logo entretiens Energies de la mer bandeau entretiens Science et Ethique

Veilles internationales
Informations du 03/12/2024

Energies de la mer
www.energiesdelamer.eu

energiesdelamer.eu vous souhaite un bon week-end de 15 août


B R È V E S


Une photo de mer tous les lundis ?
Retrouvez chaque lundi la photo de mer, pour bien commencer la semaine avec
image Science et Ethique


2009 : L'Heure bleue : Changement climatique, énergies de la mer et biodiversité > Table Ronde 2 – La recherche en réseau est une nécessité. Quelles démarches accomplies et pour quels résultats ? >  Intervention de Michel Ricard

Intervention de Michel Ricard

Président des entretiens Science et Ethique, Responsable du Réseau des Universités des pays méditerranéen.

Biographie :

RICARD Michel

Compte rendu :

Regardez la vidéo de l'intervention sur canalc2.tv : cliquez ici.

Transcription :

15 octobre 2009 Table ronde 2


Discours de Michel Ricard et débat :

Michel Ricard : Est-ce que je dois prendre pour exemple le dernier exposé d’Alain Clément ou bien les travaux de recherche d’EPOCA ? La réflexion que je fais, qui n’est pas une réflexion critique, qui est un constat, c’est que dans certains domaines, il y a un décalage entre les déclarations politiques, les objectifs politiques et puis la réalité du terrain. Alain Clément parlait de l’emprunt ; j’étais il y a 15 jours à l’inauguration d’un grand centre de cardiologie à l’hôpital Georges Pompidou, effectivement, il y avait la ministre de la recherche et la ministre de la santé qui disaient toutes deux, devant un parterre de professeurs de l’assistance publique, qu’on comptait beaucoup sur l’emprunt national pour développer la recherche en santé. C’est très bien, mais quand on entend aussi les préconisations, ou les souhaits, du Grenelle, de la mise en place d’ici 2020 de dispositifs qui permettent de générer l’équivalent de 6 tranches de centrales nucléaires en 12 ans, on se dit qu’il y a un hiatus quelque part. Sans vouloir être pessimiste, je reprendrais les propos de ce matin qui disaient qu’on ne devait pas être catastrophiste. Je trouve qu’on n’avance pas très rapidement, on est plus dans le déclamatoire que dans la réalisation. Dans d’autres domaines, plus fondamentaux certes et plus théoriques, même si on connaît les conséquences que peut avoir l’acidification de l’océan, on voit bien que les choses avancent au niveau européen. Au niveau français, j’ai l’impression qu’on est encore dans l’identification et la construction des équipes et on sait combien cela demande du temps de faire travailler les gens ensemble, non pas qu’ils ne le veulent pas, mais il y a toute une culture à créer. Vous l’avez bien souligné, la question de la masse critique est très importante. On peut avoir 30 bonnes équipes de 10 chercheurs, si elles ne sont pas réunies, il n’y a pas de véritable brainstorming, il n’y aura pas de mise en commun de moyens financiers et surtout de moyens humains qui sont les plus importants dans ce domaine.
Tout à l’heure en « a parte », à propos de la dissolution du CO2 par les océans, Sabrina a indiqué qu’il y avait un différentiel d’absorption entre les hautes et les basses latitudes. Sans rentrer dans des détails trop complexes, est-ce que vous pourriez aller un peu plus loin dans ce domaine ?

Sabrina Speich : Tout cela est lié à l’interaction océan-atmosphère et à la circulation océanique. L’océan, au niveau des Tropiques, ne peut pas voyager très en profondeur, la dynamique est comme ça. Par contre, aux autres latitudes, comme en Atlantique Nord, c’est la circulation thermo-haline. En refroidissant, les eaux de surface sont transformées en eaux denses et elles coulent. Il y a donc des mouvements de plongée, que ce soit en Atlantique Nord ou autour de l’Antarctique. Les formations de l’océan de surface sont entraînées en profondeur, elles sont donc cachées de l’atmosphère. C’est ainsi qu’une partie du pompage du CO2 vers les profondeurs se fait aux hautes latitudes et qu’il y a un fort signal à ce niveau. En plus, dans ces régions, il y a une grande activité écosystémique, donc la vie séquestre du carbone qui est ensuite ramené en profondeur.

