2008 : Patrimoine maritime, ressources et économies du littoral. Recherche, nouvelles compétences et nouveaux métiers de la mer > TR3 : Livre bleu sur la politique maritime de la Commission européenne : Nouvelles ouvertures, nouvelles compétences, nouveaux métiers >
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Jérôme Bignon, Député de la Somme, Président des Aires Marines protégées, Président du Conservatoire du Littoral, Président du Comité opérationnel du suivi du Grenelle de l'environnement, représenté par Olivier Laroussinie, directeur des Aires Marines Protégées.
Biographie :
LAROUSSINIE OlivierCompte rendu :
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Olivier Laroussinie
Transcription :
17 octobre 2008 Table ronde 3
Discours de Olivier Laroussinie :
Beaucoup de questions ont été posées par les étudiants qui ont introduit le débat. Mais d’abord je tiens à excuser Monsieur le député Jérôme Bignon, son absence est due à l’agenda de l’Assemblée. La loi Grenelle est discutée en ce moment et il y est particulièrement attaché notamment au volet sur la mer et le littoral.
Je vais essayer de vous préciser le contenu du livre bleu européen. Je commencerais par une critique personnelle : à aucun moment dans ce livre bleu, on entend parler des espaces qui sont sous juridiction des états européens. Cela me paraît une donnée particulièrement importante qui manque. La France avec 11 millions de km2, deuxième espace maritime au monde, a déjà du mal à les intégrer. Quand on est marin, on le sait bien, mais quand on n’est pas marin et qu’on n’a pas en charge la surveillance de ces espaces, on ne se rend pas compte à quel point 11 millions de km2 représentent une surface importante dans les océans du monde. Mais si on ajoute la Grande-Bretagne, le Danemark, le Portugal et tous les autres pays côtiers européens, on arrive à 35 millions de km2, c’est-à-dire 10% de la surface totale des océans.
Le premier axe du livre bleu concerne la « Gestion des ressources » et contient toutes les notions de protection de l’environnement. On voit que les états européens ont une responsabilité, qu’ils auraient pu exercer ensemble même s’ils ne sont pas tous concernés.
Sur une carte on peut constater que la France est présente dans le Pacifique, dans la Caraïbe et dans l’Océan Indien et les Britanniques dans l’Atlantique Sud, les Portugais les Espagnols et les Danois en Atlantique Nord. L’Europe est donc partout présente : au Nord, au Sud, sous les tropiques… D’une certaine façon, elle pourrait avoir une vision géostratégique à la fois en termes de gestion de l’environnement, mais aussi d’exploitation durable des ressources. C’est ma critique pour introduire le débat, mais je vais revenir sur les éléments très forts qui sont dans ce livre bleu.
Les processus européens sont assez participatifs : le livre bleu est le résultat du livre vert qui lui-même est une compilation d’un certain nombre de contributions de Stakeholders. C’est une expression de la Commission qui fait une synthèse des avis reçus et exprime le sentiment des états membres sur cette synthèse, puisqu’elle paraît avec leur approbation.
Il y a au moins trois choses essentielles. Il y a d’abord la notion de potentiel européen dans le domaine maritime très parcellisé, méconnu et pas bien pris en compte. La contribution que ce potentiel pourrait avoir dans l’économie européenne ne paraît pas optimale dans la mesure où la discussion sur le développement de cette activité européenne n’apparaît nulle part. Je parle en termes d’espace, c’est plutôt mon domaine : la gestion d’espace. Le livre bleu, lui, est plutôt tourné vers l’industrie, vers la notion d’activité. L’ensemble européen est une puissance économique remarquable alors que, pris individuellement, les états membres, même s’ils se défendent bien dans certains domaines, ne sont pas visibles au niveau mondial.
Le deuxième élément très important de ce livre bleu, c’est la volonté de rupture avec l’approche sectorielle. Grâce aux compétences des différents pays, l’Europe pourrait être une puissance mondiale de premier ordre dans chaque domaine. Mais il y a les conflits d’usage de la mer, les conflits entre activités qu’il faut savoir régler. Or, pour l’instant, on a plutôt une approche sectorielle que ce soit en France ou en Europe. Du coup, à certains endroits, on exploite trop alors qu’il y a un patrimoine important et peut-être un potentiel de développement touristique ou bien l’inverse. Ce constat important est dans le livre bleu. J’y reviendrai dans un instant.
