façon à découvrir ce qui se passe dans le fond des océans. Beebe et Barton obtiennent l’argent nécessaire, ce qui est essentiel quand on a un projet à réaliser et qui témoigne en même temps de la qualité des arguments utilisés pour convaincre ceux qui vont investir dans l’opération et de la qualité du projet lui-même ; ils font réaliser par une entreprise américaine ce qu’on a appelé la bathysphère, c’est-à-dire la sphère des profondeurs. Il s’agit d’une très petite sphère (1,45 mètres de diamètre intérieur) alors que les différents bathyscaphes ou sous-marins profonds ont une sphère plus volumineuse, de 2,10 mètres de diamètre intérieur. Beebe et Barton se sont donc enfermés dans cette sphère en 1931 et ont plongé dans la région des Bermudes. À la première plongée, ils atteignent assez facilement 300-400 mètres, puis 600 mètres, après des essais un petit peu plus difficiles. On se rend très vite compte des limites de cet engin suspendu à un câble, le câble ayant une longueur définie et ne pouvant être descendu trop profondément ; par ailleurs, les possibilités de remonter en cas de rupture du câble sont nulles. Cela n’empêche pas Beebe de réaliser une première en 1931 : une émission de radio d’une demi-heure en direct est faite à partir des observations à 600 mètres de fond, relayée par téléphone jusqu’au navire porteur, puis retransmise par radio sur l’ensemble des États-Unis du sud-est. Les auditeurs entendent William Beebe décrire un certain nombre de poissons lumineux.

Un an plus tard, en 1932, un physicien suisse, le professeur Auguste Piccard et un physicien belge, Max Cosyns, dans une nacelle résistant non pas à la surpression mais à la dépression, montent dans la haute stratosphère, nacelle suspendue à un ballon plein d’hydrogène, et atteignent l’altitude de 16 kilomètres environ. Là, non plus, tout ne se passe pas très bien, il y a même des fuites d’air vers l’extérieur à travers un joint de câble mal étanché. Au bout de quelques heures d’observation, dans des conditions thermiques un peu difficiles parce que les physiciens avaient pensé qu’il suffisait d’avoir une nacelle peinte d’un côté en blanc, d’un autre côté en noir et qu’en exposant au soleil soit la partie noire pour absorber la chaleur, soit la partie blanche pour la réfléchir, on arriverait à réguler la température de l’intérieur de la sphère, Piccard et Cosyns ont regagné la terre sans avoir pu étudier les rayons cosmiques autant qu’ils le souhaitaient. En effet, il fallait pouvoir orienter la sphère par rapport au soleil, et il s’est révélé que cela était un peu près impossible, de sorte que les ascensionnistes sont passés d’un très grand froid (-4°) lorsque la face blanche était exposée aux rayons solaires à des températures élevées lorsque la face noire était longtemps orientée vers le soleil. Notez la proximité des dates, 1931 pour l’océan et 1932 pour la stratosphère.

Un an plus tard, en 1933, les deux machines, le ballon stratosphérique et sa nacelle et la bathysphère de Beebe et Barton, sont exposées non loin l’une de l’autre lors d’une grande exposition qui se tient à Chicago et le professeur Piccard a l’occasion de rencontrer William Beebe, mais l’opération ne se fait pas, il n’y a pas de communion intellectuelle et chacun repart avec ses propres idées. La bathysphère va poursuivre sa vie durant quelques années. En 1934, elle atteindra la profondeur record de 920 mètres.

Du côté de Piccard, de nouvelles idées prennent naissance dans ce cerveau inventif avant la Deuxième guerre mondiale ; en1939, il dépose une demande de crédits au Fonds national de la recherche scientifique belge (FNRS) pour réaliser ce qu’il appelle à l’époque une thalassosphère (la sphère de la mer), mais les hostilités viennent mettre un terme rapide au début de son projet. Dès 1945, avec l’opiniâtreté qu’on lui connaît, le professeur Piccard reprend ses travaux et réalise un bathyscaphe (navire des profondeurs) baptisé « FNRS 2 ». En1947, son engin est quasiment terminé. Il a fait réaliser une sphère résistante à la pression, avec possibilité d’aller à 4 000 mètres de profondeur quant à la résistance et à l’épaisseur, et il lui a adjoint ce qui va devenir le principe du bathyscaphe (qui permet de supprimer le câble, la liaison avec la surface) un flotteur plein d’un fluide plus léger que l’eau de mer, qui se trouve être en l’occurrence un hydrocarbure aliphatique léger qu’on appelle l’hexane (C6H14). L’hexane est l’essence de parfumeur utilisée pour dissoudre les parfums de roses et autres fleurs, les extraire des pétales de la fleur. C’est donc le matériau de flottabilité. Pour équilibrer à la demande les variations de densité de l’ensemble sphère plus flotteur, Piccard a l’idée de mettre en place des silos emplis de grenaille de fer retenue grâce au champ magnétique produit par des bobines, des solénoïdes, situés autour de l’orifice de ces silos. J’ai bien dit retenue, en d’autres termes, on a affaire à une sécurité positive : toute défaillance dans l’alimentation électrique se traduira par une perte de grenaille et par conséquent un allègement de l’engin et sa remontée, même si ses occupants ne sont plus en mesure de contrôler ses déplacements ; avec une telle sécurité, dite positive, on est certain de pouvoir récupérer le bathyscaphe.