Michel Ricard : Autrement dit les conséquences de l’acidification sont les plus importantes dans les zones les plus productives de l’océan.

Sabrina Speich : Elles commencent à se faire sentir dans les régions tropicales parce que l’eau est de plus en plus chaude ; et ces régions où les coraux se développent soufrent déjà du réchauffement océanique. Mais, en terme d’acidification, les écosystèmes qui seront touchés, selon les projections, semblent être les hautes latitudes et l’Australe en particulier.

Lina Hansson : C’est vrai que, sans trop me prononcer, parce que je ne suis pas chercheur, le CO2 est un gaz qui se dissout plus facilement dans les eaux froides. Donc les zones telles que l’Arctique sont menacées.

Sabrina Speich : Dans l’océan Austral, les projections montrent que, si on continuait à augmenter les quantités de CO2 dans de cette manière, les problèmes d’acidification atteindraient d’abord cet écosystème. Les régions d’upwelling seront également touchées. Les upwellings ce sont des eaux qui remontent vers la surface donc ce n’est pas en plongée directe.

Monsieur Marie, enseignant en lycée technologique sur des filières électrotechniques. Nous sommes très attachés aux énergies renouvelables issues de la mer, du solaire… On se pose beaucoup de questions industriellement pour savoir quelles sont les perspectives, à quelle échelle et surtout comment les inscrire dans le temps ? On pressent les énergies, il y a des exemples concrets, technologiques, mais est-ce qu’elles vont se développer ? Et à quel horizon ?

Alain Clément : C’est assez difficile de répondre en ce sens qu’on en est encore à tester différentes technologies dans les différentes filières des énergies marines sans savoir aujourd’hui véritablement quelle va être la ou les technologies qui vont s’installer et se développer. Par exemple, pour comparer avec l’éolien, on voit maintenant à peu près la technologie dominante. Après, il y a évidemment des développements technologiques plus fins à l’intérieur. Cela définit déjà toute une série de métiers. Pour les énergies de la mer, on n’en est pas encore là. Vous avez compris, qu’on est au niveau des projets, au mieux des premiers démonstrateurs, mais on n’en est qu’à la décision de construire les premiers démonstrateurs. Ils seront donc peut-être à l’eau dans deux ans. La filière elle-même devrait se déployer plus certainement dans 5 à 10 ans. Voilà ce qu’on peut dire aujourd’hui, mais avec de grandes marges d’incertitude. On peut difficilement préconiser quelque chose de très précis à des niveaux de techniciens. Aujourd’hui, sur ces systèmes-là, on va faire intervenir des mécaniciens, des électrotechniciens, des frigoristes pour l’énergie thermique des mers… On ne voit pas se dessiner une spécialisation et je pense qu’il est un peu prématuré de réfléchir à l’adaptation des filières de formation aux énergies marines renouvelables qui commencent à émerger, non pas pour faire de l’élitisme, mais on est dans la recherche. Il faut d’abord accompagner ce stade-là et former des étudiants aux niveaux Master et doctorat parce que ce sont des secteurs très spécialisés et très pointus. Au fur et à mesure du développement, les technologies vont se préciser et je pense qu’on pourra définir des formations à un niveau inférieur. Je vois ça plutôt dans ce sens-là. Mais je suis bien content, que, déjà aujourd’hui, il y ait des gens qui s’intéressent à ce sujet.

Brigitte Bornemann : Quel pourrait ou quel va être le rôle des technologies de l’information ? Est-ce que ça va permettre la gestion des énergies en mer ? Est-ce qu’il va y avoir des complémentarités ? Est-ce qu’il va y avoir des filières de formation qui vont pouvoir se mettre en place dans ce domaine ou qui existent déjà et qui vont pouvoir être transférées vers les énergies marines renouvelables ?