Le troisième aspect important quand on se rapproche de la côte, c’est la gouvernance de la mer, la façon dont on prend des décisions sur la mer n’est pas parfaite aujourd’hui. C’est la définition du rôle des collectivités territoriales dans la gestion de la mer. Vous avez entendu les mots clefs « gestion intégrée de la zone côtière », c’est-à-dire intégration terre – mer. A terre, dans notre système, les collectivités territoriales ont une place proéminente dans l’aménagement du territoire au niveau local. En mer, c’est l’Etat qui, pour l’instant, a toutes les compétences. Il s’agit de faire la relation entre la terre et la mer. On a d’un côté un Etat compétent en mer, mais qui a du mal à s’exprimer sur ce qui se passe à terre, et de l’autre côté, des collectivités territoriales qui voudraient étendre leurs compétences vers la mer mais qui sont maintenues, endiguées sagement dans leurs limites. Ce n’est pas qu’un problème français ; c’est clair et ça ressort dans le livre bleu, c’est un problème européen. Il faut inventer de nouveaux modes de gouvernance aux bonnes échelles. Il ne s’agit pas de mettre un conseil responsable de tout l’espace maritime européen qui ne résoudrait pas le problème. Il y a des échelles locales, régionales, sous-régionales pour lesquelles il faut trouver de nouveaux modes de décision.
Je reviens sur la rupture avec les approches sectorielles, j’ai envie de parler du statut du livre bleu.
La publication d’un livre blanc suppose que l’on a déjà posé des éléments de politique, c’est donc la dernière étape avant la préparation d’une loi ou, au niveau européen, d’une directive. Le livre vert représente une étape précédente, c’est-à-dire une compilation des avis des uns et des autres. Le livre bleu, lui, est une étape intermédiaire ; la référence à la couleur de la mer cache simplement le fait qu’on n’était pas mûr pour passer au livre blanc et encore moins pour passer à la directive européenne qui va organiser cette politique maritime intégrée. Aujourd’hui, toutes les compétences ne s’exercent pas au niveau européen. Mais pour celles qui y sont, notamment la pêche ou l’environnement, les politiques sont très différentes et ont du mal à s’entendre. On connaît, au niveau national, les luttes entre ministères, les luttes entre directions de la commission sont très semblables et provoquent à peu près les mêmes blocages. Donc le livre bleu est une étape mais pas encore un aboutissement. La commission se réorganise et la direction générale qui s’occupait des pêches maintenant s’occupe aussi de la mer. Il va certainement lui falloir un peu de temps pour prendre la mesure de ce nouveau périmètre et de ses nouvelles fonctions. La direction générale de l’environnement aura toujours la responsabilité de Natura 2000 en mer et va s’occuper d’un outil réglementaire fort, une nouvelle directive qui vient de sortir : « Stratégie pour le milieu marin » qui, dans le livre bleu, apparaît comme le pilier environnemental de la politique maritime européenne. Dans le livre bleu, on a pensé qu’il fallait un pilier pour l’environnement et on l’a fait sous forme réglementaire. On revient au problème que je dénonçais, sans forcément apporter de solution, on trouve pour la protection de l’environnement une solution sectorielle ; la protection de l’environnement est d’une certaine façon un secteur d’activité.
La directive « Stratégie pour le milieu marin » est parue en juin 2008. Elle a un objectif général assez ambitieux : le bon état écologique de toutes les mers européennes d’ici 2020, ce qui n’est pas une échéance lointaine. Le processus à suivre est d’abord faire un état des lieux des mers européennes d’ici 2012, puis définir ce que serait le bon état écologique, ensuite fixer les objectifs pour atteindre ce bon état écologique. Tout cela se précise, se quantifie, il y a une part d’objectivité, mais aussi de subjectivité dans la façon dont on décrit le bon état. Il y a beaucoup de facteurs. En 2015, on doit fournir le plan d’action qui permettra de dire en 2020 que l’on a un bon état écologique. 2020 paraît loin, mais il faut sept ans de préparation, il ne restera plus que cinq ans pour la mise en œuvre par les Etats et non par l’Europe. Il faudra harmoniser des politiques nationales pour faire une stratégie européenne de protection du milieu marin et prendre en compte les stratégies par région et sous-régions qu’auront faites les états. Ce processus est très fort, il a été appliqué pour la directive cadre sur l’eau, pour les directives Natura 2000. A chaque étape, on rapporte à la Commission les propositions qui sont évaluées. Potentiellement, si on ne suit pas le calendrier ou les prescriptions, on s’expose à des contentieux européens. C’est donc un outil très fort qui s’attache à la protection de l’environnement et analyse les activités humaines sous l’angle de leur impact.