Pour les essais à la mer, Piccard et Cosyns ont l’idée de se tourner vers la France et tout particulièrement vers la Marine nationale. Ils rencontrent Jacques-Yves Cousteau et cette rencontre permet finalement de signer un accord pour effectuer une campagne d’essais qui a lieu en 1948 au large de Dakar. Si vous vous intéressez à l’humour parfois féroce d’un célèbre naturaliste français, Théodore Monod, il faut absolument vous procurer un livre intitulé Bathyfolages qui révèle les difficultés de cette campagne d’essais qui se termine en véritable désastre. Monod explique dans ce livre qu’il est descendu jusqu’à 25 milles et il ajoute malicieusement qu’il vaut mieux ne pas préciser l’unité : il s’agissait en fait de 25 mètres, mais on peut aussi parler de 25 mille millimètres. Monod et Piccard sont restés 5-10 minutes, puis ils sont remontés. Il n’a pas été possible de faire d’autres essais habités, mais néanmoins au cours de la campagne, un essai à vide (la remontée du bathyscaphe étant déclenchée par un simple réveil-matin sur lequel on avait branché un contacteur de largage du lest) permet d’atteindre 1 380 mètres. Jacques-Yves Cousteau et Philippe Tailliez ne s’y trompent pas et écrivent dans leur rapport pour l’état-major de la Marine nationale que la réalisation nautique de ce bathyscaphe est mauvaise, mais que le principe est excellent et qu’il doit être possible de faire quelque chose de la sphère résistante. Après deux ans de tractation, un accord est signé : France-Belgique, Marine nationale, Centre national de la Recherche scientifique (CNRS), FNRS et Centre de recherche et d’études océanographiques de La Rochelle (CREO) s’associent pour financer et réaliser ce qui va devenir le « FNRS 3 ». Auguste Piccard a tenu à être conseiller scientifique de la Marine nationale, car il estime en savoir beaucoup plus long sur le chapitre des profondeurs que les ingénieurs de la direction des Constructions navales. Il ajoute à cela une tendance excessive à revenir tous les trois ou six mois sur des décisions prises antérieurement. Vient même un moment, en janvier 1951, où il estime que le choix de l’hexane n’est pas un bon choix, qu’il y a peut-être d’autres matériaux de flottabilité moins compressibles, dont le lithium, métal s’enflammant spontanément au contact de l’air mais qui aurait pu, protégé par une couche d’huile, donner un flotteur moins compressible que l’hexane. Une crise éclate et mi 1951, Auguste Piccard et son fils Jacques abandonnent toute relation avec le projet franco-belge pour s’associer avec des Italiens, à Trieste, car le directeur du musée de Trieste a le projet d’exposer une maquette de bathyscaphe après l’avoir, bien entendu, réalisé et testé. On entre alors dans ce qu’on peut appeler une petite course record entre 1952 et 1954. Les profondeurs atteintes par les deux bathyscaphes, en 1953, se suivent à quelques centaines de mètres près, le « FNRS 3 » atteint 3 000 mètres en juillet, le « Trieste » atteint 3 052 mètres en août, l’ambiance se tend de plus en plus ; en effet, la limite des deux sphères est en principe 4 000 mètres. C’est finalement la France qui l’emporte avec une plongée qui a lieu en février 1954, au large de Dakar. Le commandant du bathyscaphe Georges Houot et l’ingénieur Pierre Willm descendent donc à 4 050 mètres et une page de mise au point technique est terminée. Ce « FNRS 3 » va poursuivre une carrière scientifique pendant environ six ans. Il est essentiellement utilisé par des biologistes, quelques géophysiciens, quelques physiciens qui font des mesures de variation de la vitesse des ultrasons avec la profondeur, mesurent le champ magnétique terrestre, le champ de gravitation. Ces campagnes sont plus ou moins couronnées de succès, ce sont encore des préludes. Simultanément, on commence à échafauder un projet qui est le projet français « Archimède ». Celui-ci verra le jour en 1962.