Alain Clément : Aujourd’hui, vous le savez, les TIC, les Technologies de l’Information et de la Communication, sont absolument partout. Dans la moindre machine d’énergie marine renouvelable, que ce soit une hydrolienne, une houlomotrice ou une machine à énergie thermique des mers, on aura des capteurs, des traitements du signal, de la transmission de signaux… Ces machines, pour certaines d’entre elles, vont être toutes seules en mer, il va falloir les monitorer à distance, recueillir les données, prendre des décisions, envoyer des ordres à des automates embarqués. Donc toutes les machines embarqueront des TIC et il y aura des métiers associés. De la même façon, à terre, ce que l’on appelle le SCADA en terme de métiers, c’est-à-dire la gestion des données de ces parcs de machines, est une spécialité qui existe déjà pour les champs d’éoliennes par exemple et qui existera demain pour les énergies marines. J’ai cité très vite quelques domaines et j’avais oublié celui-ci qui est partout et qui sera évidemment dans les énergies marines.

Brigitte Bornemann : J’ai une question pour Jean-Pierre Quignaux, ancien du ministère de la recherche, conseiller de Monsieur Claudy Le Breton, le Président du Conseil général des Côtes d’Armor, site choisi pour l’implantation de technologies qui ressemblent aux énergies renouvelables en mer.

Jean-Pierre Quignaux : Je me posais la question de savoir quels sont les autres pays qui en seraient à un stade pré-industriel ? Est-ce qu’il ne faudrait pas s’appuyer sur des technologies déjà développées à l’étranger à ce stade, puis développer très rapidement une filière énergétique et se concentrer sur des stratégies d’ingénierie sur la modélisation, la simulation, la surveillance des aires marines protégées qui donneraient une spécialité plus en amont ? C’est une question que je me pose, est-ce qu’on n’est pas en train de refaire ce qu’on a fait dans la filière informatique c’est-à-dire qu’on s’est épuisé à vouloir construire une filière industrielle et on a sacrifié la filière logiciel ?

Alain Clément : On n’est pas leader aujourd’hui dans les énergies marines renouvelables, donc la question est : doit-on courir derrière le leader, est-ce qu’on a encore une chance ? ou bien est-ce qu’on cherche un créneau en amont où on pourrait prendre le leadership et amener une plus-value à la filière globale ? Je pense qu’il y a un peu de bluff dans le positionnement de certains pays à se prétendre leader. C’est assez facile de parler aux journalistes et de dire « mon pays est leader dans tel domaine ». Il y a effectivement quelques pays qui se placent sur les énergies marines renouvelables : la Grande-Bretagne, le Portugal, la Norvège… Première réflexion, c’est facile de se déclarer leader. Ensuite, il faut regarder les faits. C’est vrai que, en volume, il y a eu beaucoup de recherches initiées en Grande Bretagne, dans le développement de machines, dans l’avancement des prototypes… On a cru pendant un moment que l’Ecosse était en tête, avec un système que vous connaissez peut-être. Il se trouve que l’hiver dernier ce système a eu des revers de fortunes et qu’aujourd’hui, je serai très prudent pour dire que ce système est toujours leader. Donc le leadership n’est pas établi aujourd’hui et je suis sûr que, en terme d’ingénierie, dans les domaines offshore en particulier en relais de la recherche, la France a vraiment des forces. L’ingénierie offshore est quelque chose de très fort. On doit s’appuyer là-dessus. Je crois qu’il y a encore moyen de rester dans la course et d’avoir notre chance de développer des machines. On est devant un choix. On a des injonctions du politique : il faut avoir tant de MW énergies marines à telle date. Donc on est devant ce choix soit d’importer des machines si un autre pays est leader et on atteint ces objectifs avec du matériel importé soit on saisit l’opportunité de développer une filière industrielle en France. Il y a deux objectifs et on peut poursuivre l’un et pas l’autre ou les deux. Je pense qu’aujourd’hui ça vaut encore le coup de poursuivre les deux et de s’accrocher au développement d’une filière française.