Que fait-on au niveau français ? Dans le Grenelle de l’environnement il y a un volet« Gestion intégrée de la mer et du littoral », qui n’est pas le plus médiatisé, mais qui est exactement dans le sujet. La question est : « Comment traduire dans le droit français la Directive cadre Stratégie pour le milieu marin ? » mais aussi « Comment traduire l’idée d’une politique intégrée sur la mer ? ». La première traduction concrète du Grenelle est en ce moment en discussion à l’Assemblée, C’est un article sur la gestion intégrée de la mer et du littoral qui pose les principes de gestion intégrée, de gouvernance qui associe les acteurs, de préservation de l’avenir, un certain nombre de mots clefs indispensables pour codifier la façon d’organiser la gestion intégrée. La loi Grenelle 2, attendue pour l’année prochaine au parlement et au sénat, devrait donner :
- une directive stratégique nationale pour la mer et le littoral
- la déclinaison de cette directive stratégique nationale au niveau des « éco-régions ». Ce terme a un sens du point de vue des écosystèmes, des activités humaines. Ce sont des entités de gestion qui paraissent cohérentes.
Ce plan stratégique décliné s’imposera à tout ce que l’on fera dans des domaines sectoriels. C’est un très gros travail. Pour le faire, il y aura des instances de concertation, le recueil de beaucoup d’informations et surtout la mise en forme de l’information. Souvent on a beaucoup d’informations, mais elles ne sont pas accessibles ou pas présentées d’une façon qui permette le débat ou la synthèse. C’est donc un travail très important pour les quelques années qui viennent qui, je n’en doute pas, donnera beaucoup de travail aux étudiants actuellement en Master.
La France qui est souvent mauvais élève pour l’application des directives européennes, est vraiment, là, dans les temps. Nous prenons cette directive pour le milieu marin sous un angle plus large qui est plutôt une vision de type politique maritime intégrée.
Revenons à l’international. En mer, il n’y a pas de frontières, on trace des limites sur les cartes, fatalement, on partage des morceaux de mer avec les pays voisins. A terre, il y a des ensembles naturels, séparés par des zones peu peuplées par où passent les limites. Ce sont les sommets de montage, les forêts, les estuaires. Ce sont des entités cohérentes. Mais lorsque se pose la question de leur gestion globale, il faut bien discuter avec le voisin. En Europe, nous avons des frontières avec l’Espagne, nous avons des enjeux importants en termes d’exploitation et de milieu naturel, avec la Grande-Bretagne, la Manche, qui est un espace d’hyper activités. Donc on ne peut pas faire l’économie d’une discussion avec nos voisins. Il y a un lieu privilégié pour discuter avec les pays voisins, ce sont les conventions de mer régionale. La France est partie prenante dans cinq conventions de mer régionale. Ce sont des conventions entre pays côtiers qui, la plus part du temps, vise à la protection du milieu marin, mais dont le champ a tendance à s’élargir au fur et à mesure que le contexte de protection du milieu marin s’élargit lui aussi. Nous sommes passés d’une approche de protection par espèces et habitats vers une approche de protection de la biodiversité qui est beaucoup plus large et qui inclut généralement la notion de gestion durable des ressources.
Pour conclure je voudrais dire que le problème est bien sûr très compliqué et très complexe, mais, nous avons déjà réalisé des choses très compliquées. Nous sommes prêts à nous attaquer à ces sujets-là. Le livre bleu est certainement un bon point de départ, qui va évoluer. L’approche française, plus globale, devrait se positionner correctement par rapport à ces éventuelles évolutions.
Mis à jour le 07 juillet 2009 à 11:35