Je vais faire un petit retour en arrière pour rappeler qu’à ce moment-là, après avoir atteint les 3 200 mètres, Piccard s’est rendu compte que la course au record de profondeur et, en même temps, la course à la performance technique maximale, prenaient du corps et il s’est tourné vers les États-Unis, grâce à un contact de relation avec un représentant de l’Office of Naval Research de la Marine américaine installé à Londres, Robert Dietz, qui suscite l’intérêt des Américains. Dès 1957-1958, la Marine américaine commence à parler de racheter le bathyscaphe « Trieste » à Auguste Piccard et lui demande d’accompagner le projet jusqu’à la mise au point finale et une plongée à plus de 10 000 mètres au cours de laquelle Jacques Piccard embarquera de ce qui va devenir le « Trieste 2 ». En 1958, la commande d’une sphère capable de résister à 11 000 mètres est passée. Pas question de s’adresser aux Français qui sont en train de penser à la même profondeur pour la sphère du futur « Archimède », étant donné les fâcheries récentes entre Auguste Piccard et la Marine nationale ; on se tourne alors vers l’Allemagne qui, en matière d’acier forgé, a une réputation à soutenir. Malgré cela, la maison Krupp dit ne pas pouvoir forger une sphère en deux hémisphères résistant à 11 000 mètres (épaisseur d’acier forgé de l’ordre de 22 cm). L’industriel propose alors une solution intermédiaire : une sphère en trois morceaux, à savoir un anneau équatorial limité aux tropiques et deux calottes, une calotte polaire sud et une calotte polaire nord. Pour se représenter les surfaces en contact, imaginez un melon, prenez un couteau pour découper la calotte du melon, sa pointe située juste au centre du melon, et faites décrire un cercle à la lame : vous obtenez un plan conique de jonction entre chaque calotte et l’anneau équatorial. Quoiqu’il en soit, on entreprend la construction de cette sphère, tout avance bien et le projet appelé Neptune permet, dès la fin de l’année 1959, d’envisager de plonger dans le Pacifique pour trouver un site à 10 000 mètres. Une fosse près de Guam, la fosse des Mariannes, est choisie et une première plongée est faite à 6 000 mètres ; au moment de la remontée, deux petites explosions surprennent le pilote américain Don Walsh et le scientifique Jacques Piccard. En surface, on constate que la calotte supérieure s’est inclinée d’environ 5 mm d’un côté pour se relever de 5 mm de l’autre par rapport à l’anneau équatorial. C’est évidemment très inquiétant, rien n’aurait empêché qu’elle continue de basculer s’il y avait eu une dissymétrie dans les forces de pression qui s’exerçaient sur la calotte. La réparation se fait sur le terrain. On essaie avec des vérins hydrauliques de remettre la calotte en place, sans résultat. Un mécanicien américain décide d’utiliser un chariot élévateur de poutrelles métalliques, des demi-rails à peu près, de les monter sur le chariot et de faire retomber la griffe du chariot brutalement pour frapper violemment la calotte ; il parvient ainsi à remettre en place la calotte. La sphère est ré-étanchée et c’est avec cet appareil que l’on peut, deux mois plus tard, en 1960, atteindre la profondeur record de 10 600 mètres. L’engin revient en état de cette plongée record, mais il a fallu, pour effectuer cette plongée, cacher à l’état-major la réparation ; en dernière minute, un télégramme de l’État-major arrive à bord, annulant la plongée à plus de 10 000 mètres quelques heures avant la prise de plongée ; les responsables américains décident de ne pas en tenir compte, et signalent simplement deux heures plus tard que le bathyscaphe est déjà en route sur le fond...

Par la suite, la sphère Krupp va être mise au rancard et on reprendra la sphère forgée en Italie du premier bathyscaphe « Trieste ».