Brigitte Bornemann-Blanc : De manière optimiste, on fait partie du peloton et on peut faire soit de l’achat sur étagère soit développer une vraie filière.

Alain Clément : Il est sûr qu’on n’est pas dépassé.

Michel Ricard : La question est de savoir si nous sommes en queue de peloton ou si tout le monde est bien en deçà des souhaits et des prétentions (c’est-à-dire l’affichage). Ce qui m’inquiète dans ce qui est dit c’est qu’il ne semble pas y avoir de leader dans un domaine dont on parle depuis plusieurs années. C’est un peu inquiétant pour l’Europe prise dans son ensemble alors que ce pourrait être une démarche pour avoir un leadership de l’Union Européenne car beaucoup de pays ont les mêmes préoccupations en matière énergétique. Je rejoins ce que vous dîtes : s’il n’y a pas de leadership affirmé dans la matière, il ne faut pas obérer une possibilité de construire des équipes, de stimuler la recherche et la mise en place de thèses dans ce domaine. C’est un créneau à prendre. Mais la question se pose de savoir pourquoi il n’y a pas vraiment de leader national ou européen, depuis le temps que l’on en parle.

Brigitte Bornemann : On va peut-être passer la parole à Marc Bœuf du Pôle Mer et DCNS et à Francis Rousseau, rédacteur en chef du blog et surtout, véritable vigie de ce qui se passe à l’étranger en matière de développement des énergies de la mer. Il pourra nous dire un mot de ses observations, de la veille quotidienne qu’il assure.

Marc Bœuf : Je partage très largement les propos qui ont été tenus. Vous parliez tout à l’heure de « produits sur étagères ». Lorsqu’on liste les énergies marines renouvelables, il n’y a pas, à ma connaissance, de véritable produit industriel sur étagère. On a vu qu’un grand électricien a récemment fait son marché pour chercher des hydroliennes sur étagère, mas il s’agit plutôt de prototypes, de démonstrateurs de recherche qui demandent à subir encore un certain nombre d’étapes de pré-industrialisation, voire d’étape de recherche et développement, avant de devenir de véritables produits qui pourraient être diffusés comme des produits industriels. Aujourd’hui, on identifie en France un certain nombre de consortiums entre des PME et des groupes industriels souvent issus de l’offshore pétrolier, des sociétés du domaine naval qui ont une capacité directe pour décliner leur savoir-faire actuel pour être rapidement opérationnel sur un certain nombre d’éléments de ces énergies en mer. On a aussi un certain nombre de concepts, de démonstrateurs qui pour certains font l’objet d’essais en bassin et pour d’autres sont déjà testés en mer. L’hydrolienne sur le parvis d’Océanopolis a été dans l’eau à Bénodet pendant quelques mois. On a donc une capacité de recherche, d’ingénierie navale et pétrolière. Il n’y a aucune raison de baisser les bras et d’attendre que les produits arrivent de Scandinavie ou d’Ecosse ou d’Extrême-Orient. Il faut se positionner sur les deux approches : trouver des sources de production d’électricité et d’énergie plus propres et développer des emplois dans ces secteurs qui sont innovants. Il y aura des métiers nouveaux, mais il y aura aussi de la modernisation de formations existantes. Tout à l’heure, le formateur du lycée technique posait des questions sur l’avenir : il y aura tous les métiers de l’offshore. On met des systèmes métalliques, composites, des machines tournantes, de l’électronique de puissance sous l’eau et en surface, dans des conditions de corrosion et de mouvements très particulières ; ce sont les technologies de l’offshore pétrolier, du naval qui seront mises en oeuvre. Je pense qu’un ingénieur ou un technicien formé dans ces domaines-là pourra assez rapidement s’adapter aux énergies marines. Ensuite, il y aura certainement des métiers spécifiques qui vont se développer, mais je pense que la bonne moitié des compétences sera à rechercher dans des domaines existants. Ce serait donc criminel de ne pas tout faire pour que se développent ces filières. C’est de l’ingénierie, donc du travail pour des bureaux d’études et des laboratoires de R&D. Mais il y aura aussi la production. On voit ce qui se passe sur le développement de l’éolien offshore qui est aussi une énergie marine, il y a beaucoup de points communs avec ce qu’il faudra faire sur les énergies marines. Des dizaines, des centaines de milliers d’emplois ont été créés en Europe du Nord. Un Land allemand projette dans les deux ans à venir de mettre 6000MW d’éoliennes offshore en mer dans des fonds de 0 à 50 mètres. C’est donc la phase industrielle. Sur les outils de technologie éolienne, la France n’est pas présente, les technologies et les équipements sont plutôt en Europe du Nord, mais pour tout le reste – les hydroliennes, l’énergie thermique des mers, les systèmes houlomoteurs, les éoliennes flottantes – on a vraiment une carte à jouer.