Quant à l’« Archimède », sa construction se termine au début de l’année 1961 et on commence ses essais en Méditerranée ; fin 1961, l’engin est opérationnel et, en 1962, il part pour le Japon pour effectuer ses premières plongées profondes dans la fosse des Kouriles-Kamtchatka. La première plongée se passe bien puis, en mai 1962, une plongée à plus de 7 000 mètres se termine par un véritable drame. Une des technologies issues directement de la Marine militaire et des sous-marins, les câbles pyroténax, avait été largement utilisée sur l’« Archimède ». Imaginez, pour transmettre de l’électricité sous l’eau, d’utiliser un tuyau de cuivre de l’ordre de 1,5 cm de diamètre, à l’intérieur duquel une substance en poudre et parfaitement isolante, la magnésie (oxyde de magnésium), isole les uns des autres jusqu’à 12 conducteurs de cuivre rouge qui sont nus. Tant que la gaine de cuivre est intacte et étanche, c’est parfait, mais dès qu’il y a une entrée d’eau, il se forme un court-circuit entre un ou plusieurs conducteurs et la gaine extérieure. C’est ce qui se passe au cours de la plongée du mois de mai et on constate après coup que près 50 mètres de câbles pyroténax ont fondu sous l’effet des courts-circuits, et on recueille dans la baignoire et dans les superstructures des petites boulettes de cuivre rouge. En même temps, les batteries se sont échauffées, le compartiment batteries a été déformé par la chaleur, il a pris l’eau et contient un mélange d’essence, d’huile et d’eau de mer. Il faudra un mois et demi pour réparer le bathyscaphe en travaillant dans des conditions parfois acrobatiques. On appelle la cloche du bathyscaphe la partie pont supérieur ouverte par le dessous à la mer, de telle manière que lorsque l’engin remonte, grâce au clapot, peu à peu des bulles d’air s’accumulent sous la cloche et donnent au bathyscaphe une flottabilité supplémentaire qui l’élève encore un petit peu plus au-dessus de l’eau. Dans cet espace de 50 cm d’épaisseur, courent des tuyaux et des câbles divers. C’est là qu’il a fallu travailler pour remplacer les câbles pyroténax par des câbles souples reliés aux connecteurs ou aux extrémités de câble pyroténax encore intactes. L’installation électrique était conçue pour fonctionner dans une substance, le pyralène, dont la décomposition à forte température produit la dioxine ; lorsqu’il y a une étincelle de rupture à l’ouverture d’un contacteur, elle fait charbonner le pyralène qui se transforme en un conducteur et le courant continue de passer ; c’est ce qui explique la gravité de l’accident que nous avons eu. Finalement, en juillet 1962, l’« Archimède » a pu reprendre la mer et atteindre la profondeur record de 9 550 mètres ; nous espérions atteindre plus de 10 000 mètres sur la foi de cartes établies par le navire océanographique soviétique « Vitiaz », mais ses sondages étaient erronés d’environ 10 %. De telles erreurs sur la profondeur peuvent paraître étonnantes, mais il faut savoir qu’à l’époque les sondeurs n’étaient ni très puissants ni très précis, avec des pinceaux larges, des réflections dans tous les sens.

Pendant ce temps, aux États-Unis, il s’est passé quelque chose de très curieux. Le « Trieste » avait donc été ré-équipé de sa sphère italienne limitée à 4 000 mètres et avait fait plusieurs campagnes scientifiques. Un beau matin, s’est produit un accident dramatique, l’un des grands sous-marins nucléaires américains de première génération, le « Thresher », implose et coule par 2 500 mètres de fond sur le plateau Blake, du côté des Bermudes. Les Américains veulent comprendre ce qui s’est passé. Le bathyscaphe est alors mobilisé pour cette recherche et retrouve l’épave du sous-marin dont il a ramené des morceaux. Du coup, par la suite, la Marine américaine s’intéresse de plus en plus aux bathyscaphes quand une nouvelle opportunité se présente. En 1966, un des premiers sous-marins soviétiques lanceur de missiles à tête nucléaire, quittant la base de Vladivostok, se perd corps et biens par 5 500 mètres environ au large d’Hawaï. La marine américaine, sachant qu’il n’y a pas eu d’explosion, a évidemment grande envie de récupérer quelques missiles soviétiques. Cette opération prend le nom d’opération de Jennifer. Pour cette opération, il faut disposer d’une plate-forme lourde capable d’atteindre une telle profondeur. Pourquoi pas un bathyscaphe capable de lever des poids très importants ? Devant le Congrès, la Marine indique qu’elle envisage de refondre le « Trieste 2 » ; en réalité, elle fait construire en totalité un nouveau bathyscaphe de 300 tonnes totalement américain, avec une sphère capable de descendre à 6 000 mètres largement. Ce bathyscaphe existe encore de nos jours ; il est exposé dans un musée à Kipport aux États-Unis où il est présenté comme « Trieste 2 », alors qu’il s’agit en fait d’un nouveau bathyscaphe. Finalement, l’étude du projet montre qu’il serait probablement plus sûr d’opérer à partir d’un bateau foreur pétrolier de surface ; c’est le « Glomar Explorer » qui appartient par sociétés interposées au grand milliardaire américain Howard Hughes qui parviendra à remonter en surface 35 mètres de longueur du sous-marin, de nombreux éléments et en tout cas des missiles à tête nucléaire.