Brigitte Bornemann : Nous sommes absolument d’accord avec vous. Cela fait quatre ans que les entretiens Science et Ethique traitent des énergies de la mer ; on ne peut pas dire en tous les cas que l’on y croit pas. On est presque juge et partie. On passe la parole à Francis Rousseau.

Francis Rousseau : Je ne vais pas rentrer dans le débat de savoir s’il y a un leader ou non, mais visiblement, il y en a, au niveau international, qui le prétendent. La communication fait aussi partie du fait d’être leader. Se positionner comme leader, dire qu’on a mis au point une technologie, même si c’est un démonstrateur, donner des résultats, être transparent sur la communication de certains résultats, cela permet de se positionner industriellement par la suite. Admettons qu’il n’y ait pas de leader ou que la France ne soit pas leader dans une matière ou dans une autre, mais si elle l’est sur un point très précis : l’énergie marémotrice et en particulier l’usine marémotrice de la Rance. On est le seul pays à avoir mis au point cette technologie, on est leader dans l’histoire. Il y a des problèmes environnementaux liés à l’usine qui lui font une très mauvaise réputation. Aujourd’hui la technologie a été exportée dans un centre européen de recherche en Ecosse où on construit en ce moment, sur l’estuaire de la Severn, une usine marémotrice en la perfectionnant un peu pour d’atténuer les éventuels problèmes qu’elle pourrait occasionner à l’environnement. Une sorte de peigne pourra laisser filtrer les sédiments plus facilement que ne le faisait l’usine marémotrice de la Rance. Maintenant, pour en revenir à ce que vous disiez, ce serait criminel de ne pas développer ces énergies-là, c’est d’ailleurs ce que disait le président de la République.

Alain Clément : Je voudrais apporter un élément de réponse parce que c’est un sujet qui m’intéresse beaucoup. Personnellement, je soujaiterais relancer le débat sur la pertinence de la technologie marémotrice avec les arguments d’aujourd’hui sur le CO2… et avec des techniques d’évaluation écologique et environnementale d’aujourd’hui également. Assez curieusement, le discours sur les impacts importants de cette technologie sur l’environnement, a longtemps été tenu par les écologistes. Mais on peut s’interroger. C’est vrai que l’écosystème de la Rance a été modifié. Il y a un nouvel écosystème mais est-ce qu’il est moins bon que celui d’avant ? Aujourd’hui, on a de nouvelles techniques pour mesurer tout cela. Tout ce que je sais c’est qu’il y a des arguments d’aujourd’hui qu’il serait très intéressant de prendre en compte. Par exemple, si vous passez en voiture d’un côté à l’autre de la Rance par l’usine, vous économisez 30 ou 35 km. Une voiture d’aujourd’hui c’est 140g de CO2 du km, mais une voiture d’il y a 40 ans, ça devait être beaucoup plus. Donc si vous dénombrez le nombre de voitures qui sont passé sur ce pont et qui ont évité de faire 35 km depuis 40 ans, je pense que vous avez là un argument dont on a jamais parlé. Ce débat mériterait d’être relancé.