Ensuite, au cours des années 1965-1975, intervient la période de transition. Le bathyscaphe, malgré toutes ses qualités pour les performances de plongée à la verticale, montre aussi ses limites ; il est lourd et coûteux d’emploi à cause des propriétés de l’hexane, sa contractilité et sa compressibilité. Lorsque le bathyscaphe a effectué sa plongée record dans la fosse des Kouriles, la température de surface était de 24° et atteignait au fond 0,5° ; une surcharge de 300 kilos à 500 kilos suffisait pour débuter la plongée, mais pour remonter six à huit heures plus tard, il fallait larguer 13 tonnes de grenaille de fer ! En effet, l’hexane se contracte lorsqu’il refroidit, perd aussi du volume lorsqu’il est comprimé, d’où une augmentation sensible de sa densité et une perte de flottabilité qu’il faut compenser par des largages massifs de lest. Durant les années 1960-70, apparaissent les sous-marins de seconde génération, c’est-à-dire ceux dans lesquels la flottabilité est assurée par un matériau composite, constitué de petites billes de verre creuses noyées dans une résine époxy. En 1960, en France, l’équipe Cousteau met à l’eau une soucoupe initialement prévue pour aller à 900 mètres ; le choix d’une forme géométrique surprenante, à savoir un ellipsoïde de révolution, conduit à la limiter à 300 mètres de profondeur, car un ellipsoïde se déforme facilement sous l’effet de la pression, les forces en présence ne convergeant pas au centre du volume. Ensuite, aux États-Unis, en 1973, c’est l’« Alvin » de Woods Hole Oceanographic Institution. En 1971, on termine en France la construction de « Cyana », la SP3000, et pour l’essayer à vide, on se rend en Tyrrhénienne où la profondeur atteint plus de 3 000 mètres. La soucoupe est envoyée au fond avec un lest lourd, suspendue au bout d’un câble. Le lest est plus lourd que la flottabilité de la soucoupe et, effectivement, la descente se déroule sans encombre et le lest se pose bientôt sur le fond. Au bout d’une heure, lorsqu’on vire le câble, force est de constater la perte de « Cyana » : entre l’œil du câble et la soucoupe, il y avait une manille mal soudée, qui s’était probablement desserrée sous l’effet des vibrations. « Cyana » sera finalement récupérée par le bathyscaphe « Archimède », équipé pour l’occasion de différents engins, cisailles pyrotechniques, coupe-jambon, et c’est ce dernier outil qui parvient à couper le câble de nylon qui relie « Cyana » à son lest. La soucoupe remonte immédiatement, ayant confirmé en même temps ses capacités de résistance à la pression.

Par la suite, le relais des bathyscaphes est pris de manière progressive par les sous-marins d’exploration profonde comme « Cyana » ou « Alvin », beaucoup plus manœuvrables sur le fond, équipés peu à peu d’engins de prélèvement et de matériels d’intervention. C’est au cours de la campagne FAMOUS (French American Mid-Ocean Undersea Survey)que l’Archimède opérera de concert avec « Alvin » et « Cyana ». Aujourd’hui, le temps est venu des robots et de leurs capacités de travail de plus en plus précises sur le fond, mais aussi avec un avantage incomparable, la possibilité de travailler 24 heures sur 24 et de faire participer la totalité des gens intéressés à la vision de ce qui se passe au fond transmis en permanence par fibre optique. Auparavant, la transmission des connaissances en direct en cours de plongée était très mauvaise et un seul scientifique en bénéficiait. Aujourd’hui, sept ou huit personnes peuvent observer sur les écrans ce qui se passe au fond.

J’ai voulu surtout faire revivre cette époque pionnière : la course aux records de profondeur, puis l’exploitation scientifique des bathyscaphes, sans omettre la compétition entre les hommes puis entre les nations.

Voir le livre de Jean Jarry, L’aventure des bathyscaphe, éditions Le Gerfaut.




Mis à jour le 29 janvier 2008 à 10:16