Michel Ricard : On pourrait vous dire qu’il suffisait de construire un pont !

Alain Clément : oui et une usine thermique à fuel de 240 MW sur les bords de la Rance. Donc le débat existe mais avec de nouveaux arguments.
Un étudiant au Master EGEL à l’IUEM. Je voulais revenir, si vous le permettez, à la question de l’acidification des océans. Le transfert du CO2 air-mer dépend de plusieurs paramètres parmi lesquels figurent la température et la vitesse des vents. D’après ce qu’on nous a appris, plus la température est basse et plus le transfert est important ce qui explique un peu les forts signaux d’absorption au niveau des régions froides. Par rapport à la question des régions les plus impactées par cette acidification, je pense qu’avec la circulation thermo-haline, ou ce que l’on appelle le tapis roulant, au bout du cycle toutes les régions seront touchées. Il n’y aura pas forcément une région plus impactée qu’une autre du moins à moyen ou à long terme.

Sabrina Speich : Effectivement, cette circulation, que vous appelez thermo-haline, emporte les choses d’un point à un autre du globe, mais, il est clair que ça peut prendre quelques dizaines, voire quelques centaines, d’années. Le problème avec le réchauffement est de savoir comment cette circulation va changer. En effet, elle dépend des vents qui sont en train de changer, des flux de chaleur et des évaporations / précipitations, et de la masse volumique de l’eau qui change avec la température et la salinité. Ce sont des questions encore ouvertes. On peut penser que cette circulation s’arrête du jour au lendemain et nous fasse entrer dans une ère de glaciation. Aujourd’hui, on est moins certain que cette circulation impacte la chaleur du système car l’atmosphère va continuer à se réchauffer avec des périodes peut-être un peu moins intenses. Le changement du signal acide mettra du temps, mais pourra déconstruire des écosystèmes très efficaces pour la vie en mer mais aussi dans la capture du CO2.

Michel Ricard : J’ai une question courte et peut-être tendancieuse pour Agnès Baltzer sur l’utilisation de la paléoclimatologie ou de la paléostratigraphie que j’aime beaucoup, en tant que diatomiste. Vous parlez du retour brutal de certains épisodes froids, mais est-ce qu’aujourd’hui on n’est pas à l’abri de ce genre d’épisode qui risque de se produire pour des raisons non définies encore. Et est-ce que vous avez des données sur l’échelle de temps ? Quand et combien de temps s’est produit cet épisode ?

Agnès Baltzer : Il y a des petits événements comme l’événement qui s’est produit à moins 8200 qui était sur une échelle de 150 ans, c’est-à-dire une grosse génération ou deux générations. Ce sont des choses qui peuvent aller très vite. On s’aperçoit surtout que le système s’exacerbe. Quand on commence à déséquilibrer, le déséquilibre va de plus en plus vite. Ensuite, on retrouve un autre équilibre. Ça va très vite, mais ça peut n’affecter qu’une génération. Mais tout ce problème c’est l’échelle du temps qui est difficile à définir parce que le géologue est à quelques milliers d’années près, pour l’archéologue on est au niveau de la centaines d’années, mais au niveau des décideurs, c’est très compliqué de choisir si on favorise des digues plus hautes parce que le niveau marin va s’élever ou au contraire des centrales parce qu’il va faire très froid très vite. Et c’est cette échelle de temps-là qui est difficile à comprendre. On est allé regarder en Antarctique et on s’est rendu compte que ça va très vite. On ne sait pas très bien à quelle échelle de temps ça arrive, mais il est clair qu’il y a des choses qui arrivent.




Mis à jour le 21 octobre 2009 à 16:27